Cuisiner, c’est rencontrerReportages

20 juillet 2015

A l’intersection de l’éducation au développement et de l’alphabétisation, des ateliers de cuisine réveillent la curiosité et valorisent les participants. Récit de Astrid Galliot récolté par Violaine Wathelet (1).

En utilisant l’alimentation comme prétexte, Astrid Galliot avec l’aide des acteurs sociaux a pu construire des savoirs et se mettre en action avec des personnes migrantes avec lesquelles Rencontre des continents n’avait pas l’habitude de travailler. Et ce travail en a valu la chandelle, car les projets semés en 2012 continuent à germer aujourd’hui.

En 2012, donc, Rencontre des continents met en place le projet « Mettre en cuisine écologique et politique : un enjeux pour le changement social ! » Un titre ambitieux reflétant un vaste programme : celui d’éveiller un débat, des réflexions, des espaces de rencontre autour de la cuisine avec des participants exclus des débats publics. L’alimentation est une excellente porte d’entrée dans la mesure où elle nous concerne tous et parle de nous tous. Elle permet ainsi de partir de soi pour explorer le monde, de métisser les identités.

Le travail de Jean-Claude Metraux, comme une voix qui a guidé le travail d’Astrid, souligne qu’«une valorisation excessive des racines conduit à l’isolation, au ghetto ; à l’inverse une valorisation exclusive de la culture d’accueil mène à l’assimilation, au prix d’une mise à l’écart des savoirs ancestraux. La reconnaissance de l’apport respectif des deux cultures permet l’intégration créatrice, seule possibilité de se créer un futur « sur terreau d’Histoire ». Le rejet des deux modèles donne l’exclusion, ou double-marginalisation, qui fait échouer le migrant sur « une terre de nulle part »(2).

Pour constituer ces groupes, Astrid Galliot s’est tournée vers des associations d’alphabétisation et des maisons de quartier, mais s’est également dirigée vers des participants non mobilisés.

Le projet s’est déroulé en plusieurs phases. Il fallait s’assurer, dans un premier temps, que la thématique parlerait aux participants des différents groupes sélectionnés (trois groupes d’alphabétisation, des associations de quartier, un groupe de discussion en promotion de la santé, des habitants de logements sociaux non mobilisés. Dans le cas contraire, inutile d’aller plus loin. Ce ne fut pas le cas. Ce premier contact a donc permis de prendre conscience que la thématique de l’alimentation était mobilisatrice et qu’elle faisait sens pour les participants. La deuxième étape consista alors à réunir ces différents groupes afin qu’ils réalisent qu’ils n’étaient pas les seuls à réfléchir sur l’alimentation.

Cette réunion a généré un espace d’échange et de partage autour des questions du type :

Comment créer le changement ? Comment allons y arriver ? Quels sont nos gros freins ? Ces interrogations ont créé le lien avec la troisième phase : une formation pour renforcer leurs connaissances et compétences dans le domaine.

Celle-ci s’est construite selon l’idée que le formateur en éducation au développement devait oublier tout ce qu’il connaissait pour le mettre au service du groupe lorsque la réflexion émerge. Plus spécifiquement, la formation comprenait trois moments : un apport théorique —basé sur le vécu expérientiel et les questions des participants en évitant le plus possible de passer par la langue (les outils utilisés ont donc été réalisés en fonction du public)—, de la pratique —dans le but de faire prendre conscience aux participants qu’ils sont capables de réaliser, d’entreprendre— et des visites. Cette formation articulée en trois modules sur neuf jours a été pensée en partant des contraintes et réalités des participants. Après ces neuf jours, au regard de ce qui avait été intégré, chacun est spontanément venu avec une envie, un rêve de réalisation d’une action individuelle et d’une action collective.

Si la quasi totalité des participants a vraiment modifié ses habitudes alimentaires à la mesure de ses moyens, les actions individuelles sont restées à ce stade sauf dans le cas où elles ont pu devenir une activité professionnelle. Les actions collectives, quant à elles, ont pu éclore seulement si elles étaient soutenues par une structure dans laquelle s’inséraient les participants, et par les animateurs relais de ces associations.

Ainsi, Rencontre des continents a continué à suivre deux structures associatives : une association de quartier et un centre d’alphabétisation. Les membres de la première ne venaient que ponctuellement. Depuis le projet de maîtres cuisiniers, un groupe de femmes s’est constitué et réalise régulièrement des tables d’hôtes itinérantes dans le quartier.

Au sein de l’autre structure quelques femmes réalisent également des tables d’hôtes et veulent aller plus loin puisqu’elles ont demandé d’être d’avantage formées afin de passer le message lié aux problématiques alimentaires à leurs hôtes. Selon elles, « ceux qui croient qu’onne fait que de la cuisine, n’ont pas compris ». Le processus est enclenché. Des femmes, anciennes apprenantes, deviennent des personnes-relais dans la transmission des savoirs. De plus, l’association n’a pas voulu s’arrêter en si bon chemin. Elle a intégré dans ses cours d’alphabétisation un module « alimentation durable ». Nous sommes précisément, ici, à l’intersection de l’éducation au développement et de l’alphabétisation. Quand l’éducation au développement devient un outil d’alphabétisation…

Le processus n’était donc pas occupationnel mais bien transformationnel puisqu’il a permis de faire passer à l’action, de réveiller la curiosité et de valoriser les participants.Retour ligne automatique

Ces résultats si positifs sont dus, en partie, à la prise en compte de quelques points d’attention : l’importance de l’acteur social comme personne-relais auprès des groupes, l’association collaboratrice, les préjugés entre les deux mondes (éducation au développement et acteurs sociaux), l’engagement sur le long terme des participants, le temps qu’ils ont à consacrer à ce genre de projet.

Mais Astrid insiste aussi sur le fait que tant l’apprentissage que l’échange se sont construits dans une dynamique positive, créatrice de liens.

L’espace, chargé d’une confiance mutuelle, a pu alors se remplir du vécu des participants et s’évader vers des questions transversales qui touchent tout le monde. Mais, ce travail n’a été possible qu’avec la collaboration des acteurs sociaux.

Comment donc faciliter les ponts entre acteurs d’éducation au développement et acteurs sociaux ?

Concrètement, Astrid Galliot propose de répertorier sur le territoire de l’action tous les acteurs qui pourraient s’intégrer dans une collaboration. Une fois ce répertoire constitué, il s’agirait de voir les liens, d’abord naturels, qui pourraient s’établir entre les différents acteurs et s’accorder sur des thèmes communs.

Mais la collaboration se réalise d’abord dans la tête et, selon Astrid Galliot, certains préjugés réciproques doivent être levés, car ils sont des freins à la constitution d’un réseau. Rencontrons-nous, donc.

Et pourquoi pas autour de la cuisine ?


Violaine Wathelet

(1) Interview réalisée dans le cadre de l’atelier d’échanges et de réflexion « Faire de l’éducation au développement avec tout le monde ? » organisé par Frères des hommes et ITECO en décembre 2014.
(2) Jean-Claude Métraux, La migration comme métaphore, Paris, La Dispute, 2011

Article publié dans Antipodes n°208, mars 2015, la revue d’Iteco

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