En confiance entre femmesClés pour comprendreReportages

8 mars 2015

Depuis plus de 20 ans, l’ONG Oxfam collabore avec des partenaires en santé dans le Territoire palestinien occupé. Parmi ses défis : apporter des soins aux femmes dans des zones reculées de Cisjordanie.

L’occupation israélienne impose de fortes restrictions de mouvement à la population palestinienne vivant en Cisjordanie. Un mur et des check-points séparent les habitants, des routes sont fermées aléatoirement, des zones sont réservées aux militaires israéliens… Avec tous ces obstacles, il faut parfois des heures pour se rendre au centre de santé le plus proche. Et même là, les services dispensés par le ministère de la Santé de l’Autorité palestinienne sont souvent insuffisants pour les besoins de la population, tant en nombre qu’en qualité.

(U)HWC
QUI? (Union of) Health Works Committees
QUOI? Une ONG médicale palestinienne de développement,
spécialisée dans les soins de santé primaires et secondaires, visant en priorité les personnes les
plus vulnérables.
TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ
Israël occupe la Cisjordanie et la Bande de Gaza depuis 1967. Cette occupation, condamnée par la communauté internationale, a provoqué une fragmentation politique et sociale croissante, une forte dépendance à l’aide internationale et est à l’origine d’une pauvreté profondément enracinée. Dans la bande de Gaza, un blocus paralyse l’économie depuis 2007, empêchant la circulation des biens et des personnes, ce qui complique considérablement l’accès aux services de base.

Le partenaire d’Oxfam (U)HWC (voir encadré) se compose de deux organisations sœurs, une à Gaza et l’autre en Cisjordanie. A Gaza, UHWC a été un partenaire privilégié lors de notre réponse d’urgence suite au conflit de cet été (voir encadré). En Cisjordanie, HWC travaille avec Oxfam à l’accès aux soins de santé maternelle et reproductive pour les femmes des régions d’Hébron et de Bethleem.

Des soins et des conseils

HWC a identifié 8 localités qui n’étaient pas suffisamment couvertes par le système de santé publique. Ils y ont donc installé un système de « cliniques mobiles ». Ces cliniques viennent chaque semaine à la rencontre des femmes et de leurs enfants de moins de 5 ans ainsi que des femmes handicapées. La clinique consiste en une équipe médicale avec une femme médecin, une éducatrice en santé publique, une infirmière et une assistante sociale.

L’équipe se déplace chaque jour et s’installe dans des locaux mis à leur disposition pour y donner leurs consultations. C’est ainsi qu’à Beit Ula, un village dans la région d’Hébron, la clinique mobile vient chaque dimanche s’installer dans un bâtiment municipal. Après les consultations, l’équipe anime toujours une séance d’information et de sensibilisation sur des thèmes liés à la santé sexuelle et reproductive.

Dans la salle d’attente, les femmes viennent principalement pour le suivi de leur grossesse ou pour des problèmes gynécologiques. Mufefa, 32 ans, en est à son 6e mois de grossesse. Elle attend son septième enfant, un petit garçon, et raconte pourquoi elle est venue : « Hier je suis tombée dans les escaliers et après je ne sentais plus le bébé bouger donc j’avais peur qu’il soit mort. » Soulagée par le diagnostic rassurant du médecin, elle va en profiter pour aller ensuite à la session d’information qui est organisée dans la salle d’à côté.

Pour Nadja, femme médecin qui travaille pour HWC depuis 13 ans déjà, son rôle ne s’arrête pas aux soins. « En plus des séances d’information, nous profitons des consultations pour les conseiller, sur le planning familial par exemple. Et nous recevons des personnes victimes de violence domestique 4 à 5 fois par mois, je réfère ces cas à l’assistante sociale. »

Violences conjugales

Selon l’Institut de statistiques de l’Autorité palestinienne (PCBS), en 2011, 37% des femmes mariées en Cisjordanie avaient été victimes de violence conjugale. Salam, assistante sociale dans la même équipe, a donc un travail essentiel.

« Il y a beaucoup de femmes victimes de violence domestique autour de nous. Mais elles ne viendront pas en parler directement. C’est une problématique sensible dans la communauté. Donc ici, avec des soins, du dialogue et de sessions d’information, nous créons des liens de confiance. Cela les fait se sentir en sécurité. Et parfois des mois après, elles vont oser nous en parler. »

Mais accompagner les femmes est aussi une tâche très délicate. « Souvent elles ont juste envie d’avoir un espace où elles peuvent parler en toute sécurité et confidentialité », ajoute Salam. « La plupart du temps, elles veulent des conseils sur la manière dont elles peuvent s’adapter et réagir face à un mari violent. » Un divorce reste dur à assumer. Salam se rappelle d’une femme battue chaque semaine par son mari. Leurs familles respectives insistaient pour les réconcilier. « Ils lui disaient ‘C’est ton mari, c’est ta responsabilité’. Par contre ils n’ont pas insisté pour que lui arrête de la battre. »

Lorsque c’est nécessaire, Salam collabore avec d’autres associations. « Dans la plupart des cas où la femme veut divorcer, sa famille ne soutient pas son choix. Alors je les renvoie vers des organisations de protection juridique. Mais avant je leur explique bien les conséquences d’un divorce sur leur famille, dans leur communauté. Il faut qu’elles soient sûres que c’est ce qu’elles veulent. »

Les MST en question

Juste à côté de la salle de consultations, les séances d’information ont lieu dans une grande salle vide. 25 femmes de tous âges s’y pressent et s’installent autour d’un petit écran en noir et blanc. L’attente et l’enthousiasme est palpable et les conversations déjà animées. Certaines d’entre elles sont venues avec leurs jeunes enfants.

« Avec des soins, du dialogue et des sessions d’information, nous créons des liens de confiance avec les femmes »

La session est présentée par Iman, une jeune éducatrice en promotion de la santé. Elle est visiblement très à l’aise avec son auditoire. Iman s’attaque avec beaucoup de sérieux à des sujets on ne peut plus délicats à aborder, comme par exemple les maladies sexuellement transmissibles. Elle encourage vivement les femmes à ne pas hésiter à se faire dépister.

Iman n’hésite pas à se prendre elle-même comme exemple, notamment pour leur expliquer qu’il est parfois difficile d’être sûre qu’on n’est pas infectée par une maladie sexuellement transmissible : « Par exemple mon mari va travailler le matin et il ne rentre que le soir. Quand il rentre, comment est-ce que je peux être sûre de ses faits et gestes ? Je ne sais pas ce qu’il a pu faire après tout. »

La discussion devient vite très animée et les questions fusent. Certaines plus difficiles que d’autres. « Comment puis-je forcer mon mari à utiliser un préservatif s’il n’en a pas envie? ».

Planning familial

Le débat continuera tout au long de la séance d’information qui aborde d’autres thèmes tels que la nutrition.
A la fin les femmes sont unanimes : « C’était une excellente session, ça m’a été très utile », s’exclame Nibal avec enthousiasme. Jeune mère de 25 ans, elle est venue avec son troisième enfant, un petit garçon de 4 mois qui est resté très sage pendant la séance. « Ces séances permettent par exemple de comprendre comment fonctionne le planning familial. Moi, grâce au planning familial, j’ai pu attendre 5 ans entre la naissance de mon premier enfant et du deuxième. Quand j’ai eu le premier, je n’avais que 18 ans. »

Quelques femmes s’attardent encore et l’équipe de la clinique reste pour les conseiller individuellement. 9.600 femmes devraient pouvoir suivre ces séances d’information d’ici à la fin de l’année à travers ce projet, financé par la Coopération belge au développement.

Article paru dans le magazine d’Oxfam-Solidarité Globo (n°48 – décembre 2014)

Photo : © Tineke D’haese/Oxfam-Solidarité

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