Une école de permaculture en ArdenneReportages

3 octobre 2016

A la ferme de Desnié, des stagiaires de Belgique, de France et même des Antilles sont venus apprendre les secrets de cette méthode de plus en plus en vogue, qui dépasse le simple jardinage.

Ils sont une vingtaine, ce matin-là, dans une des salles du Centre régional d’initiation à l’Environnement (CRIE) de Berinzenne, près de Spa. De 21 à 65 ans, débarqués de France, d’Angleterre, de Guadeloupe et, bien sûr des quatre coins de la Belgique, les stagiaires ont des profils variés : de l’ancien métallo au trader « repenti », en passant par un étudiant en management bien décidé à se lancer dans le maraîchage biologique. Ce qui les rassemble? Leur envie de « prendre soin de la terre, de prendre soin des hommes, de créer l’abondance et de partager équitablement les surplus »

Ce sont là les principes éthiques de la permaculture (mot valise pour « agriculture permanente »), une méthode globale développée par deux Australiens, David Holmgren et Bill Mollison, dans les années 1970. Elle peut s’appliquer aussi bien à l’agriculture et à la conception d’habitats, qu’au fonctionnement d’une entreprise ou d’une école, par exemple. Pendant dix jours au total, entre principes théoriques et exercices pratiques à l’école de permaculture de Desnié, lancée par Jean-Cédric Jacmart, les stagiaires vont apprendre à identifier leur « rêve » (de potager familial, de centre de formation, de production maraîchère) et à le concevoir de façon à économiser au maximum les ressources, fossiles mais aussi humaines et financières. Pour cela, ils s’inspireront des fonctionnements à l’oeuvre dans les écosystèmes naturels. L’idée est d’organiser un site pour le rendre le plus productif possible tout en nécessitant le minimum de boulot du jardinier.

Ob-ser-va-tion!

Comme la nature, la permaculture prend son temps. Avant toute chose, il faut apprendre à connaître son terrain. « Au minimum, il faut avoir observé le lieu pendant quatre saisons: les vents dominants, l’ensoleillement, les précipitations, les animaux qui y vivent, la nature du sol, les plantes qui y poussent spontanément, etc. », explique le formateur Sacha Guégan, qui a fait ses armes en Normandie à la fameuse ferme du Bec Hellouin, présentée notamment dans le film Demain. Et parmi ces éléments à observer: le permaculteur lui-même! Quelles sont ses envies, sa force physique, ses connaissances techniques, le temps dont il dispose, ses moyens financiers? Pour bien penser où placer les différents éléments d’un système permaculturel, il faut aussi intégrer ses déplacements futurs en installant les planches, les mares, le verger ou autre en fonction de la fréquence de visite. Le principe semble évident: prévoir des accès aisés et savoir que ce qui nécessite le plus d’entretien doit être placé près du « coeur » du site, en général la maison. Ainsi, les aromatiques et le poulailler (auquel il faut se rendre une ou deux fois par jour) seront assez proches de la maison, le potager également, alors qu’un verger, par exemple, qui demande peu d’entretien pourra être situé un peu plus loin. « Créer un design en permaculture, résume Sacha Guégan, c’est mettre en relation des éléments entre eux en favorisant les interactions bénéfiques grâce à un positionnement relatif judicieux ».

Des outils de conception

Pour mettre en oeuvre très concrètement son « rêve », le permaculteur peut donc utiliser des « outils ». Comme la méthode OBREDIM, un acronyme pour Observation, Bordures (examen des limites du terrain, des limites physiques, financières, etc), Ressources (disponibilité de l’eau et de matières organiques pour enrichir le sol, …), Evaluation, Design (qui passe par un plan, mais pas uniquement), Implémentation sur le terrain, Maintenance. Et, comme toujours en permaculture où rien n’est figé, une fois ce cycle terminé, on recommence à la première étape: l’Observation.

« Cela demande un gros travail de conception, un peu de boulot à la mise en place, mais ensuite, explique Sacha Guégan, le jardinier n’a plus grand chose à faire! » A la ferme du Bec Hellouin, par exemple, un poulailler est installé dans la serre tunnel afin d’utiliser la chaleur animale pour allonger la période de cultures. De plus, les poules éliminent les limaces qui auraient réussi à pénétrer dans la serre. On peut nourrir les poules avec le résultat du désherbage et fertiliser la terre avec les fientes, etc.

Parmi les autres principes fondamentaux: « chaque élément à plusieurs fonctions, chaque fonction est remplie par plusieurs éléments », ce qui augmente la résilience du système. Un exemple? L’élément « mare » remplit plusieurs fonctions: biodiversité, abreuvoir pour les bêtes, lieu de baignade et de pêche, stockage de la chaleur pour créer des microclimats, irrigation des cultures et aspect esthétique, pour n’en citer que quelques-uns. Mais attention: la fonction « abreuvoir » ne devrait pas être remplie uniquement par la mare, car celle-ci pourrait être temporairement asséchée, curée. Il faut donc prévoir parallèlement des systèmes de récupération pluviaux ou un puits, qui rempliront par ailleurs d’autres fonctions, pour éviter de devoir faire venir de l’eau depuis l’extérieur du système, comme le réseau de distribution.

D’autres principes sont de ne pas générer de déchet, à l’instar de la nature, d’utiliser la verticalité, ce qui est le principe de la forêt comestible, et de tenir compte du temps qui passe: des arbres qui font de l’ombre en poussant, des forces qui nous quittent avec l’âge. Sans oublier l’effet « lisière », qui veut que ce soit à la lisière entre deux biotopes différents -une mare et une prairie ou un bois et un champ- qu’on trouve le plus de biodiversité et donc le plus de productivité. Un principe que l’on observe également dans les groupes humains. Les stagiaires de la ferme de Desnié ont d’ailleurs pu l’expérimenter lors des travaux de création de design en groupes: c’est dans la rencontre de caractères, d’imaginaires et de rêves différents que naît la plus grande créativité. Plusieurs des idées de ces apprentis permaculteurs vont d’ailleurs être implantées très concrètement à la ferme de Desnié dans les prochains mois.

Maïder Dechamps
Article publié dans Plein Soleil 810, juin 2016, la revue de l’ACRF – Femmes en milieu rural

En savoir plus:
Ecole de permaculture de Desnié = www.ecolepermaculture.net ou Jean-Cédric Jacmart 0496/12 57 58

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