Non aux déterminismes absolus !

2 avril 2003

Le Docteur Eric Dachy travaille au Centre de Recherche de MSF-Belgique, Problème d’accès, population défavorisée, antibiotiques, responsabilité politique, l’homme de terrain nous parle de la santé dans le Sud, par mots-clé.

Génériques ?

L’aspect « médicaments génériques » sert souvent à caricaturer – à tort – la campagne que nous avons menée en faveur de l’accès aux médicaments or il n’en constitue pas le point clé. Ce pour quoi nous nous sommes battus, avec d’autres, c’est pour la fin des abus dans l’application des brevets. Cette situation débouche sur des situations de monopole et l’imposition de marges bénéficiaires énormes et injustifiées. Certaines molécules – nécessaires pour traiter le SIDA notamment – parce qu’elles sont produites aux Etats-Unis, en Suisse, en Allemagne, sont peu accessibles en Afrique du sud, au Rwanda ou au Mozambique, où l’on en a pourtant cruellement besoin. Plutôt que demander, de manière irréaliste, le passage au domaine public de ces substances et l’autorisation de fabriquer des génériques, avec disparition totale des bénéfices pour les firmes détentrices du brevet, nous avons proposé le principe de « licence obligatoire » qui implique que ces compagnies soient obligées d’autoriser la production locale, donc à prix moindre, tout en touchant les royalties. Nous n’avons donc jamais considéré les génériques comme le solution miracle de l’accès à tous les médicaments.

Doha ?

Une victoire, mais de principe surtout. Selon la déclaration de Doha, en novembre 2001, la logique des brevets et l’application très restrictive des accords sur la propriété intellectuelle peuvent être aménagées en fonction des impératifs de santé publique. Cela ouvre une brèche dans un champ de décision qui relevait du commerce pur, ce qui est fondamental. Ceci dit, la mise en application de cette déclaration est actuellement discutée et de nombreuses pressions se font jour (pour la limiter jusqu’à lui faire perdre son sens. Des firmes pharmaceutiques et des gouvernements tentent d’en restreindre l’application aux situations d’exception.

Démographie ?

Je doute de la théorie selon laquelle la démographie serait le gros levier des problèmes que l’on rencontre dans le Sud, ou pour le dire autrement, qu’une population trop nombreuse dans un environnement aux ressources limitées entraîne automatiquement la destruction de l’une et de l’autre, et que donc il faudrait appliquer a priori une politique absolue visant à diminuer cette surpopulation. Ce schéma global a le défaut d’évacuer la responsabilité politique en ce qui concerne les choix sociétaux et de déposséder les sociétés dites du sud de la possibilité de prendre en main leur devenir. Je vois là une supposition que les « pauvres » ne peuvent rien faire et surtout pas jouer le rôle d’acteurs. Je suis globalement opposé aux solutions simplistes et sceptique à l’égard du bien-fondé de ce genre d’explications déterministes univoques. L’idée d’un monde en bonne santé n’est pas un préalable à tout projet politique, c’est un projet politique en soi. Notre expérience, en Afrique, c’est que la difficulté à résoudre les grands problèmes de santé comme beaucoup d’autres, est bien souvent liée à la faiblesse du partenaire étatique.

Économie ?

Idem. Si l’économie est fréquemment invoquée comme une fatalité, notre expérience sur le terrain nous suggère que le politique est souvent responsable. Par exemple, les famines dont certains font bon usage sont toujours liées à des politiques délibérées. Il y a des tyrans qui affament leur propre peuple. On ne voit pas de mécanismes économiques sous-jacents à ces politiques et qui les détermineraient de manière inéluctable. Je ne suis pas non plus convaincu que ce sont les marchands d’armes qui créent les guerres. Le génocide rwandais a été commis à la machette. Il ne faut pas déresponsabiliser dans le discours les régimes locaux et ceux qui les influencent.

Antibiotiques ?

L’utilisation des antibiotiques au sens large (antiviraux, antimalariques, antiparasitaires, antituberculeux et antibactériens) est un des moyens privilégiés de la médecine humanitaire, parce qu’elle a souvent lieu soit en milieu tropical soit en situation précaire, où la prolifération des germes est favorisée. Cela nous fait entrer dans un combat avec le monde des micro-organismes et de leurs résistances.
Il y a une trentaine d’années, on pensait que les antibiotiques allaient avoir définitivement la peau de certains microbes. Aujourd’hui, on se rend compte que c’est le contraire, ils s’adaptent et nos armes s’usent vite. Une sorte de course aux armements est engagée entre les antibiotiques et les bactéries, les virus, les parasites. Pour ne pas empirer la situation, MSF limite au maximum l’escalade en pratiquant un équilibre précis entre l’utilisation les moyens thérapeutiques nouveaux et les résistances des germes pathogènes constatées.

Prix Nobel de la Paix?

(MSF a reçu le prix en 1999)
Depuis lors Koffi Annan l’a reçu aussi, malgré une attitude peu glorieuse lors du génocide rwandais, du coup il a été un peu dévalué.

Prévention ?

Bien entendu, la prévention concrète est un axe important de notre action, même et surtout en situation d’urgence. Pour preuve, un des secteurs fondamentaux d’action de MSF est l’eau et l’assainissement. Cela consiste d’une part à fournir de l’eau potable en quantité suffisante et accessible, et d’autre part à éliminer les eaux souillées dangereuses pour la santé. C’est clair : la prévention est un outil stratégique essentiel qui sauve sans doute autant de vies que les antibiotiques, si pas plus.
Mais si nous sommes des acteurs convaincus, nous prenons aussi distance par rapport à la thèse selon laquelle la prévention est la panacée absolue dans les pays défavorisés. Donnons un bel exemple : un article fameux est sorti récemment disant que si on apprenait aux gens à se laver les mains, on sauverait un million de vies par an. Cela a été pris très au sérieux. Pour moi, c’est une aberration totale.
Nous rejetons le « prévenir vaut mieux que guérir, surtout quand on n’a pas les moyens de se guérir », ce qui pourrait signifier « chez les pauvres il faut prévenir, chez les riches on peut guérir ».

Un commentaire sur “Non aux déterminismes absolus !”

  1. mcgregor dit :

    Qu’avez vous vu a Srebrenica.