Privés d’espaces publics?Clés pour comprendre

17 décembre 2012

L’espace public serait-il en train de se privatiser ? Caméras de surveillance, publicités omniprésentes, mobilier urbain « anti-sdf », voitures et parkings encombrants… Une rue, un trottoir, une place… ne sont pas que des lieux de passage. Ce sont aussi les lieux de l’expression démocratique et du vivre-ensemble.

Espaces de passage, espaces de rassemblement, infrastructures destinées à l’usage de tous : les espaces publics, par définition, ce sont les espaces non privés, soit parce qu’ils n’appartiennent à personne, soit parce qu’ils sont des biens appartenant à l’État ou à toute autre entité politique qui les affecte à l’usage public. Le concept d’espace public évolue dans le temps et dans l’espace. C’est un produit social et politique, historiquement situé. Ce sont des processus de négociations et de conflits entre différents acteurs et leurs intérêts qui le définissent. De plus, l’espace public n’existe pas en tant que tel, mais par rapport à l’espace privé. On constate aujourd’hui une altération du caractère public de nombreux espaces, spécialement en ville.

Bombardés de publicités

Depuis une dizaine d’années, la publicité ne cesse d’envahir les espaces publics urbains. Omniprésente et invasive, nous la retrouvons aujourd’hui partout dans nos villes : le long des rues, aux abords des parcs, sur les places, devant les écoles, près des cinémas et des commerces, dans les abris-bus, sur les bus, dans les gares, etc. Si chacun peut faire le choix de ne pas regarder la télévision ou d’éteindre le poste de radio pour ne pas être exposé à la publicité, en ville, dans les espaces pourtant publics, l’agression publicitaire est inévitable et s’impose en force.

De plus, sous sa forme actuelle, la publicité présente dans nos villes n’est pas financièrement accessible aux petits commerces locaux, aux PME régionales ni aux associations socioculturelles qui font vivre nos cités. Au contraire : étalée sur de grands planimètres éclairés de nuit, elle est un moyen de communication antidémocratique, réservé aux grandes multinationales et groupes financiers, et payée indirectement par le « citoyen-consommateur ». Le coût de la publicité est en effet répercuté sur le prix d’achat des produits qu’elle nous vante…

C’est donc également une façon de fausser la concurrence et de défavoriser l’économie locale. Cette publicité omniprésente, c’est aussi la propagation des stéréotypes et des discriminations, du greenwashing[1], la promotion de la société de surconsommation et des comportements nuisibles au bien-être commun.

Enfin, si cette forme de publicité a un impact écologique non négligeable et participe à l’enlaidissement des paysages urbains, elle exerce surtout une pression psychologique, économique et sociale sur tous et particulièrement sur les couches les plus défavorisées de la société. S’il y a de la publicité aux abords des cités, il y en a moins, voire pas du tout, dans les quartiers résidentiels des ménages les plus favorisés.

Un mal nécessaire ?

Namur était relativement préservée de la publicité jusqu’au mois d’avril 2012, quand a été inauguré un dispositif de 240 vélos en libre-service. En effet, ce système de vélos partagés baptisé « Li Bia Vélo » (photo) ne devrait pas coûter grand-chose à la ville parce que sa gestion a été confiée à la société publicitaire française JC Decaux qui obtient en contrepartie l’implantation de 66 « planimètres » double face en ville et 24 « planimètres » simple face pour chacune des 24 stations de vélos (pour une durée de 15 ans, que le service de location de vélos fonctionne ou non).

Dans ce cas, bien plus encore que dans d’autres, certains parlent de la publicité comme d’un mal nécessaire puisque, disent-ils, la publicité fait rentrer de l’argent dans les caisses communales ou finance des infrastructures alors dites « gratuites ».

Mais ne nous y trompons pas : il n’y a pas de fatalité budgétaire. Le choix reste politique. Il existe des villes ou des centres-villes sans publicité. En France, par exemple, de nombreuses villes ont opté pour un système de vélos partagés entièrement financé par le public et sans publicité, comme à Lille, Avignon ou Montpellier, pour n’en citer que trois.

Enfin, rappelons que, comme nous l’avons dit plus haut, c’est quand même le « citoyen-consommateur » qui, en bout de course, paie la publicité. Cette dépense n’accroît pas son bien-être et il n’en retire aucun bénéfice, au contraire. Ni la publicité, ni les services et infrastructures que la publicité met à disposition ne sont donc gratuits !

L’omniprésence de la publicité en ville représente donc bel et bien un exemple flagrant de cession de l’espace public à des intérêts privés. Sous sa forme actuelle, cette privatisation de l’espace public ne sert même pas les intérêts des acteurs économiques locaux ; elle est donc néfaste pour la plus grande partie de la population.

La chasse aux sans-abri

Déjà dépourvus d’espaces privés, les sans-abri se font de plus en plus souvent chasser des espaces publics. Depuis quelques années, le « design » du mobilier urbain évolue. Quand les bancs existent toujours, ils sont conçus courbés ou galbés. De plus en plus souvent, ils comptent également plus d’accoudoirs qui subdivisent le banc en deux ou trois places. Il y a aussi ces fameux sièges « assis-debout » ! Derrière ce dessin ou cette recherche « esthétique » se cachent le plus souvent des techniques pour chasser les sans-abri. Ainsi, si le banc public permet encore au passant de se reposer quelques minutes, la sieste y devient impossible pour le SDF.

Un peu partout dans les villes, on voit également de plus en plus de herses, de piques, de fausses décorations, de plans inclinés, de grilles ou barres surélevées par exemple, qui, tels les picots sur les appuis de fenêtres ou les corniches qui empêchent les pigeons de se poser, font en sorte que le sans-logis ne s’attardent pas. L’imagination ne manque donc pas pour mettre en œuvre cette violence « douce » qui repousse la misère jusque là où elle ne dérange plus personne, et surtout loin des rues commerçantes et des quartiers d’affaires.

Parfois, architectes et pouvoirs publics travaillent de concert pour installer le strict minimum de mobilier urbain et rendre les infrastructures publiques le moins hospitalières possible. Un exemple parlant est celui de la nouvelle gare de Liège-Guillemins, conçue par un célèbre architecte espagnol. La poignée de bancs qui y sont installés est bien ridicule au regard du gigantisme de cet édifice de prestige, avec des quais qui font jusqu’à 450 mètres de long. Cette gare n’est qu’un courant d’air et il y fait très froid en hiver. Au rez-de-chaussée, une galerie ne propose qu’une brasserie et des commerces. Il n’y a pas de salle d’attente chauffée ou de cafétéria accessible à tous, même avec son pique-nique, comme c’était le cas dans les gares autrefois. À coté des ascenseurs, les rares bancs sont courbés et en pierre bleue, bien durs et bien froids ! Si la gare de Liège-Guillemins décourage désormais la plupart des sans-abri, elle se révèle de facto peu accueillante pour n’importe qui, et donc aussi pour le voyageur qui attend sa correspondance !

(…) Retrouvez une partie de l’article ici (…)

Quel avenir pour l’espace public ?

Après ce petit tour d’horizon non exhaustif, nous voyons que l’espace public est aujourd’hui en danger. Cela est sans doute lié au fait que nous vivons dans une société ultralibérale et individualiste dans laquelle même les partis de gauche ou sociaux-démocrates se résignent depuis un certain temps à ne plus défendre la gratuité, les biens communs, les services publics et l’espace public.

Ainsi, la globalisation néolibérale aliène jour après jour l’espace public à des intérêts privés. Par peur de perte de contrôle, par manque d’imagination ou par immobilisme, les responsables politiques laissent faire ou collaborent. Le processus de privatisation de l’espace public est progressif, lent et multiforme. Il s’opère sans que l’on s’en rende vraiment compte. Pourtant, il engendre déjà des luttes sociales et culturelles nouvelles et variées. Pour terminer cette analyse, citons quelques-unes de ces actions menées par tous ceux qui veulent préserver l’espace public, sinon en conquérir de nouveaux.

Marre de la pub !

Pour résister à la publicité et ouvrir les yeux à leurs concitoyens et aux mandataires politiques, il existe des groupes de militants anti-pub comme à Liège[1bis] ou à Bruxelles[2]. Sans vandaliser quoi que ce soit, ils recouvrent les publicités, détournent les slogans, interpellent les responsables politiques et proposent des alternatives. Ils prennent également le temps d’expliquer l’impact de la publicité. La plus connue de ces actions est celle mise sur pied à l’occasion de la Saint-Valentin, quand les militants anti-pub recouvrent les panneaux publicitaires d’affiches « Pour la Saint-Valentin, faites l’amour, pas les magasins ! ».

Pour rendre leur convivialité aux fêtes, pour récupérer de l’espace public et pour permettre la mixité sociale et la rencontre, des citoyens organisent des marchés de Noël alternatifs aux abords des marchés de Noël classiques. Chacun est le bienvenu et l’on partage boissons, nourriture et chansons.

Pique-nique dans la rue

D’autres organisent des pique-niques en rue le dimanche après-midi comme à Bruxelles et à Liège en juin 2012 (mouvement « picnic in the street »). À chaque fois, dans un esprit familial et bon enfant, l’objectif est de se réapproprier l’espace public et de les rendre aux piétons et aux familles, de refouler la voiture, de partager un moment entre personnes de différents milieux sociaux et de faire vivre la gratuité.

Chacun apporte sa contribution pour partager dans de grandes auberges espagnoles. Lors de ces actions, rien ne se vend, rien ne s’achète, tout se partage ! Le mouvement des pique-niques dans la rue a ceci de spécial qu’il rassemble encore plus de personnes de milieux différents que les autres actions, et est loin de ne mobiliser que les seuls militants d’associations de gauche ou écologistes.

Pour prendre leur place en ville face à la voiture et conscientiser citoyens et responsables politiques, des groupes de cyclistes organisent des masses critiques[3] de vélos. C’est-à-dire qu’ils se retrouvent pour rouler ensemble tranquillement dans les rues de la ville pendant une heure de pointe.

Une autre action originale est le « parking day »[4]. Durant cette journée, plusieurs groupes de citoyens reconquièrent des cotés de rues, des emplacements de parking et des petites parcelles d’espace public habituellement « privatisées » par la voiture. Quelques heures durant, des terrasses, des aires de jeu, des salons extérieurs, des lieux d’exposition ou de concert, ou de petits jardins fleurissent le long des trottoirs et dans les parkings.

Démocratie et solidarité

C

es actions ne constituent que quelques exemples, il y en a bien d’autres du même genre qui sont mises en place. Si ces actions se veulent conviviales et non violentes et qu’elles paraissent anodines, elles n’en constituent pas moins des actes politiques. Derrière de bons moments passés ensemble se trouvent toujours des revendications quant à la place de tous dans la ville, quant aux choix politiques à défendre pour assurer la convivialité et la mixité sociale, et quant à la légitimité sociale, démocratique et politique de l’existence d’espaces publics. En pique-niquant, en roulant à vélo, en recouvrant une publicité, en partageant un verre avec un sans-abri lors d’un marché de Noël alternatif, le citoyen pose un acte politique, construit la ville dans laquelle il voudrait vivre et dévoile sa vision de l’espace public.

Parler d’espace public, c’est parler de démocratie et de solidarité. Rappelons-nous que la démocratie n’est pas née il y a 2500 ans à Athènes, mais qu’elle est le fruit des nombreuses luttes et résistances qui ont eu lieu tout au long de notre histoire et plus spécialement durant les deux derniers siècles. Elle est toujours à défendre et préserver. Comme la démocratie, l’espace public n’est jamais acquis pour toujours. Il nous faut oser le défendre, il nous faut reconquérir les territoires perdus. La convivialité et l’épanouissement de tous est à ce prix.

Un article de Jean-Yves Buron, publié par Vivre Ensemble Education, octobre 2012


[1] publicité qui exploite la « mode » du respect de l’environnement pour promouvoir des produits faussement écologiques

[1bis] Voir : http://marre.agora.eu.org/

[2] Voir : http://www.respire-asbl.be/VAP-Plate-forme-associative

[3] Voir : http://massecritique.agora.eu.org/ ; http://placeovelo.collectifs.net/ ;

[4] Voir : http://parkingday.org/


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- « Contester, (se) mobiliser… autrement! »

- « Quand les espaces pubics se défendent des indésirables »

- « Six regards critiques citoyens sur la pub »

Un commentaire sur “Privés d’espaces publics?”

  1. Coucou tout le monde.
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