En transition vers plus de résilienceGestes pratiquesReportages

1 août 2017

« Peut-on, avec peu de moyens, s’installer loin des villes pour vivre selon ses convictions lorsqu’on est une famille aspirant au bien-être, à la simplicité et au respect des autres et de la nature ? » C’est sur cette question qu’a démarré l’aventure d’Isabelle et Cédric, deux Belges installés en Espagne. Un projet familial, qui a donné lieu, plus récemment, à la création d’une association, ResiWay, pour mettre en relation, encourager et soutenir les initiatives allant dans le sens du bien-être et de la résilience. Ils racontent leur parcours.

Si vous connaissez un peu l’Espagne et l’Andalousie, peut-être avez-vous déjà entendu parler des Alpujarras. Une vallée longeant le flanc sud de la Sierra Nevada et qui abrite une multitude de petits villages blancs. C’est à proximité de l’un d’eux que nous nous sommes installés : Yegen, un village qui ne compte guère plus de trois cents âmes et situé à mi-chemin entre Grenade et Alméria. En contrebas de ce village est un énorme rocher que tout le monde par ici appelle « el peñon del Fuerte » : un roc aux faux-airs de château-fort en ruine. A son pied, un écriteau marque l’entrée de la Finca del Fuerte. C’est là que, depuis sept ans, nous essayons de nous inventer un mode de vie responsable et écologique.

A la campagne

Nous voulions un rythme de vie plus tranquille et moins dépendre de modes de production néfastes pour les hommes et la nature, quitte à faire nous-mêmes. Rien de plus, en somme, que ce que les habitants traditionnels des Alpujarras ont toujours fait. Mais les temps ont changé et aujourd’hui, la plupart ne comprennent pas notre démarche : pour l’écrasante majorité, la ville c’est mieux que la campagne !
Sans prétendre être complètement intégrés, nous participons aux activités et événements qui rythment le village et les environs : fêtes patronales, potager collectif, association de producteurs bio, Système Participatif de Garantie ; nos enfants vont à la petite école du village qui ne compte plus qu’une grosse dizaine d’enfants ; et Cédric est le seul étranger à assister aux réunions de l’importante « communauté des arroseurs » (terminologie traditionnelle pour les personnes du village qui utilisent l’eau de la montagne à des fins agricoles, et constituée exclusivement d’hommes !).

La finca : des projets plein la vue


Effectivement, dans ce climat (continental en hiver et sec semi-aride en été), l’eau est d’une importance cruciale. Comme en témoigne d’ailleurs la vue imprenable qu’offre le sommet du « fort » sur notre domaine : si notre petite maison auto-construite de bois et de paille, les bassins d’irrigation et nos trois potagers sont très visibles, l’œil croise encore peu de choses qui aient des racines capables de retenir les eaux de pluies – abondantes au printemps et à l’automne – et le sol, souvent à nu, a perdu sa couche humique depuis longtemps. Par ici, pas de culture en été sans eau de la montagne !
Mais le regard attentif remarquera peut-être aussi quelques jeunes arbres discrets (les plantes xérophiles poussent lentement) : au cours de ces cinq dernières années, nous en avons planté près de deux cents, d’une vingtaine d’essences différentes, capables de résister aux longs étés avec très peu d’eau.
L’énorme travail de terrassement est, lui aussi, peu visible. Nous avons passé un temps incalculable à niveler, creuser des baissières, des rigoles, et des trous au pied des arbres ; à faire des buttes ; et à remblayer les ravines avec branches, pierres et BRF (bois raméal fragmenté).
Pour relancer l’activité biologique du sol, outre nos toilettes sèches, nous utilisons du fumier et du compost : aucun déchet organique ne sort de notre terrain ! C’est une des routines qui permet d’augmenter peu à peu la productivité de nos potagers, et qui a déjà contribué à redonner vie à plus de 500m² de terre meurtrie par des années d’érosion et de traitement au glyphosate.

Jongler entre simplicité et faisabilité

Il nous aura fallu du temps pour mettre en place l’indispensable et nous adapter à cette nouvelle vie : découvrir le patois local ; comprendre le climat – si différent de celui de notre plat pays natal – ; apprendre à manœuvrer les canaux d’irrigation et la culture des arbres et plantes avec des étés de 4 à 5 mois sans pluie ; remettre en production les quelque 150 oliviers que compte notre terrain, en prenant soin de la biodiversité.
Semer, arroser les jeunes plantes, surveiller le niveau des batteries et nous adapter en permanence à la météo sont autant de routines avec lesquelles nous devons encore nous familiariser.
En outre, la transformation des produits du potager, la préparation des repas, les lessives et la vaisselle nous prennent beaucoup de temps. Il y a aussi les animaux à nourrir et les seaux des toilettes sèches et des déchets de cuisine à vider tous les jours. Sans compter qu’il n’est pas toujours évident de s’occuper de deux enfants en bas âge avec peu d’aide extérieure. Bref, nos journées sont bien remplies et le travail ne manque jamais.

Accessible à tout le monde ?

Les aspects positifs nous apparaissent nombreux : nous ressentons la satisfaction d’être acteurs de nos vies. Nous mettons les choses en œuvre pour être physiquement et psychiquement sains. Nous sommes en famille la plupart du temps et pouvons être auprès de nos fils, les voir et les aider à grandir. Nous avons du temps pour faire la cuisine, jouer de la guitare ou repriser nos chaussettes, sommes beaucoup au grand air et profitons d’un environnement paisible.
Nous avons la conviction que notre démarche est accessible au plus grand nombre (1), et que si nous sommes loin de mener une vie de château en Espagne, nous n’en n’avons pas besoin pour être heureux. Nous continuons de penser que choisir soi-même la vie que l’on veut mener est un premier pas vers l’épanouissement personnel.
C’est dans l’idée de diffuser ce message qu’avec une dizaine de sympathisants enthousiastes de la première heure, nous avons cofondé l’association ResiWay (2) dont le but est de mettre en relation, encourager et soutenir les initiatives qui, comme la nôtre, s’efforcent d’aller dans le sens du bien-être et de la résilience. La résilience est la capacité d’une communauté à faire face aux changements tout en s’épanouissant.

Chacun à son échelle mais ensemble dans la même direction

Sur le site internet www.resiway.org, les informations sont libres (3) et le développement informatique des outils de partage est ouvert à tous. Autrement dit, la plateforme est collaborative et nous pouvons tous y poser nos questions ou partager des trucs et astuces bio, écologiques :
• « Par quoi commencer pour réduire un peu mes déchets ? »
• « Quel remède naturel contre mes maux de tête menstruels ? »
• « Est-ce qu’un vermicompost dans ma cuisine va attirer des mouches ? »
• « Quelle pédagogie pour que mon enfant soit davantage le moteur de son apprentissage ? »
• « Comment réparer ma visseuse ? »

L’idée est de pouvoir agir, chacun à son échelle, mais ensemble dans la même direction : que nous ayons un jardin permacole ou quelques herbes aromatiques sur le balcon de notre appartement ; que nous souhaitions être autonomes en énergie ou réduire notre facture électrique ; que nous soyons Pierre Rabhi ou Anne Onyme, tous, nous pouvons participer à une large diffusion des savoirs pour apprendre à vivre de manière saine et écologique, à faible coût énergétique et économique, et mener ainsi l’Humanité à un bel avenir.

Cédric & Isabelle

(1) Pour aller dans ce sens, le site de notre initiative familiale propose des photos et détails sur notre démarche, ainsi que des articles et des fiches utiles gratuites issus de notre expérience (habitat responsable, agro-écologie, conseils pour l’achat d’un terrain, …)
(2) ResiWay a sauvé Ekopedia, l’encyclopédie pratique des savoirs écologiques, qui avait disparu pendant 2 ans. L’association propose également une plateforme collaborative pour la Transition, la Permaculture et l’autonomie.
(3) Vous devez créditer l’œuvre (citer l’auteur, donner le nom du créateur et des personnes à attribuer) mais que la consultation et le partage sont autorisés gratuitement, sous les mêmes conditions : sous licence libre telles que CC by-sa 3.0, GNU GPL 3 ou équivalentes.

En savoir plus :

Un commentaire sur “En transition vers plus de résilience”

  1. Roger M. dit :

    Un témoignage plein de force…
    Respecter ses convictions tout en gardant la tête sur les épaules, voilà un exemple inspirant.
    Votre démarche force l’admiration, bravo !