La science dès huit ans, où sont les filles ?Reportages

5 octobre 2017

Les vacances, est-ce bien le moment pour apprendre ? C’est le défi qu’ont relevé des professeur-e-s de sciences en lançant l’asbl Ose la science, voici une vingtaine d’années. Ce mot « science » enclenche souvent une grimace chez les jeunes. Mais ces enseignants enthousiastes et motivés sont attentifs à exploiter le capital curiosité des enfants pour susciter leur envie de pratiquer des expériences scientifiques hors du cadre scolaire.

Les grandes vacances et leurs multiples stages : badminton, dessin, cirque… Et pourquoi pas des sciences ? Lors des dernières vacances de Pâques, nous avons rencontré une quinzaine d’enfants entre 10 et 14 ans, intéressés par un stage intitulé « Les secrets de la physique ». Ce qui leur est promis ? Des expériences sur des phénomènes de la vie courante comme comprendre pourquoi certains objets tiennent en équilibre ou le mouvement de la trajectoire d’un ballon jeté dans la cour ! Demain, ils lanceront des fusées avec de l’eau ! Pour le moment, chaque enfant est à sa table de travail dans le laboratoire du collège Saint-Servais, à Namur.

C’est dans cette école que Ose la science a trouvé un accueil dès sa fondation, en 1996, et a pu rapidement développer d’intéressantes animations. Aujourd’hui, trois personnes sont engagées pour des fonctions et des temps différents. Une docteure en biologie collabore aux activités et s’occupe de la communication. Une enseignante apporte son expérience pédagogique et contribue à l’animation. Et enfin, un ingénieur, agronome de formation, Gilles De Craeye, est responsable des programmes, et ce depuis 13 ans ! « Mon rôle est d’avoir des idées et de mettre sur pied des animations, explique-t-il. Je cherche de tous côtés, dans les bouquins, sur Internet, à la télévision et, surtout, je fais appel à mon imagination. Chaque fois, il faut tester l’expérience, voir ce qu’elle donne sur le plan interactif et ce qu’elle peut apporter pour l’apprentissage. Nous sommes une petite équipe, mais entre nous trois l’inspiration tourne ! Nos orientations professionnelles permettent d’aborder les sujets avec des angles inédits. De plus, une dizaine de bénévoles, dont les administrateurs qui s’occupent de la création des dossiers pédagogiques, de la gestion et de la recherche des subsides, sont membres actifs du projet. Des stagiaires viennent des écoles également. »

En vacances, il faut que ça bouge !

Les stages ont beaucoup de succès. Les groupes sont limités à 16, d’ailleurs la classe labo ne dispose que de 16 places. Aucune sélection ne préside à l’inscription, qui se fait par ordre d’arrivée. La seule condition, c’est que l’enfant soit curieux et intéressé et non poussé à venir sur la seule décision de ses parents ! Certains thèmes ont plus de succès que d’autres. Ainsi, au congé de carnaval, pour la semaine sur les « détectives », organisée avec le concours de la police de Namur, il a fallu refuser des inscriptions.

Mais il y a un bémol ! Pour la formation d’avril dernier portant sur la physique, deux filles seulement sont inscrites sur les quinze participants. Gilles De Craeye répond: « C’est la proportion habituelle. Parfois même nous n’en avons aucune! Depuis que je travaille ici, seulement deux fois les filles ont été majoritaires pour participer à des stages sur la nature. Alors qu’elles pourraient trouver du plaisir aux différentes techniques auxquelles nous initions les garçons. Je me pose la question de l’influence des parents. Ne mettent-ils pas un filtre dans la proposition d’activités aux enfants, réservant aux garçons l’intérêt pour les stages en électronique ou en électricité ?»

Ils n’utilisent plus assez leurs mains !

Pour les 6-8 ans, les activités doivent changer toutes les 15 ou 20 minutes pour garder leur attention. Il faut aller plus vite sur les explications de la théorie et même sur les manipulations, sinon ils s’impatientent. Le mercredi après-midi, sur les deux heures, Gille De Craeye prévoit deux pauses pour que les enfants aillent s’ébattre dans la cour. Il est vrai qu’à l’époque des tablettes et des smartphones, les supports d’apprentissage ont changé. Au tableau et craies, se sont substitués le numérique et la modélisation en 3D.

« L’influence de l’écran est à la fois bonne et mauvaise. Certains enfants sont perdus de devoir utiliser leurs mains au lieu de faire défiler des pages ! Ici, on expérimente, on manipule. Les concepts scientifiques s’apprennent par le jeu ! On complète par des vidéos qui expliquent ce que nous ne pouvons montrer ou expérimenter. L’émission « C’est pas sorcier » reste une référence toujours très actuelle qui donne encore très bien. En fin de stage, à l’heure du bilan, les enfants réalisent avec stupéfaction tout ce qu’ils ont appris lors des expériences faites durant leur stage. »

Questionner, expérimenter, observer… toute l’année

« Ose la science » réalise tout au long de l’année des ateliers de découvertes scientifiques dans les écoles, essayant de toucher à tous les domaines des sciences et des technologies, du développement durable à l’étude des insectes en passant par l’électronique, la balistique et la chimie. Des dossiers pédagogiques sont remis à l’enseignant. Un club-sciences est ouvert à tous les jeunes de 6 à 14 ans le mercredi après-midi.

Chaque année, une grande exposition de projets scientifiques présentés par des jeunes de 6 à 18 ans est organisée au Cap Nord de Namur. Des séminaires sont également ouverts aux élèves de dernière année du secondaire au mois de janvier. Et chaque été, un grand camp de plusieurs jours est organisé.

Un enjeu de société

L’attractivité des sciences dans le secondaire détermine la poursuite d’études scientifiques dans le supérieur et l’orientation vers un métier scientifique. Selon le Forem (un des partenaires de Ose la science), les activités spécialisées, scientifiques et techniques font partie des secteurs identifiés comme porteurs pour l’insertion des jeunes. Il semble donc judicieux d’encourager les initiatives de stages et d’activités pouvant les intéresser aux sciences. La Wallonie se situe au bas du classement européen lorsque l’on considère le pourcentage de diplômés en sciences et sciences appliquées (12% en 2009 contre 22% en moyenne pour l’UE-27). Et la situation s’est fortement dégradée au cours des dix dernières années. Or, il est important de renforcer les ressources humaines dans ces domaines pour pouvoir répondre à plusieurs défis qui se posent à la Wallonie.

Une autre problématique est la persistance de stéréotypes sexués, tant dans la société que dans certains métiers scientifiques et techniques qui gardent une image très masculine dissuadant les filles de s’y engager. « En 2009-2010, seuls 9 % des filles s’engageant dans des études supérieures suivent une orientation scientifique et technique, mais leur proportion varie fortement selon les disciplines (dans l’enseignement universitaire : parité en mathématiques et en biologie, 23% en chimie, moins de 20% en ingénieur, 17% en physique et 5% en informatique). Au niveau universitaire, on constate depuis quelques années chez les filles une concurrence entre la filière sciences et la filière des sciences de la santé qui peut s’expliquer par l’importance qu’elles accordent à l’utilité́ sociale d’un métier », selon le rapport de janvier 2014 du Conseil wallon de la politique scientifique.

La suite de l’histoire, c’est que l’on n’encouragera jamais assez les parents et les professeur-e-s à pousser les jeunes vers une formation scientifique. Ensuite, et tout naturellement dans notre société qui veut l’égale participation de tous aux décisions d’avenir, il faut développer une attention plus vigilante à l’égard des filles pour les entraîner vers de nouveaux centres d’intérêts, des découvertes et des techniques nouvelles où elles peuvent exceller autant que leurs frères et camarades de cours.

Godelieve Ugeux
Article de Plein Soleil n°822 (juillet 2017), la revue de l’ACRF – Femmes en milieu rural

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