La première formation à la bio voit le jour dans l’enseignement supérieurReportages

19 octobre 2015

Il y a deux ans déjà Valériane n°101 faisait part du souci de Nature & Progrès d’aider nos Hautes écoles à se doter d’une véritable formation agricole consacrée à la bio. Le chemin aura été long et semé d’embûches mais la bonne nouvelle peut enfin être annoncée : dès le mois de septembre 2015, la Haute Ecole de la Province de Namur (HEPN) proposera, à Ciney, une spécialisation en agriculture biologique. Avis aux amateurs : le chaînon manquant de la formation agricole a enfin été retrouvé !

Alors que la confiance dans les produits issus d’une agriculture biologique de qualité croît sans cesse, alors que le public plébiscite avec force les circuits courts, le manque d’expertise au sein du secteur agricole wallon devenait flagrant afin de satisfaire pareille demande. Et ce n’était pas faute d’imaginer l’énorme plus-value économique qu’apporterait cette production à notre région déficitaire en fruits et légumes, par exemple, en céréales et en pommes de terres… Rappelons également que la taille humaine des exploitations bio les rend très intensives en main-d’oeuvre. De quoi faire revivre nos campagnes en enrayant le terrible déclin du monde paysan. Le premier cursus en agriculture biologique verra donc enfin le jour, chez nous, en septembre 2015 grâce aux efforts du collectif que nous évoquions dans Valériane n°101, grâce aux efforts d’enseignants très motivés, comme Louis-Marie Fiasse qui porta le dossier à l’intérieur de la Haute école. Attention ! Il s’agit bien d’une année de spécialisation ouverte à des bacheliers en agronomie, détenteurs d’un « bac +3″ pour reprendre la terminologie française, c’est-à-dire des étudiants qui ont réussi trois années d’études supérieures en agronomie, soit un graduat comme nous disions naguère. Cette spécialisation sera donnée, à Ciney, par l’HEPN qui ne doit pas être confondue avec l’EPASC – encore appelée Saint-Quentin – qui dispense la formation secondaire en agronomie.

Une pédagogie en lien direct avec le terrain

Et il s’agit bien d’agronomie, disons-le clairement, c’est-à-dire d’une science qui englobe, en plus de l’agriculture proprement dite, tout ce qui touche à la transformation, à la distribution et à la commercialisation des produits que nous mangeons ; tout ce qui touche, d’une manière très générale, à l’évolution de nos systèmes alimentaires. « Il n’y a plus aujourd’hui de rejet frontal de la bio par une large frange du monde agricole comme c’était encore le cas il y a une dizaine d’années, constate Emmanuel Devroye, directeur-président de l’HEPN. Trop de crises sont, hélas, survenues entretemps – crise du lait, difficultés croissantes à transmettre les exploitations… – et la plupart des fermiers conventionnels, même s’ils n’en approuvent pas nécessairement les démarches et les techniques, l’admettent comme une possibilité de maintenir de l’activité dans les campagnes. Dans cet esprit, nous n’avons pas cherché à révolutionner la formation agricole mais simplement à proposer une année de spécialisation, s’adressant aux bacheliers en agronomie – les anciens « gradués » -, qui vise à compléter leurs acquis agronomiques de base afin de leur permettre d’embrasser les métiers de la bio. Il s’agit donc d’une formation professionnalisante qui développe des compétences de terrain dans le but de former, pour l’essentiel, des agriculteurs bio et des conseillers agricoles sensibles aux valeurs et à l’esprit de l’agriculture biologique. Cette nouvelle formation est également conçue avec le souci de valoriser l’acquis de l’expérience ; elle acceptera donc des candidats sans diplômes qui seront en mesure de prouver – sur base d’un dossier ou d’un examen que nous mettrons en place – une compétence réelle en agronomie, une véritable expérience de terrain, dans une ferme par exemple… Je pense ici principalement à des agriculteurs en reconversion vers l’agriculture biologique qui ressentiraient le besoin d’un complément de connaissances…

La pédagogie de la nouvelle formation sera donc volontairement en lien étroit avec le terrain.« Il nous paraît fondamental d’ouvrir en grand le cursus aux réalités du secteur, affirme Emmanuel Devroye, et de l’adapter constamment aux besoins concrets des étudiants. Eux-mêmes doivent être en permanence encouragés à se servir de la formation pour développer leurs approches, leurs choix personnels. Car, d’une manière générale, les étudiants qui choisissent des formations de ce type savent déjà très bien ce qu’ils souhaitent en retirer… La nôtre fera par conséquent la part belle à la rencontre et à l’échange avec des agriculteurs déjà confirmés dans le métier : travaux pratiques, stages et visites de fermes occuperont plus de la moitié des heures de cours. D’autre part, les enseignants recrutés par l’HEPN seront choisis sur base de leur expérience – technique ou autre – dans le domaine et au service de la bio. Le sujet du stage sera déterminé par l’étudiant lui-même qui pourra ainsi se composer un véritable programme d’étude personnalisé correspondant à son projet professionnel. Il appartiendra évidemment à l’école de valider la question scientifique soulevée, de même que le lieu et la compétence du maître de stage. Le travail de fin d’études (TFE), tout comme le stage qui durera treize semaines, pourra être en rapport étroit avec ce projet personnel. Tous deux pourront concerner, le cas échéant, un soutien technique apporté à un producteur ; je songe, par exemple, à un producteur maraîcher qui fait des paniers et qui rencontre des difficultés de commercialisation. Il s’agirait ainsi – pourquoi pas ? – d’une véritable coopération dans une situation réelle… La question, très complexe, de la transition vers l’agriculture biologique pourrait également fournir d’excellents contextes de stage et de TFE, je l’ai déjà évoqué. Pourquoi ne pas imaginer qu’un agriculteur en transition vers la bio puisse, par ce biais, faire cautionner sa démarche par quelqu’un qui est déjà reconnu et certifié depuis longtemps ? La reconnaissance du stage, interne à l’école, se doublerait ainsi d’une autre reconnaissance, externe, venue du secteur lui-même. Ce serait formidable… Tout sujet de recherche ou de recherche appliquée émanant de situations réelles, de problèmes concrets rencontrés par des agriculteurs, ou encore de demandes qu’ils formuleraient, nous paraissent donc intéressants… Les questions agricoles et alimentaires sont toujours ancrées dans la réalité ! Précisons toutefois que, pour ne pas décourager les étudiants qui auraient déjà une activité, la possibilité leur sera offerte d’étaler le cursus sur deux années… »

Et de la théorie également…

Evidemment, d’importantes bases théoriques figureront également au menu de cette année de spécialisation : aspects réglementaires, analyses et diagnostics de systèmes de production, connaissance du secteur, conduite de projet, agronomie appliquée à la bio… Et, bien sûr, un aperçu des techniques de production spécifiques à l’agriculture biologique qui connaîtront, nous l’avons dit, d’importants développements sur le terrain, dans les exploitations les plus appropriées en fonction des projets développés par chacun.

« Des échanges d’étudiants, ou même de professeurs, avec des écoles d’autres pays – sans doute, dans un premier temps, principalement de France mais aussi de Suisse et du Canada – seront également rendus possibles grâce à la reconnaissance internationale dont bénéficie la HEPN, notamment dans le cadre du projet européen Erasmus, se réjouit Emmanuel Devroye. Un projet de partenariat de recherche sur la question des prairies durables est, par exemple, déjà à l’étude avec une institution allemande… Des collaborations académiques seront également mises en place avec les autres Hautes écoles wallonnes : des parties de la formation pourront être co-organisées avec elles. Nous leur confierons une semaine de cours dans les domaines où leur expertise est principalement reconnue, par exemple le maraîchage pour la Haute école Condorcet, à Ath, ou la gestion des prairies herbagères, en ce qui concerne la Haute école de la Province de Liège, à La Reid… Par ailleurs, un consortium existe déjà entre les cinq Hautes écoles qui proposent un bachelier en agronomie en Région wallonne- voir le site www.futuragro.be – et un projet nommé J-Agro regroupe encore ces mêmes écoles, ainsi que les ONG ADG, SOS Faim et Vétérinaires sans frontières… Les possibilités de collaborations extérieures, on le voit, ne manquent donc pas. Ajoutons encore à tout cela que la rentrée académique de l’HEPN se fera sur le thème de l’agroécologie… »

Dépasser les a priori idéologiques…

« Une démarche académique telle que la nôtre a pour but essentiel de permettre l’accès à des savoirs et à des compétences que notre société demande, insiste Emmanuel Devroye ; elle doit donc s’adapter aux réalités émergeantes et veiller à ne pas reproduire des modèles qui sont aujourd’hui en perte de vitesse . Si énormément de gens veulent aujourd’hui manger bio, c’est parce qu’ils y voient une piste susceptible de nous faire enfin sortir de la crise alimentaire que nous traversons. Bien sûr, s’avance encore le spectre du produit bio industriel… En tant qu’enseignants, nous devons dépasser les a priori idéologiques à son égard et nous efforcer de rester dans un débat d’idées perpétuellement ouvert. Cette richesse intellectuelle sera d’abord garantie par la confrontation des enseignants recrutés pour dispenser la formation ; elle le sera également par la très large ouverture et la collaboration permanente que nous souhaitons mettre en place avec le secteur. Mais elle le sera davantage encore par les nombreux échanges avec les partenaires étrangers qui auront lieu sous les auspices d’Erasmus. Il est donc très important, à nos yeux, que nos étudiants aient la volonté de valoriser une partie de leur cursus sous d’autres cieux. Et il est tout aussi capital que les échanges entre enseignants soient le plus riches possible… Cette qualité sera également garantie par notre souci d’acquérir des ouvrages de référence en matière d’agriculture biologique et de le tenir à la disposition de nos étudiants.
Ciney est un lieu central pour le monde agricole wallon ; la capitale du Condroz est un fief historique de l’agriculture dans notre région. N’y créa-t-on pas le célèbre « blanc-bleu » ? Il est donc essentiel d’y montrer également que quelque chose de neuf se passe, qu’une véritable transition est en marche au coeur de notre agriculture… C’est pourquoi je suis convaincu que notre nouvelle formation à la bio va rencontrer un vif succès ! »

Dominique Parizel

Article publié dans la Revue Valériane N°114 (juillet-août 2015) de Nature & Progrès

Contact
HEPN Agronomie
avenue de Namur, 61
5590 Ciney
081/77.59.29
www.hepn.be
bac.agronomie@province.namur.be

Un commentaire sur “La première formation à la bio voit le jour dans l’enseignement supérieur”

  1. Traore dit :

    cet article pourra nous aider dans le travail de vulgarisation