(Ap)prendre le tempsClés pour comprendreGestes pratiques

15 novembre 2016

« Je fais la paix avec le temps » : plus qu’une formule magique, c’est le titre d’une formation proposée l’asbl Collectif Formation Société. Je l’ai testée.

« Dépêche-toi, on va être en retard », une ritournelle qui retentit chaque matin, alors que ma fille baille encore devant sa tartine. Une fois les enfants « jetés », l’un à la crèche et l’autre à l’école, course poursuite pour attraper le train de 7h49, en croisant les doigts pour qu’il soit à l’heure. Direction la capitale. Dans le train, se maquiller vite fait, engouffrer un p’tit dej, sortir son smartphone pour échanger mails et sms, lire quelques pages d’un roman ou d’un dossier… et s’obliger, parfois, à lever la tête pour regarder le paysage qui défile, tout simplement… Cette course matinale, qui ne la vit pas ? Le sentiment de dispersion, qui ne l’expérimente pas ? Parce que tout ça se poursuit évidemment dans la sphère professionnelle… exposant 3 : gérer les 86 nouveaux mails du jour, sauter de réunion en réunion, commencer ci, boucler ça… Le téléphone sonne, répondre, raccrocher… J’en étais où ?

Pas le temps

Mais ce matin, ce n’est pas au bureau que mes pas me pressent. Ce matin, je m’en vais suivre une formation à l’intitulé ambitieux : « Je fais la paix avec le temps ». Une petite dizaine de participants – une majorité écrasante de femmes ! – prend place dans les locaux du Collectif Formation Société (CFS asbl). Dès le premier tour de table, la parole se libère, donnant le ton, voire la détresse vécue au quotidien par certains participants : « Je travaille en open space (NDLR : espace ouvert) et clean desk (NDLR : bureaux non attribués qui doivent être laissés vides en fin de journée), donc souvent je n’ai pas de place quand j’arrive et le bruit m’empêche de me concentrer », « J’ai un responsable qui travaille beaucoup et qui est très exigeant », « J’ai l’impression de courir après le temps tout le temps », « J’ai envie d’avoir un pouvoir sur mon agenda », « Je me sens assaillie », « Je suis tétanisée par l’ampleur des tâches entre vie professionnelle et vie privée », « C’est fatiguant de mettre des priorités »
Face à ce déferlement d’émotions, la formatrice rassure : « Etre là aujourd’hui et prendre le temps de suivre ces 2 journées de formation, c’est déjà une partie du boulot qui est faite. » Outre formatrice, Anne-Françoise Gailly est aussi consultante, psychologue, bloggeuse et mère de famille (lire son interview ci-dessous). Elle a découvert la gestion du temps il y a quelques années en expérimentant elle-même… le burn-out. Depuis, elle s’attèle à la tâche d’ « éveilleuse de possibles », avec une passion et un enthousiasme communicatifs. « Je tente de semer des possibles pour que les gens puissent vivre leur vie avec plus de légèreté. Mon objectif ici est que vous sortiez de cette formation avec un autre regard sur qui vous êtes et comment vous fonctionnez. Vous êtes compétents, vous avez les ressources pour le faire, mais encore faut-il en être conscient. »

« Etre disponible, ça ne veut pas dire être disponible tout de suite, c’est offrir une présence de qualité. » A.F. Gailly, formatrice

Croyances, valeurs et identité

Rentrons donc dans le vif du sujet. Ici, pas d’outils technologiques à la pointe. Pas non plus de procédures sur mesure en cas de surcharge de mails, ni de mode d’emploi pour réaliser une « to do list » efficace. D’abord, il s’agit de comprendre le « pourquoi » : pourquoi notre agenda nous « semble » surchargé ?, pourquoi avons-nous la « perception » que le temps nous manque ?… d’où ça vient ? Petit préambule, au premier abord anodin et pourtant : « Le temps est une donnée mathématique, quantifiable et universelle, souligne la formatrice. Une minute est une minute. Une heure est une heure. Impossible donc de gagner du temps, ni de le perdre. Plutôt que de vouloir gérer son temps, il faut apprendre à gérer ce qu’on en fait. »
Anne-Françoise Gailly nous invite à aller au-delà de ce qui est visible (notre environnement, nos comportements, nos compétences) pour découvrir la partie immergée de l’iceberg, tout ce qui se joue dans l’inconscient, ce « rapport au temps » que nous avons construit tout au long de notre vie et qui a pourtant un impact énorme sur ce qui est visible. « Nos croyances et valeurs, d’abord, qu’il est possible de changer en découvrant qui nous sommes et ce que l’on veut vraiment. D’autre part, il y a aussi notre identité profonde, qu’on ne peut pas changer, mais avec laquelle on peut apprendre à vivre, sans se juger. »
Quel est le lien avec le temps ? La manière dont nous appréhendons le temps et dont nous réagissons en situation de stress est régie par des éléments bien plus enfuis que ce que l’on croit. En avoir conscience, c’est déjà guérir une partie du problème. La suite de cette journée de formation consiste à mieux cerner, tests à l’appui, qui nous sommes et à prendre conscience, qu’une action est possible. En diminuant nos exigences, en augmentant nos moyens, en faisant preuve de créativité, en lâchant prise… « Les êtres humains sont des êtres de l’immédiateté. En situation de stress, ils ont le nez dans le guidon. Il faut dézoomer de temps », explique la formatrice. Reprendre la mainmise, oui, mais non sans occulter le fait qu’une zone d’impuissance reste immuable : les contraintes institutionnelles et structurelles, les lois et règlements, les 24h (et non 28h) qui font une journée…

Pas le temps… vraiment ?
Petit exercice (présenté lors de la formation) : prenez 1 semaine, à savoir 168h. Soustrayez le nombre total d’heures de sommeil. Puis, le nombre total d’heures de travail (trajets et pauses compris). Enfin, le nombre total d’heures consacrées aux tâches domestiques et familiales. Vous obtiendrez un « temps personnel » assez étonnant…

Voleurs de temps

Quinze jours plus tard, seconde journée de formation. Certains témoignent d’un réel chamboulement, d’un autre regard posé sur leur rythme de vie. D’autres, au contraire, s’inquiètent : « Tous ces outils, ça me met la pression » ou encore « J’ai beau essayer de m’organiser, des éléments extérieurs viennent tout faire voler en éclat ». C’est précisément ces obstacles extérieurs qui seront abordés aujourd’hui. Les « voleurs de temps », comme les surnomme Anne-Catherine Gailly. Nous les énumérons : avalanche d’emails, bugs informatiques, bruit constant, imprévus, interruptions diverses, embouteillages… La prochaine étape est d’identifier les solutions possibles à son échelle (moi) et plus largement (avec les autres). D’identifier aussi ce qui est hors de notre portée.
En sous-groupe, puis à l’ensemble du groupe, les participants échangent et puisent conseils et bonnes pratiques, idées et outils, avec les apports de la formatrice. Parmi d’autres : intégrer directement sa « to do list » à son agenda ; se déconnecter (de sa boite mail, de ses collègues…) autant de minutes ou heures par jour ; oser dire non, avec bienveillance, en gardant à l’esprit que ce « non » signifie aussi « oui » à autre chose. « L’idée est de tenter de reprendre la main, de se remettre en chemin avec un début de solution. »
Chacun semble en tout cas repartir le pas et l’esprit un peu plus légers. Quant à moi… Vite, faudrait pas que je rate mon train… !

Céline Teret
Article (ici dans son intégralité) réalisé dans le cadre du dossier « Où trouver le temps ? » du magazine SYMBIOSES

Quelques questions à Anne-Françoise Gailly, formatrice en gestion du temps et coach en développement personnel.

Avez-vous le sentiment que les gens sont de plus en plus pris par le temps ?
Je dirais de plus en plus pris par la pression. Une pression qui vient de l’extérieur, mais aussi d’eux-mêmes, les « je dois », les « il faut », etc. La rencontre entre ces deux pressions-là fait que les gens se sentent écrasés par le temps. Ce mouvement de société s’accentue. On a plus de libertés qu’avant, mais on doit prendre aussi plus de décisions, de responsabilités.

Les participants à la formation « Je fais la paix avec le temps » viennent avec quelles attentes ?
Ils arrivent avec des insatisfactions et avec le sentiment que le problème vient d’eux. Tout l’enjeu est donc de redéfinir, de reformuler le problème, le défi, les causes. Je pars du principe que les gens sont compétents, mais qu’une série d’ingrédients intérieurs et extérieurs font qu’ils ne sont pas en état d’activer ces compétences. En changeant sa posture par rapport à l’extérieur et en changeant des choses à l’intérieur, on est allégé, on est plus fluide, on est plus en capacité de prendre des nouvelles décisions, plus adéquates. Les formations sur le temps sont souvent orientées stratégies et productivisme. Or, si certaines méthodes et stratégies sont intéressantes, selon moi, la vraie clé, c’est l’alignement, le sens.

Vous évoquez l’écologie personnelle dans votre formation. De quoi s’agit-il ?
C’est un juste équilibre entre ce que l’on donne et ce que l’on reçoit, une gestion durable de ses ressources personnelles, une utilisation rationnelle de sa propre énergie. Il y a aussi une notion de sens là-dedans, d’authenticité et de cadre intérieur, c’est-à-dire prendre le temps de réfléchir à ce qui est important pour soi. Clarifier ce qui est essentiel pour soi règle structurellement toute une série de décisions. Si on sait à quoi on veut dire « oui », ça donne une indication sur toute une série de décisions qui vont découler de ce « oui ». On clarifie un cap et on pilote en fonction de ce cap. Ce cap peut aussi changer en cours de route. En somme, on remplace sa montre par une boussole.

6 femmes et un seul homme à la dernière formation sur le temps… C’est souvent le cas ?
Les formations de type développement personnel attirent, en général, plus de femmes. Les hommes sont majoritaires lors de formations sur l’efficacité et la productivité. Je dis toujours en rigolant que la qualité et le défaut des femmes, c’est qu’elles se posent beaucoup de question. Et la qualité et le défaut des hommes, ce qu’ils ne s’en posent pas beaucoup. On a chacun les défauts de nos qualités. Les femmes ont tendance à douter d’elles et à penser qu’elles sont le problème. L’avantage, c’est qu’elles acceptent de se remettre en question ; l’inconvénient, c’est qu’elles se mettent la pression. Les hommes ont tendance à avoir plus confiance et à penser que ce qu’ils font est bien. Ils se prennent moins la tête. Les hommes se plaignent moins des problèmes de combinaison vie privée-vie professionnelle… parce que souvent ce sont les conjointes qui assument l’autre partie. Les femmes ne peuvent pas faire vase communiquant, car elles ont deux pots pleins : vie privée et vie professionnelle. A cela s’ajoutent leurs exigences d’être parfaites. Evidemment, ça n’est pas toujours le cas et les choses changent, la société évolue…

Le développement personnel est très en vogue, c’est symptomatique de quoi ?
Il y a deux choses, selon moi. Un besoin de sens, qui est criant parce que pendant des siècles, c’est la société qui décidait à notre place. Aujourd’hui, les êtres humains sont en quête de sens. Une autre chose est que l’évolution assez individualiste de la société a eu quand même un bénéfice : le droit de s’occuper de soi. Et en plus, il faudrait même commencer par ça. Si on veut changer le monde et avoir une action sur les enjeux de société, il faut d’abord se changer soi-même. Les nouvelles générations n’opposent plus autant le développement personnel et le développement collectif.

On touche là à une dimension plus collective, voire sociétale…
Aider les gens à se remettre dans leur potentiel, dans leur déploiement, peut contribuer aux changements de société. Ma stratégie à moi n’est pas – ou plus – d’aller en manif, mais d’éveiller les possibles autour de moi. Plutôt que de casser ce qui ne va pas, comment construire ce qui nous convient, tout en restant fidèles à nos valeurs ? Prenons l’exemple des discours et postures écologistes. Que fait un individu quand on augmente les peurs et les exigences sur lui ? Il est encore plus stressé et se racrapote. Les messages donneurs de leçons figent les individus. Par contre, des projets comme les GAC, SEL, Repair’café, etc. sont dans la construction, c’est du ici et maintenant, c’est bien plus mobilisateur. La pédagogie et l’approche sont essentielles. Il est donc utile de mettre les connaissances en fonctionnement humain, psychologique, émotionnel, au service de causes environnementales, sociales, citoyennes.

Propos recueillis par C.T.

En savoir plus :

Le commentaires sont fermés.