Une promenade africaine au quartier des Casernes à BruxellesReportages

2 novembre 2015

Peu de rues parcourues mais que d’histoires à réviser pour que la vérité historique soit partagée. Thieffry, Pétillon, Lothaire, ces noms vous disent quelque chose ? Aujourd’hui ils sonnent comme des stations de métro, de tram ou de bus à Bruxelles. Pourtant, derrière ces noms se cachent des histoires. Le quartier des Casernes est truffé de rues qui portent les noms de militaires liés à l’histoire coloniale.

14h30, lundi de Pentecôte, station de tram Pétillon. Rendez-vous nous a été donné pour un parcours du Collectif Mémoire coloniale et lutte contre la discrimination, une association qui rassemble une centaine d’associations africaines. C’est un nouveau circuit que nous allons expérimenter ce jour-là, le parcours Etterbeek, dans le quartier des casernes qui longent le boulevard Général Jacques. Kalvin Soiresse Njall, coordinateur du collectif, sera notre guide. Nous avons de la chance, il ne pleut pas.

Premier arrêt et petit rappel du contexte pour commencer. Si la propagande royale a toujours dit que la colonisation s’était faite pacifiquement, Leopold II a eu besoin de nombreux militaires pour installer sa colonie au Congo. Beaucoup d’officiers ont ainsi été glorifiés au dépend de la vérité historique.

C’est ainsi que nous apprenons que le major Pétillon, Arthur de son prénom, a construit le fort militaire de Boma et que les commandants Lothaire et Ponthier ont participé à la campagne « anti-esclavagiste » (un monument du Cinquantenaire illustre cette campagne). Le premier a joué, comme le Général Jacques, un grand rôle dans les exactions pour mater la révolte des mutins Batetelas de la Force publique. Le général fut aussi mis en cause dans le rapport du diplomate irlandais Roger Casement sur l’exploitation du caoutchouc au Congo (voir le magnifique livre de Vargas Llosa Le rêve du Celte) comme « le plus grand récolteur de caoutchouc et coupeur de mains ».

Bien entendu, pour faire la guerre, on a besoin de soldats. Au fil des rues, nous apprenons, que la Force publique fut créée en 1885 par le lieutenant Camille Coquilhat pour engager des soldats congolais. Les officiers, quant à eux, provenaient de différents pays. C’est ainsi que le français Ludovic Joubert offrit ses services à l’Etat indépendant du Congo. Il fut aussi le premier blanc à épouser en justes noces une africaine avec laquelle il eut dix enfants !

Le lingala fut choisi comme langue commune pour tous les soldats. Le recrutement ? Au début, des esclaves, achetés au célèbre marchand Tippu Tipp, qui étaient libérés s’ils acceptaient de s’engager pour quatre ans dans la Force publique, mais la plupart des soldats étaient des Congolais, parfois volontaires, le plus souvent enrôlés de force et certains même kidnappés dans leur enfance et élevés à la dure dans des missions catholiques. A côté des soldats, il fallait également des porteurs. La plupart partaient avec femmes et enfants. Les femmes faisaient la cuisine. Vu les conditions que tout ce monde devait endurer, peu ont résisté au cours des expéditions. Il fallait toujours recruter de nouveaux soldats, de gré ou de force.

En 1897, la Force publique comptait 14 mille hommes dont 8 mille autochtones provenant des levées annuelles, 4 mille engagés volontaires congolais et 2 mille volontaires africains étrangers.

C’est pour la campagne contre les arabes zanzibaristes, appelée « anti-esclavagiste » par la propagande, que de nombreux militaires ont été recrutés. Au départ allié avec les arabes, l’Etat indépendant du Congo, propriété personnelle de Leopold II, qui ne connaît pas encore les richesses du sous-sol congolais, finit par faire la guerre aux zanzibaristes pour récupérer le commerce de l’ivoire, source d’énormes richesses à cette époque. Le roi entreposait l’ivoire dans le port d’Anvers mais, attaqué en justice, il décida de le cacher aux Ecuries de la Reine à côté du palais royal, territoire royal, inviolable. Le roi avait bénéficié des conseils de l’avocat Wiener -tiens donc, encore un lieu bruxellois-, grand amateur d’ivoire.

Il faut savoir que de nombreux militaires de l’époque sont devenus des hauts cadres de l’administration belge au Congo ou se sont reconvertis dans les affaires après avoir vu les richesses du Congo. Après l’ivoire, c’est l’exploitation du caoutchouc qui, avec la demande croissante de l’industrie des pneus, va conduire à des expéditions de plus en plus lointaines au cœur de la brousse.

Paul Le Marinel, fils d’un Normand qui a rejoint les révolutionnaires belges dans leur lutte pour l’indépendance, s’est vu confier en tant que détaché de l’Institut cartographique militaire l’exploration du Katanga vers 1891. Mais il n’a pas réussi à obtenir du roi Nsiri de l’époque la signature d’un protectorat et dût revenir en Belgique. Après un passage dans la Congo compagnie de commerce et d’industrie, il deviendra directeur du commerce pour l’administration du Haut Congo.

Le Général Fivé participe à la campagne contre les arabes et devient inspecteur de l’Etat du Congo.

Le Baron Francis Dhanis, entré à l’Association inter-africaine pour faire du lobby pour Léopold II, mena ensuite plusieurs campagnes militaires et fut l’artisan entre autres de la répression contre la rébellion des Batetelas. Il fut anobli pour ses nombreux « exploits » et notamment parce qu’il occupa avec ses troupes l’enclave de Lado (qui fait aujourd’hui partie de l’Ouganda et du Soudan du Sud) pour créer la deuxième colonie belge ou plutôt de l’Etat indépendant du Congo entre 1894 et 1910. Après sa carrière militaire, il devint administrateur de la Compagnie des chemins de fer du Congo supérieur aux Grands lacs.

Le Lieutenant Becker, nommé diplomate, s’est lui opposé à Léopold II. Pour obtenir l’ivoire, il estimait que l’alliance avec les zanzibaristes était une meilleure stratégie que faire la guerre pour avoir des droits de passage dans les territoires à traverser. Il revint en Belgique.

Le Général Henry, également impliqué dans la répression des Batetelas, fut le premier qui a découvert de l’or au Kasaï. Il est mort, avec son adjoint, le Général Fivé, lorsqu’une tactique a mal tourné. On s’est beaucoup demandé pourquoi ce dernier, non touché par les balles, ne s’était pas enfui. Il avait tout simplement voulu mourir avec son amant. Mais cela, l’histoire ne le dit pas ouvertement…

Peu de rues parcourues mais que d’histoires à réviser pour que la vérité historique soit partagée. Le but de la promenade est bien sûr de sensibiliser, de montrer combien le peuple congolais a fait partie de cette histoire, a été soumis, s’est battu, s’est révolté, est mort pour que la Belgique tire le maximum de profit. Notre guide, professeur d’histoire, espère qu’un jour les élèves belges auront droit aussi à cette vérité. A voir le comportement d’une participante de la balade, les partisans d’une histoire tronquée sont encore présents. La petite dame en question n’arrêtait pas d’interrompre notre guide pour minimiser les faits exposés ou se déclarer en faux, parce que, disait-elle « je suis née au Congo, moi, et j’ai la vérité ».

Brigitte Gaiffe, Article publié dans Antipodes N°209 (juin 2015, pp.18-19) d’Iteco.

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