Des femmes qui se tiennent la mainReportages

7 octobre 2013

Avec le soutien de l’organisation de femmes Amifanic, des femmes et des filles au Nicaragua apprennent qu’une vie sans violence est également possible.

AMIFANIC
Asociación de Mujeres para la Integración de la Familia en Nicaragua
QUI ? Organisation de femmes
QUOI ? L’association vise à améliorer les conditions de vie des femmes et des enfants victimes de violences domestiques. Elle se concentre sur l’assistance, la formation, la prévention, l’accompagnement juridique et le plaidoyer politique.
NICARAGUA
Le Nicaragua est le deuxième pays le plus pauvre d’Amérique. La pauvreté et les relations hommes-femmes alimentent la discrimination et la violence envers les femmes. Le gouvernement est caractérisé par une inertie et un manque de volonté politique. Les obstacles pratiques tels que les frais de justice et le manque d’intérêt de la part de la police pour poursuivre les auteurs font que cette injustice persiste.

Katia Josefina Peréz Lopéz est l’une des femmes qui ont trouvé un soutien chez Amifanic. Elle a 37 ans et est mère de trois filles. Pendant 12 ans, elle a vécu heureuse avec son ex-partenaire, sous-commissaire de police et père de ses enfants. Les querelles, et la violence, étaient plutôt rares à cette époque. Toutefois, les trois années suivantes auront été un véritable enfer. Disputes, violence verbale et agressions physiques étaient alors leur lot quotidien. Sa fille handicapée et elle-même en ont tout particulièrement été victimes.

« D’après lui, j’accordais plus d’attention à notre fille handicapée qu’à lui. Par exemple, il estimait que je passais trop de temps dans le centre où elle suit une thérapie. À une certaine période, je m’y rendais chaque jour et il ne le supportait pas, il ne pouvait accepter que sa fille était handicapée. »

« Il s’est mis à boire plutôt que de nous aider. La situation n’a alors fait qu’empirer. Il l’accusait d’être la cause de nos problèmes relationnels. Et elle subissait aussi ses accès de violence. »

« Initialement, la violence restait cantonnée au contexte de notre foyer, mais après un certain temps, il s’est même mis à m’agresser en public. Il faisait même des scènes dans le centre de jour de notre fille handicapée. C’est le psychologue du centre qui m’a informé de l’existence d’organisations où je pouvais trouver de l’aide pour mes problèmes. Il m’a mis en contact avec le mouvement de femmes Amifanic. »

Une nouvelle loi punit les auteurs

Avec l’aide du partenaire d’Oxfam Amifanic, Katia a déposé une plainte auprès du tribunal sur base de la nouvelle ‘loi générale contre la violence faite aux femmes’ approuvée par le parlement du Nicaragua et entrée en vigueur le 25 mai de l’année dernière.

Son procès a eu lieu en septembre de la même année. Le juge a donné raison à Katia, et il a ainsi fait du policier le premier homme à avoir été déclaré coupable en vertu de cette loi.

Le mouvement de femmes et d’autres organisations de la société civile partageant les mêmes idées ont œuvré en faveur de cette loi pendant des années. Elle n’est pas parfaite et offre peu de moyens pratiques pour combattre les causes structurelles de la violence faite aux femmes.

La loi met l’accent sur la responsabilité des individus plutôt que sur la situation sociale dans le pays. Cependant, elle constitue à tout le moins un moyen de combattre l’impunité qui prévaut à l’heure actuelle. L’an passé Amifanic a mis beaucoup d’énergie dans la publicité autour de cette nouvelle loi. L’organisation peut compter sur tout un réseau de travailleuses communautaires ou promotoras de los derechos humanos. Les 200 femmes doivent souvent racler les fonds de tiroir pour joindre les deux bouts. Malgré tout, elles s’engagent bénévolement en faveur de leurs compañeras dans leur quartiers.

La tâche de ces bénévoles est d’améliorer la connaissance des droits humains au sein de leur propre communauté, où souvent les femmes ne savent même pas qu’elles ont aussi des droits. Pour améliorer cette situation, les bénévoles reçoivent une formation de l’association, et partagent ensuite ces connaissances lors de réunions de quartier, appelées Charlas comunitarias, conversations communautaires.

Régulièrement, elles rassemblent les femmes dans leur salon pour leur permettre de parler de la violence faite aux femmes. Mais, souvent, les thèmes abordés dépassent la question de la violence, et il est alors également question d’autres problèmes de société tels que le manque d’accès des femmes aux soins de santé et à l’éducation.

Pour ma communauté !
Mercedes Rezo Davila est l’une des ‘promotoras’ qui s’efforce d’aider les femmes de sa communauté.
« Au départ, j’avais moi-même un problème : deux de mes cousines étaient maltraités. J’ai sollicité de l’aide auprès du ministère de la Famille, mais celui-ci n’a pas voulu m’aider. J’ai alors appris l’existence, via une ‘promotora’, d’une organisation capable de m’aider, et c’est ainsi que j’ai découvert Amifanic.
Entretemps, je suis moi-même devenue ‘promotora’ et j’aide les gens qui en ont besoin. J’aime ce que je fais car je n’aime pas que des enfants ou des femmes soient maltraités ou que des problèmes intrafamiliaux surviennent.
Je peux m’adresser à Amifanic pour quelque problème que ce soit. J’y reçois des conseils, un accompagnement et, si nécessaire, ils viennent jusqu’à nous pour aider celles qui en ont besoin. Grâce à tout ce qu’ils m’ont appris, je peux à mon tour aider de nombreuses autres femmes. Je n’ai plus peur de m’impliquer et je sais comment parler aux gens.
Ma famille me soutient : elle participe régulièrement aux réunions de quartier ou aux manifestations.
J’espère que je pourrai continuer à m’investir pour ma communauté et qu’il y aura toujours suffisamment de ‘promotoras’. »

La spirale de la honte et de la violence

Les femmes qui sont victimes de violences ont souvent honte d’en parler. De plus, elles s’estiment souvent responsables de cette situation. « Grâce à Amifanic, j’ai trouvé la force de ne plus me taire, de porter plainte, de regarder vers l’avant et d’être forte. Ils ont eu de la patience, ont écouté mon histoire et m’ont comprise. Amifanic m’a rendu confiance en moi et en mes semblables. Je n’avais plus confiance en personne, je ne pensais pas que quiconque puisse avoir des intentions louables envers moi. Si quelqu’un se rapprochait trop de moi, je commençais à crier. »

« C’est très douloureux et gênant d’admettre ouvertement que vous êtes abusée par votre partenaire, et de quelle manière. Grâce à Amifanic, j’ai osé franchir le pas. Mais le procès était très difficile. Ce n’était pas facile de le revoir et de dire les choses comme elles étaient sans crainte et sans pleurer. C’était traumatisant, notamment lorsque je me remémorais la peur dans les yeux de mes enfants quand il a pris son arme, l’a chargée et menacé de me tuer. J’étais très nerveuse avant le tribunal et, sans Amifanic, j’aurais abandonné. Elles sont venues me chercher, m’ont offert un petit déjeuner et un thé calmant, ont donné à manger à mes enfants et s’en sont occupées comme s’il s’agissait de leurs propres enfants. Elles m’ont rassurée. »

Le jour du jugement, plusieurs organisations de femmes, dont Amifanic, ont rassemblé beaucoup de monde pour une manifestation au cours de laquelle elles ont exprimé leur soutien à Katia.

Rêver d’un avenir

« Je n’oublierai jamais ce qu’Amifanic a fait pour moi et continue à faire pour moi, car ses membres m’aident encore. Quoi qu’il arrive, elles sont toujours là pour moi. Ainsi, je ne me sens pas seule, je sais que je peux compter sur quelqu’un, sur des gens qui ne jugent ou ne critiquent pas. »

Malgré tout ce qu’elle a vécu, Katia ose encore rêver. Elle voudrait ouvrir un institut de beauté avec un salon de coiffure, ainsi qu’une petite boutique où sa fille handicapée pourrait vendre les bijoux qu’elle a appris à fabriquer au centre.

« Elle pourra ainsi apprendre à voler de ses propres ailes. Mais en fait, je veux tout simplement aller travailler, gagner ma vie, pouvoir rentrer à la maison sans crainte et profiter de mes enfants. »

Comme beaucoup de ses pairs au Nicaragua, Katia a encore un long chemin à parcourir, probablement parsemé d’échecs et de réussites. Dans tous les cas, des organisations comme Amifanic se tiennent toujours prêtes pour la soutenir et l’écouter. Et qui sait, Katia arrivera peut-être un jour à transformer ses rêves en réalité.

Un ancrage fort et précieux

Oxfam soutient Amifanic dans sa lutte contre la violence faite aux femmes », explique Liana Simmons, gestionnaire de programme pour le Nicaragua pour Oxfam-Solidarité. « Nous nous concentrons sur le renforcement des capacités existantes au sein de l’organisation afin qu’elle :

  • encourage les collectivités locales à mener des actions communes pour essayer de prévenir la violence contre les femmes;
  • puisse fournir une assistance de qualité aux femmes et aux filles qui ont été victimes de comportements violents;
  • puisse engager des partenariats stratégiques afin de mener ensemble des actions de sensibilisation et de plaidoyer.
  • La particularité d’Amifanic réside dans son ancrage très fort dans la société. Elle peut compter sur un vaste réseau de bénévoles et de sympathisants.

    En outre, elle entretient des liens étroits avec d’autres organisations de la société civile et est reconnue internationalement pour son combat. Tout ceci renforce sa capacité à mobiliser autour de la lutte contre la violence faite aux femmes et aux filles. Voilà pourquoi, en tant qu’Oxfam, nous considérons notre collaboration avec Amifanic comme précieuse. Nous pouvons contribuer à ce que les filles et les femmes nicaraguayennes puissent mener une vie où la violence n’est plus une réalité quotidienne. »

    Mieke Vandenbussche
    Article paru dans le magazine d’Oxfam-Solidarité Globo (n°43 – septembre 2013)

    Photo : © Tineke D’haese/Oxfam-Solidarité

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