Peser sur son quotidien via les TIC ?Gestes pratiquesReportages

13 mai 2013

Tablettes, blogs, web 2.0… Depuis quelques années, les outils numériques ont envahi notre quotidien, au point que les collectivités et les pouvoirs publics les intègrent dans leurs pratiques citoyennes et démocratiques. Focus sur « Ville sans limites », une application d’« urbanisme collaboratif ».

Et si vous imaginiez votre quartier tel que vous le souhaitez? Une tablette numérique entre les mains, vous interagissez en temps réel avec l’image de la rue dans laquelle vous vous trouvez et vous la modifiez à votre convenance : un espace vert ici, une piste cyclable là, une serre sur un toit ; du bout des doigts, rehaussez ou rapetissez un immeuble ; réduisez le nombre de places de parking… Une fois vos combinaisons choisies, l’application vous donne la possibilité de consulter les préférences des autres utilisateurs.

« C’est un outil qui permet de donner son avis sur un quartier, en amont d’un projet urbanistique », explique Alain Renk, architecte et fondateur d’UFO, une start-up participant à l’émergence de nouveaux outils pour un urbanisme plus « ouvert ». En octobre dernier, la ville de Rennes a testé cette application avec ses habitants, et leur a proposé de repenser un quartier proche de la gare. « L’outil peut être utilisé comme une base de connaissances pour les architectes. C’est aussi un élément concret pour lancer une concertation et un dialogue sur la ville de demain, entre la société civile, les élus et les professionnels. »

À Rennes, environ six cents habitants ont encodé leurs choix sur les tablettes prêtées par la ville. Des tendances se sont dessinées. « Sur cette base, nous avons transmis une étude sociologique à la ville qui est en train de réfléchir à la façon d’utiliser ces résultats », déclare Alain Renk. Cette application numérique pourrait donc servir d’aide à la décision aux élus et architectes, « mais elle n’est pas un outil de sondage, ni de vote », précise-t-il. Les avantages de cette application ? « On ne discute plus seulement avec les vingt mêmes personnes qui se déplacent lors d’une réunion de quartier ou d’une enquête publique, mais avec un public plus étendu qui donne 15 ou 20 minutes de son temps », répond le concepteur.

Delphine Denoiseux

Photo: © Unlimited Cities par UFO – Benjamin Boccas photographe

INTERVIEW DE LA CHERCHEUSE

Périne Brotcorne, auteure de l’étude « Les outils numériques au service d’une participation citoyenne et démocratique augmentée »

Symbioses : Que pensez-vous de ces applications numériques?
Périne Brotcorne : Si l’outil est utilisé en amont de la décision politique, comme cela semble être le cas, on peut parler de démocratie participative et dans ce cadre-là, la démarche atteint ses objectifs. Mais j’émets une réserve quant à l’utilisation de cet outil par tous car seule une élite se sent concernée par ces questions. En outre, il s’agit d’analyser le résultat : qu’est ce qu’on fait avec les propositions des habitants ? À quel point, influenceront-elles les décisions politiques ? Car il y a bien souvent un filtre d’expertise en bout de course.

Quel constat dressez-vous de la force du numérique dans le domaine de la participation citoyenne?
Le numérique revêt un potentiel considérable et séduisant en termes d’interactivité, mais ce n’est pas l’outil à lui seul qui peut garantir une participation citoyenne plus effective. Il facilitera peut-être la participation de ceux qui ont envie de s’engager dans ce type de projets, mais qui l’auraient fait par ailleurs, avec d’autres moyens.

Les dispositifs de participation numérique doivent-ils être chapeautés par une commune ou par les citoyens eux-mêmes ?
La plupart des études montrent que si ce genre d’initiatives part des pouvoirs publics, elles restent vides et l’interactivité n’est pas là. D’après moi, les initiatives doivent partir des citoyens, ou en tout cas, être proposées depuis la base. Lorsqu’il s’agit de participation à un niveau décisionnel, il faut que les pouvoirs publics concernés accompagnent l’initiative à un moment donné du processus.

Comment améliorer la participation en n’excluant pas les TIC ?

D’une part, la question d’une refonte des méthodologies de travail des pouvoirs publics doit être posée : les outils numériques ne modifient pas le débat de fond sur leur manière d’associer (ou non) les citoyens à leurs décisions. En Belgique, par exemple, je n’ai pas relevé d’initiatives de démocratie participative en tant que telles. Certes, des communes ont développé un site Internet interactif et les citoyens ont la possibilité d’y poster des vidéos et commentaires, mais elles ne les impliquent pas encore aux décisions proprement dites. D’autre part, il faut intéresser les gens à la chose publique et les former à la participation citoyenne et démocratique. C’est une démarche qui n’est pas innée. Dans ce cadre, les associations en éducation permanente jouent (et doivent continuer à jouer) un rôle fondamental, car elles emploient les outils du numériques afin de réintégrer le public précarisé, en lui permettant de s’exprimer sur des questions auxquelles il n’a pas l’habitude de répondre.

L’étude en ligne sur www.ftu-namur.org

FTU: Fondation Travail-Université

(Propos recueillis par D.D.)

Un commentaire sur “Peser sur son quotidien via les TIC ?”

  1. Alain Renk dit :

    Merci à Alain Breguy, philosophe activiste numérique de Strasbourg de m’avoir indiqué votre publication.
    Les questions posées par la chercheuse sont les bonnes. Effectivement, nos dispositifs d’intelligence collaborative sont destinés à être utilisés avant le travail des concepteurs. Pour éclairer à la fois les services de la ville et les concepteurs dans l’élaborations de projets plus en phases avec les attentes de la société civile.

    Depuis Rennes, nous avons travaillé avec Montpellier et Evreux, et d’autres projets sont en développement dont à Helsinki. À Evreux plus de 1500 personnes ont composé leur vision et une friche hospitalière en centre ville est devenu un objet de discussion partagé qui donne de nouvelles perspectives moins standardisées.

    Nos expériences depuis un an montrent que ce n’est pas une élite mais bien toute la population qui se sent concernée et le chercheur Christian Liccope de Telecom ParisTech (sociologie des usages) à montré comment l’enchaînement des commentaires citoyens développe une expertise pointue que les professionnels (nous en sommes) ne peuvent toujours saisir pour diverses raisons telles que l’autocensure par exemple.

    Nous commençons à entrevoir un monde où la question du devenir de ces expériences dans les usages et formes d’un milieu urbain devient une question qui n’a pas une réponse prédéfinie mais qui s’invente à partir d’un désir partagé par les élus et les citoyens. » Comment faire pour donner une suite concrète à cette expérience? » devenait un leitmotiv à Montpellier. La mairie réfléchi actuellement à une procédure pour construire rapidement des éléments urbains nés des échanges entre les habitants et les profesionnels… L’invention devra aussi etre administrative pour rester dans les cadres légaux. Les parties prenantes croisent les doigts.