Rien ne se perd, tout se travaille aux Ateliers Groot EilandReportages

14 décembre 2016

Situés le long du canal à Molenbeek, les Ateliers Groot Eiland ont développé un modèle d’insertion socioprofessionnelle via la menuiserie, l’Horeca, le maraîchage et la vente. L’association prône l’économie circulaire grâce à de nouveaux projets (recyclage de palettes, ferme urbaine…).

Plusieurs portes donnent sur la cour des Ateliers Groot Eiland où se trouvent une petite table de jardin colorée et quelques pots de fleurs. La première, grande ouverte, laisse apercevoir le «Kilmop», l’atelier de menuiserie. Depuis ce matin, quatre personnes s’y affairent pour fabriquer un socle d’armoire. Charles Joux sort quelques instants pour discuter au calme. «Ce qui me plaît ici, c’est qu’on apprend à monter des meubles à partir de la base.» Ce Bruxellois de 60 ans bénéficie de l’article 60 du CPAS. Il a choisi les Ateliers Groot Eiland pour «compléter sa formation» en menuiserie et pour se mettre à son compte en tant qu’indépendant. «On va sur des chantiers chez des clients, particuliers ou associations. J’ai appris à suivre un plan de construction et à collaborer avec les autres.»

Dans le même atelier, le jeune Christian vient tous les jours depuis trois mois. Lui cherchait une formation pratique dans la menuiserie pour terminer son diplôme. «Être ici permet de voir les exigences du métier. Au départ, j’ai commencé dans l’atelier menuiserie avec le projet Boomerang», dit-il en montrant ses collègues dans l’autre pièce qui construisent des supports de lampes design. Le bois provient de palettes récupérées par la commune de Molenbeek. Ce recyclage a été mis en place récemment par les Ateliers et concerne des chaises, tables, bureaux, commodes et abat-jour de la ligne «Boomerang design». «Nous avons sept prototypes pour les particuliers, explique le coordinateur général Tom Dedeurwaerder. Il y a aussi quelques associations et le parti politique Groen qui nous ont fait des commandes.»

L’atelier menuiserie est la première activité de l’asbl fondée il y a 30 ans. Sa mission? «Lutter contre la pauvreté par le travail.» Au départ, le centre social appelé Teledienst se trouvait au cœur de Bruxelles et s’adressait aux personnes souhaitant travailler, mais ne pouvant s’insérer ni dans le marché du travail classique ni dans le bénévolat. Petit à petit, les activités se sont élargies et les chômeurs de longue durée ont fait partie du groupe cible. Ce n’est qu’en 2007 que l’association sous le nom de Groot Eiland s’est installée à Molenbeek pour favoriser la socialisation, l’intégration et l’émancipation des demandeurs d’emploi.

Un manque de candidats

L’installation de l’association dans cette zone du «croissant pauvre» de la capitale n’est pas anodine. Beaucoup de travailleurs à Groot Eiland viennent du CPAS de la commune.

Quand il est rempli, l’atelier menuiserie compte 25 «apprentis» artisans: demandeurs d’emploi, personnes inscrites au CPAS, des jeunes en formation habitant Bruxelles ou la Flandre. Pour l’instant, il manque de candidats. Le coordinateur déplore cette situation, mais rappelle les critères de sélection. «Il faut parler une des deux langues, le français ou le néerlandais. Les candidats doivent passer un entretien avec nos accompagnateurs de projets pour vérifier la situation personnelle des candidats et leur motivation. Il ne faut pas être en illégalité sur le territoire par exemple.»

L’insertion socioprofessionnelle dure entre huit mois et un an et demi. L’année passée, 59% des élèves, uniquement des hommes, avaient entre 25 et 45 ans. Après leur formation, deux sur trois ont trouvé un travail (67%). «Depuis 2008 et la crise, ce sont souvent des contrats de type CDD, intérim ou Activa, nuance Tom Dedeurwaerder. On les suit encore une année après leur départ.»

Le restaurant et le jardin bio

Une femme aux cheveux roux attachés en uniforme blanc de cuisine fume une cigarette dans la cour. Elle s’appelle Nena Cornelis et a commencé comme job coach aux Ateliers. Elle devait aider les personnes sortantes à s’insérer sur le marché de l’emploi, à refaire leur CV, leurs lettres de motivation, à créer une adresse e-mail professionnelle et à chercher du travail au bon endroit. «Parfois, j’allais aux entretiens avec eux. Avant j’étais dans le privé, maintenant j’ai l’impression de faire quelque chose pour la société. J’ai vraiment vu comment le travail change la vie d’une personne.»

Actuellement, Nena est instructrice en cuisine. C’est l’heure du déjeuner et le restaurant au premier étage se prépare à accueillir les employés du quartier pour leur pause de midi. Avec un plat du jour à 7 euros, le restaurant du Groot Eiland a le meilleur rapport qualité-prix des alentours. Dix-huit personnes au maximum sont formées à l’Horeca du lundi au vendredi et apprennent la cuisine froide et chaude. «On a aussi un service traiteur, un bar à soupe et un service de café, précise le coordinateur général. Pour ces deux dernières activités, il n’y a pas d’encadrants sauf s’il y a un problème. C’est une manière de leur laisser de l’autonomie pour voir si ça fonctionne.»

Cinquante pour cent des employés passés par la cuisine ont trouvé un travail dans l’Horeca en 2015. L’association a privilégié ce secteur, car cela exige peu de qualification et répond à une forte demande.

Au menu ce midi: une salade avec melon, des pommes de terre et tomates. Les fruits et légumes viennent du jardin qu’on peut admirer à travers la fenêtre, le long de la façade. L’asbl a récupéré une surface inutilisée de 1.100 m² pour planter un potager.

En ce moment, toute la structure liée à l’alimentation est revue. «On va aller au marché pour vendre les légumes. On ne sait pas encore où, car on voudrait y aller avec un vélo qu’on a acheté en Hollande. Ce serait une sorte de food-truck version deux-roues.» La surface du jardin va s’agrandir sur les toits des Abattoirs d’Anderlecht où la société BIG scrl développe une ferme urbaine de 4.000 m² dont la moitié est sous serre. L’asbl Groot Eiland profitera d’une partie du terrain pour y cultiver ses propres légumes.

Des personnes sous contrat de bénévolat

Les maraîchers du jardin ont un statut différent, comme ceux du petit magasin et du service de mise sous pli. La plupart n’ont pas les capacités pour entrer sur le marché du travail à cause d’un handicap physique, mental ou autre. Ils arrivent aux Ateliers avec un contrat de bénévolat et sont payés un euro par heure. Ils travaillent généralement à mi-temps ou quelques jours par semaine.

Marie-Rose, une Molenbeekoise de 61 ans, gère l’accueil de l’échoppe et sert le thé, le café ou des pâtisseries pour les clients. Parfaitement bilingue, elle raconte son histoire. «Je suis à Groot Eiland depuis 14 ans. Au départ, j’ai commencé à l’atelier “Étiquette” (NDLR, un service de mise sous pli pour les institutions culturelles, associations et partis politiques). Je venais d’un centre de femmes battues. J’ai été au chômage pendant longtemps et je n’aime pas rester sans rien faire chez moi. Venir ici, c’est une occupation et ça me donne un rythme de vie.»

Dans les vitrines, tout est fait maison, des gaufres aux vases qui ornent les tables. Des objets de décoration, des cartes de vœux, des dessous de plats sont fabriqués par un petit atelier bricolage. Bientôt la vente directe du potager enrichira le rayon alimentation.

Apprendre une attitude

Dans chaque atelier, de la cuisine au service de courrier, les participants se familiarisent avec les codes du travail. L’attitude est la clé de la réussite selon le coordinateur général: «Venir à temps, prévenir lorsqu’on est malade et apporter un certificat, travailler en équipe, écouter son chef…» Des accompagnateurs de projet suivent chacun des employés dans leur parcours. Ils recadrent, conseillent et pallient les problèmes quotidiens.

Les instructeurs sont là pour fixer les limites dans les Ateliers. Nena essaye d’habituer les travailleurs aux horaires flexibles de la restauration. «Ce n’est pas parce qu’on est une asbl qu’on ne doit pas être fier de ce qu’on vend.»

À Bruxelles, être bilingue, ou du moins maîtriser les deux langues officielles, est un atout. Dans les couloirs des Ateliers Groot Eiland, on parle néerlandais et l’association est subsidiée en partie par la Vlaamse Gemeenschapscommissie (la Commission communautaire flamande). Cependant, la majorité des personnes qui suivent la formation sont francophones. Le coordinateur général insiste sur le partenariat avec l’école pour adultes Brussels Education Center. «On les envoie d’abord à la Maison du néerlandais pour évaluer leur niveau et puis on les inscrit dans des écoles. C’est obligatoire pendant les journées de travail. En plus, deux fois par semaine, un talk coach vient parler avec eux sur le lieu de travail pour apprendre le vocabulaire lié à leur activité.»

Après trente années d’existence, les Ateliers Groot Eiland ont développé un modèle d’insertion socioprofessionnelle sur différents niveaux et fonctionnent à 35% grâce aux ressources propres. Leur ambition est d’aller plus loin dans l’économie circulaire avec le potager sur le toit des abattoirs, la vente directe et les commandes de meubles design en palettes recyclées. Des travaux sont en cours pour agrandir le magasin et offrir une vitrine le long des quais. La «Grande Île» n’a pas besoin de rester isolée et pourra ainsi profiter des promeneurs de la balade molenbeekoise.

Flavie Gauthier
Article publié dans Alter Echos n°428, 21 septembre 2016, média de l’Agence Alter

Photo : © Groot Eiland

Lire aussi :

« La permaculture appliquée aux organisations », Alter Échos, n°427, 9 août 2016, Rafal Naczyk.

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