Au pays du SudestanReportages

5 mars 2012

Depuis 5 ans, le SCI-Projets internationaux développe un réseau d’éducateurs tous horizons autour de son outil pédagogique, le Sudestan. Un regard sur une certaine manière de voir les relations entre pairs.

« Chèr(e)s ministres, en cette année 1945, vous venez d’être élu(e)s à la tête de votre pays. Vous êtes dès à présent les garants de son bon développement. Face à vous, des responsables du Fond monétaire international et de la Banque mondiale vous proposeront leur aide financière et vous conseilleront dans votre lourde tâche. Aurez-vous atteint vos objectifs d’ici 2001 ? »

Le public plonge alors dans les méandres du développement, ses enjeux, ses contradictions et ses contraintes. À travers le Sudestan, les participants appréhendent les mécanismes à l’origine du fossé entre le Nord et le Sud de la planète et les ingérences d’une politique occidentale dans les rouages du Sud. Les logiques individualistes et néolibérales apparaissent concrètement au fil du jeu. Cette étape est cruciale et vise à comprendre les raisons de la situation actuelle. Le duo d’animateurs, nécessaire à la bonne marche de l’outil, permet de donner des repères pour comprendre notre société mondialisée. L’un des animateurs est garant de l’enchainement des séquences du jeu. L’autre joue le rôle du FMI et pousse les participants à emprunter, s’endetter et à suivre ses conseils politico-économiques qui se révèlent être des conditions de prêts.

Après avoir suscité fatalisme, frustration voire écœurement, le binôme d’animateurs questionne les participants sur leurs propositions de pistes d’actions individuelles, collectives et internationales. Ce positionnement dans le monde inégalitaire actuel est une démarche vers la perspective d’un changement social, cher à l’éducation au développement. Un pas vers la revendication d’une capacité d’agir, une forme de réappropriation de la chose publique, se mettre au service d’un projet plus global, porté collectivement.

Le jeu circule en milieu scolaire et associatif. Les propositions d’animations affluent et le SCI a mis en place des formations à l’appropriation de l’outil afin de permettre aux animateurs d’être autonomes et capables d’animer eux-mêmes le Sudestan.

Un réseau porteur de sens

La nécessité d’un binôme pouvait constituer un frein à l’utilisation de l’outil. Dès lors, nous avons créé un réseau d’animateurs(trices) du Sudestan, regroupant toute personne ayant suivi la formation d’appropriation et disponible pour répondre aux demandes d’animation. La transmission de l’outil repose donc essentiellement sur ce réseau de personnes motivées et spécialement formées.

Ainsi, si un professeur en sciences sociales de Liège souhaite organiser une session sur les inégalités Nord-Sud en animant le Sudestan, il fait appel à la mailing liste Sudestan, regroupant près de 250 personnes, afin de pouvoir co-animer l’outil.
Cette mise en réseau a plusieurs aspects positifs. Premièrement, elle facilite la co-animation entre différents collègues d’une même école, car le Sudestan fait appel à des programmes interdisciplinaires et préconise un binôme au sein même de l’école. La méthode permet donc de « décloisonner » au sein d’une école les profs intéressés au départ. Des passerelles peuvent être effectuées vers d’autres matières que celles prodiguées par le professeur initialement « porteur ».

Ensuite, les personnes venant se former à l’outil viennent de différents secteurs (éducation au développement, milieux scolaires diversifiés, éducation à la santé, aide à la jeunesse) et les échanges de pratiques qui ont lieu lors de la journée peuvent perdurer après la formation. Un duo est souvent composé d’acteurs issus de contextes variés et partageant des expériences différentes. Un professeur qui sort de son école découvre d’autres expériences scolaires, décortique des logiques associatives différentes et enrichit son métier. Un animateur du secteur associatif qui rentre dans le monde scolaire a, quant à lui, l’occasion de se frotter aux contraintes des horaires, des programmes, de l’autorité, des jeunes pour qui l’engagement citoyen n’est pas une évidence. Coanimer le Sudestan, c’est se frotter à du collectif, du travail d’équipe, des partages de tâches, une co-construction des objectifs, des répartitions de rôles, concilier sa vision des élèves et de la pédagogie avec celle d’autres secteurs. À travers les rencontres véhiculées par la mise en réseaux, nous apprenons à négocier et à malaxer nos logiques qui, dans un contexte plus individualiste, pourraient pousser à une incompréhension, un choc des cultures de métiers.

Inverser les logiques

La mise en réseau donne aussi l’occasion d’échanger sur ses conceptions des relations internationales, ses positionnements par rapport aux institutions financières internationales, aux manières d’envisager des pistes d’action encourageant la solidarité. Une forme de co-construction des savoirs s’installe au sein du binôme d’animateurs sur la thématique large du développement et des rapports Nord-Sud. Les échanges de pratiques permettent d’améliorer ses compétences d’animation, de développer ses connaissances sur les démarches interactives et sur la pédagogie du jeu comme vecteur d’apprentissage de réalités complexes.

Les craintes liées au manque supposé de connaissances sur la thématique des relations Nord-Sud reviennent souvent dans le chef des animateurs volontaires. Afin de pallier à cela, nous avons mis en place des sessions consacrées à la thématique de la dette, en partenariat avec le CADTM (Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde). Nous devrons encore évaluer si ces journées supplémentaires répondent à cette crainte.

Les rencontres occasionnées via la mise en réseaux sont une des manières possibles de poser des relations allant à contrecourant d’une logique individualiste au service d’une société de consommation. Elles peuvent être lues comme une démarche coopérative qui fait sens au sein d’une association qui réfléchit aux relations Nord-Sud.

Et si, finalement, la sensibilisation aux problématiques Nord-Sud et à la solidarité internationale passait plus efficacement par la mise en réseau de personnes issues de tous les secteurs de l’éducation à la citoyenneté mondiale. C’est en tout cas le pari du Sudestan…

Nancy Darding, SCI
Article publié dans TRACeS de changements (dossier « Individuel/Collectif » – n°204 – janv/févr. 2012), le périodique de ChanGements pour l’Egalité

En savoir plus :

  • Le Service Civil International est une ONG d’éducation au développement et organisation de jeunesse : www.scibelgium.be
  • Plus d’infos sur le jeu Sudestan et sur la formation Sudestan

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