Vous avez dit « pédagogie institutionnelle » ?Clés pour comprendre

7 octobre 2011

Des classes qui coopèrent via des projets communs, des heures de cours gérées collectivement entre étudiants et profs à travers les institutions de la classe coopérative. Une autonomie et un champ de participation hors du commun. Jacques Cornet, enseignant à l’HELMo Sainte-Croix (Liège), nous parle de la « pédagogie institutionnelle ».

Vous prônez et appliquez la « pédagogie institutionnelle ». De quoi s’agit-il concrètement ?

La pédagogie institutionnelle a été inventée dans les années 60 par Fernand Oury. Elle vise à créer et faire respecter des règles de vie dans la classe ou à l’école, via des « institutions ».

C’est une vaste question… D’abord la classe institutionnelle est une classe où il y a une loi, c’est une classe régulée. C’est déjà pas si banal d’avoir une classe où il y a une loi et donc des interdits. Il y a des droits et devoirs définis, qu’on affiche notamment sur la porte d’entrée. Le premier principe est l’obligation de travail. Ici on est là pour apprendre. Déjà annoncer ça c’est énorme. Ca veut dire qu’il n’est pas question d’y faire autre chose, on est obligé de travailler. Ca veut dire aussi qu’on a le droit de se tromper, de poser des questions, et si on se trompe, on a le droit à la bienveillance du maître. Le deuxième principe, c’est l’interdiction de nuire. Ici personne ne peut faire du tort à personne. A partir de ces deux grandes lois, tout peut se négocier, tout peut se décliner. C’est vrai que ça a l’air très banal mais si c’est annoncé et vécu comme tel dans la classe, c’est extrêmement structurant et apaisant pour la classe. Cette obligation de travailler n’est pas si évidente car dans beaucoup d’endroits on n’ose plus affirmer cette obligation. Et on est obligé de travailler au nom du collectif. Tout le monde doit travailler, ça fait partie de la condition humaine.
La pédagogie institutionnelle, c’est aussi une pédagogie du désir. L’obligation de travailler ne suffit pas, on va donc tout faire pour qu’il y ait un maximum de pièges à désir dans la classe. Autrement dit, tout faire pour que l’apprenant ait envie de travailler. On va trouver des manières de faire pour que le maître ne doive pas imposer le travail, même si la loi est là. Que ce ne soit pas le pouvoir du maître qui impose à l’enfant le travail. Et que ce ne soit pas non plus l’amour du maître qui pousse l’enfant au travail. On va donc essayer d’éviter l’imposition et la séduction. On est donc obligé de mettre en place des pièges à désir, c’est-à-dire des médiations, donc créer du tiers. Ce sont les « institutions » qui vont faire médiation dans la classe.

Quelles sont ces institutions ?

Ces institutions sont multiples. La pédagogie du projet, par exemple, en est une. Les enfants, les jeunes ont un projet. On espère que ce « but de production » fasse désir. Aspirés, les apprenant vont alors se mettre au travail et donc apprennent un certain nombre de choses, car pour y parvenir ils vont devoir surmonter des obstacles et donc apprendre. On distingue les objectifs d’apprentissage c’est-à-dire travailler à travers le projet, et le but de production, qui est ce qui va aspirer, ce qui va faire médiation.
Il y a d’autres types d’institutions. Par exemple, 5 minutes en début de journée au cours desquelles ceux qui se sont inscrits (donc, on permet la parole, mais on ne la donne pas, on ne l’oblige pas) disent ce qu’ils ont envie de dire. La plupart du temps, c’est quelque chose qui préoccupe le jeune et qui l’empêche de travailler. Un exemple, ce gosse de primaire qui dit « Moi, hier soir, mon chien est mort, je suis triste et je n’arrive pas à travailler. » Le fait de dire ce qui préoccupe va permettre de se remettre au travail après. C’est l’idée de faire une espèce de sas, avec le privé qui est avant et le public qui est après. Le plaisir ou les tracas qu’il y a avant et le travail qu’il y a en classe.
Une autre institution qui fait médiation et qui est très importante, c’est ce qu’on appelle les responsabilités. On essaie que dans une classe institutionnelle il y a beaucoup de responsabilités qui soient prises par les apprenants. Par exemple : détenir la clé et ouvrir la porte le matin, s’occuper du poisson rouge, arroser les plantes… Des gosses éteints, opposés ou violents peuvent se mettre à exister à travers des responsabilités et entrent dans le travail.
Tout ça ce sont des petites choses et on n’a jamais fini de trouver des institutions qui vont faire médiation. L’idée est de toujours en chercher plus. Il faut multiplier les pièges à désir car on sait qu’un piège ne marche jamais pour tout le monde, puisqu’on entre pas tous dans le travail de la même manière. Plus il y a d’institutions, mieux c’est.

D’autres éléments composant cette pédagogie ?

Dans la pédagogie institutionnelle, il y a aussi la prise de l’inconscient. L’enseignant doit absolument travailler à ne pas nuire. Un enseignant qui ne fait pas bien, ce n’est pas grave, il faut surtout qu’il apprenne à ne pas nuire. Pour ça, il faut être attentif à ce qu’on est, en termes d’angoisses, de désirs, de projections vis-à-vis des jeunes. C’est-à-dire soigner sa relation, avoir une exigence éthique par rapport à soi-même et par rapport à la relation qu’on a aux enfants ou aux jeunes.
Et enfin, il y a toute la plomberie, comme les conseils de participation. Les étudiants sont partenaires de leur formation. Ils s’expriment en conseil de classe. Lors de ces conseils, il ne s’agit pas d’entamer des discussions sur les objectifs de formation, mais le programme, par exemple, peut être modifié avec les étudiants.

Propos recueillis par Céline Teret

Photo : helmo.be

Un commentaire sur “Vous avez dit « pédagogie institutionnelle » ?”

  1. TOINET dit :

    Votre article est très intéressant.

    Pour reprendre votre expression de « gosses éteints », voici une vidéo qui communique sur la pédagogie Montessori à partir de ce terrible constat fait par un parent …

    Montessori, c’est fou !

    http://www.youtube.com/watch?v=_Hvk7ZYMQ44