Commerce équitable au KivuReportages

6 novembre 2012

Pour beaucoup d’observateurs, l’instabilité chronique de la région des « grands lacs » découle d’une série de facteurs. En premier lieu, l’abondance des ressources naturelles (or, zinc, cuivre, etc.) suscite la convoitise de nombreux acteurs régionaux, dont celle du groupe armé M 23, soutenu, selon l’ONU et plusieurs pays occidentaux, par le Rwanda.

Une dose de paix dans une région sous haute tension
Près de 20 ans après la première guerre du Congo, de nouveaux combats entre mutins et troupes gouvernementales ont repris il y a quelques mois au Nord-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC). Les populations sont les premières victimes de cette dramatique escalade de violence.

Ajoutez à ce cocktail de nombreuses ethnies différentes et un Etat particulièrement faible,… incapable de sécuriser la région, et vous obtenez une situation on ne peut plus explosive. Ainsi, même si les organisations humanitaires sont indispensables pour gérer l’urgence1, des solutions à long terme s’avèrent nécessaires afin de construire la paix et d’assurer un développement économique durable et respectueux.

Quand le commerce équitable favorise le retour à la paix
Les pays qui ont été touchés par la guerre, l’occupation militaire, les attentats ou l’oppression, ont souvent du mal à se relever économiquement : leurs infrastructures sont détruites, les forces vives du pays ont disparu ou ont fui, des générations ont été meurtries, tandis que les élites modérées ont été affaiblies, ce qui entraîne un risque de replis identitaires. Lorsqu’ils sont basés sur le profit à court terme, les modèles économiques mobilisent rarement les populations autour de projets fédérateurs et stabilisateurs. Dans de nombreux cas, l’action des acteurs économiques favorise les conflits et encourage les tensions, se nourrissant même parfois du chaos engendré par la guerre : négoce du diamant en Sierra Leone, exploitation du pétrole au Nigéria, au Darfour, en Irak, soutien de junte militaire, accaparement massif de terres arables par de grosses multinationales… Comparé au commerce conventionnel, le commerce équitable offre des avantages d’ordre économique, social, culturel ou politique qui redonnent véritablement du sens à la transaction commerciale. En mettant en avant SOPACDI, partenaire congolais de la région du Sud Kivu, Oxfam-Magasins du monde en fait aujourd’hui la brillante démonstration. Corentin Dayez

Outil de reconstruction

Comme le démontre le travail de l’organisation SOPACDI (Solidarité Paysanne pour la Promotion des Actions Café et Développement Intégral), le commerce équitable est l’un des outils les plus efficaces d’aide à la reconstruction et à la normalisation dans la région. Partenaire d’Oxfam en Belgique, cette coopérative permet à près de 4000 producteurs de café du Sud Kivu d’écouler leur production aux conditions du commerce équitable.

Malgré la demande mondiale en hausse constante, la production de café de la région a considérablement chuté dans le milieu des années 2000. En cause : l’abandon et la destruction des plantations durant le conflit ainsi que leur détérioration générale liée à des décennies de pratiques agricoles non durables. L’instabilité politique a également entrainé la rupture des lignes d’approvisionnement conventionnelles, quasi désertées par les intermédiaires. Les rares filières qui ont subsistées sont tombées dans la main d’individus sans scrupules, exploitant de manière éhontée les producteurs les plus marginalisés. Certains de ces producteurs étaient ainsi obligés de risquer la traversée du lac Kivu pour vendre leur production au Rwanda.

Pour pallier cette insécurité, SOPACDI fournit désormais à ses membres un accès stable et rémunérateur aux marchés, ainsi qu’un soutien technique et logistique, via notamment une série de partenaires comme Oxfam et la CTB2. Ce soutien comprend le renouvellement des plantations, la formation des producteurs aux techniques durables, l’aide à la transformation, l’acquisition collective d’équipements, etc.

Ces différentes formes de soutien permettent aux petits producteurs de développer des modes de production durable, associant cultures vivrières et d’exportation, synonymes de sécurité alimentaire et de résilience face au changement climatique. La SOPACDI aide par ailleurs ses membres à mieux se défendre face aux autres acteurs de la filière et à l’Etat (barrières douanières, intermédiaires, etc.).

Travailler ensemble pour apaiser les tensions

L’autre bénéfice du commerce équitable qui apporte le plus de plus-value dans la région est le rapprochement des communautés. Les 4000 cultivateurs de SOPACDI appartiennent à 3 ethnies différentes : les Bahavu, les Bahunde et les Hutus. Ces derniers constituent une minorité discriminée en RDC, du fait de leur langue et culture d’origine rwandaise. Les activités de commerce équitable conduisent ces différents groupes ethniques à coopérer pour optimiser la culture et la transformation du café, ce qui contribue à réduire les tensions sur le long terme.

Inmaculée Nimavu Musangi

A l’image de la construction de l’Union Européenne, le renforcement des liens socio-économiques diminue le risque de réapparition de conflits qui pourraient s’avérer critiques. Les critères du commerce équitable exigent en effet que les décisions inhérentes à l’organisation se prennent de manière collective, au travers de modes de fonctionnement et de structures démocratiques, seules garantes d’une paix durable.

Dans cet esprit, les organes de gestion de SOPACDI ont été progressivement améliorés comme par exemple avec les femmes qui représentant maintenant 20% des membres de la coopérative, une exception notable dans le secteur agricole au Congo. Les femmes étant souvent les premières victimes de la guerre, leur participation a une forte valeur symbolique. Une meilleure implication dans les activités économiques de la région leur permet de mieux défendre leurs droits, tout en restaurant un sentiment de dignité et d’identité culturelle.

Un exemple de réussite au féminin
Inmaculée Nimavu Musangi est une caféicultrice membre de la coopérative SOPACDI. Elle vit à Uzi, petite ville du Sud Kivu. Les femmes étant rarement propriétaires de leurs terres, Inmaculée, qui possède 4 hectares, fait figure d’exception au Congo. Elle s’est retrouvée seule pour élever ses 3 enfants. L’école n’étant pas gratuite au Congo, elle assure les dépenses scolaires grâce à la prime de commerce équitable. Sa journée se partage entre la culture du café, le travail à la ferme, l’éducation de ses enfants et les tâches domestiques. Elle vend directement son café à SOPACDI sans devoir passer par un homme, ce qui est inhabituel au Congo. La coopérative lui a fourni des outils ; elle a suivi des formations agricoles et bénéficie d’une aide pour la gestion de sa ferme. Depuis que SOPACDI possède une station de lavage du café, elle ne doit plus dépulper, laver et sécher le café, ce qu’elle apprécie beaucoup ! Avec le temps, Inmaculée est devenue présidente du groupe des femmes membres de SOPACDI et membre du Conseil d’administration de la coopérative.
Source : www.sopacdi.com

Patrick Veillard

Article publié dans Déclics et des claques, n°11, octobre 2012, pg. 4 à 7

Photos: Tim Driven pour Oxfam Fairtrade ©

Pour plus d’informations, lire le cahier thématique « Commerce équitable: construire la paix » d’Oxfam

2 commentaires sur “Commerce équitable au Kivu”

  1. Céline dit :

    Bonjour,
    Il s’agit d’une photo appartenant à Oxfam Fair Trade (© Tim Driven pour Oxfam Fair Trade).
    Prenez directement contact avec eux : http://www.oxfamfairtrade.be/contact-us

  2. Rachel Geinoz-Floreani dit :

    Bonjour,
    J’ai vu récemment un documentaire sur les ravages des viols dans la region du Kivu et de la consécration du Dr Denis Mkwege pour venir en aide à ses femmes. Pour ma part, je souhaite apporter ma contribution sur le plan émotionnel, mais également pratique en fournissant des fonds pour leur permettre de mettre à exécution leur projet entrepreneurial. Je souhaite mettre quelques photos qui redonne l’espoir sur un roll up et flyer et celle d’Immaculée Nimavu Musangi est très belle. M’autorisez-vous à l’utiliser? ou pouvez-vous me dire à qui m’adresser? Merci d’avance
    Rachel Geinoz