Philosopher l’environnementReportages

5 juin 2018

Pour Anouck Barthelemy, formatrice à l’asbl Education Environnement, la philosophie est « un merveilleux outil de sensibilisation à l’environnement mais aussi de découverte de nous-mêmes et de nos propres valeurs ». Elle nous en parle.

Pourquoi mettre la philosophie au service de l’éducation à l’environnement?

La philosophie est l’art de la sagesse. Elle pose la question de la place de l’homme dans le monde qui l’entoure et tente de comprendre la place qu’il y occupe. Aujourd’hui, nous vivons dans une société dominée par le modèle de la connaissance scientifique de la Nature et de l’Environnement, mais il ne faut pas oublier que les premiers à avoir jeté les bases d’une connaissance rationnelle de la Nature étaient les philosophes pré-socratiques.

Par ailleurs, la philosophie pose des questions existentielles : qui sommes-nous ? Où allons-nous ? Que faisons-nous sur terre ? Elle s’intéresse à des questions au sujet desquelles il n’y a pas de réponses, de certitudes, de vérités. Actuellement, les découvertes menées en astrophysique placent l’homme face à un questionnement identitaire fondamental. L’homme n’est plus au centre de l’univers, on questionne la matière, le temps, l’espace… les perspectives changent. Et cela implique de nombreux questionnements existentiels mais aussi toute une réflexion en regard de l’exploitation des ressources naturelles sur terre et de l’exploration spatiale. Cela pose fondamentalement la question de la valeur de la vie et de la responsabilité de l’Homme. Cela invite à réfléchir à notre rapport à l’environnement sous un autre angle.

Un des dénominateurs communs entre l’éducation à l’environnement et la philo n’est-il pas justement la question des valeurs ?

La philo aborde en effet cette question des valeurs. Et lorsque l’on sensibilise à l’environnement, il est important d’être en concordance avec les valeurs que l’on défend. Les valeurs, elles existent à deux niveaux : les valeurs de la société et les valeurs individuelles. Ces valeurs sont de l’ordre de la perception, de l’analyse, de la sensibilité de chacun. Elles ne sont pas des vérités. D’ailleurs en philosophie, on peut défendre tous les arguments que l’on veut, on ne pourra jamais vérifier qu’ils sont irréfutables. Réfléchir sur les valeurs que l’on défend, les questionner, les analyser, les poser en regard d’autres valeurs fondées sur d’autres arguments permet de mieux sensibiliser à l’environnement. Elle permet également d’être plus en accord, dans nos actes quotidiens avec les valeurs que l’on prône.

Aujourd’hui, face à la problématique de l’avenir de la planète, en tant que citoyen, nous devons nous fier à des discours d’experts (scientifiques, politiques, économistes, philosophes, etc.) ainsi qu’aux discours véhiculés dans la presse. Ces discours sont parfois paralysants, culpabilisants ou amènent un sentiment de peur. Il est donc important de les décortiquer, de les regarder autrement. La philosophie le permet, en développant l’esprit critique, l’abstraction, la capacité d’analyse discursive, la mise en perspective des choses…

Comment faire, en tant qu’éducateur·trice ou animateur·trice pour mener un questionnement philosophique au sujet de l’environnement?

Pour philosopher, il me semble qu’il y ait quelques ingrédients de base. Tout d’abord, il est essentiel de s’interroger sur un sujet qui n’a pas de réponse, de vérité. Poser aussi la question des valeurs et de l’éthique. L’éthique est à distinguer de la morale (ce qui est défini culturellement comme étant bien ou mal) en ce sens qu’elle va au-delà des normes sociales et amène la notion d’humanité. Philosopher, c’est également aborder le rapport personnel que les personnes entretiennent avec la Nature et le mettre en perspective avec celui que « la société » entretient avec elles. Enfin, il est essentiel de distinguer le jugement de l’argumentation. Le jugement, c’est prendre une position arrêtée qui ferme la discussion, là où l’argumentation permet de présenter une position sans prétendre détenir la vérité.

Et quelles pistes méthodologiques ?

On a cette image du philosophe qui réfléchit seul, en introspection, avec un petit calepin pour noter le fruit de ses réflexions dans un jargon plutôt incompréhensible. Mais on peut philosopher sur le terrain. On peut philosopher en groupe. C’est d’ailleurs la force du groupe qui permettra de questionner nos jugements, d’aiguiser notre esprit de se confronter à d’autres valeurs, de les enrichir, etc. Et bien entendu, on peut philosopher dans un langage accessible à tous.

Par ailleurs, philosopher n’est pas nécessairement un acte littéraire. On peut philosopher en menant une activité scientifique (par exemple l’observation au binoculaire d’une goutte d’eau, d’une feuille, etc. ), en observant la nature (par exemple, observer la forme d’un chou romanesco, ou la physionomie d’une plante telle que l’ophrys abeille, etc.), en développant une démarche de type artistique, en analysant un texte philosophique, en travaillant avec des enfants, en questionnant nos représentations initiales de la Nature, etc. Il n’y a dès lors pas, je pense, de méthodologie spécifique à appliquer si ce n’est que les participants doivent être mis en questionnement et que la parole de chacun doit être entendue, écoutée dans un contexte de confiance, respect et de libre parole. L’absence de jugement est essentielle. Plus qu’une méthode, il s’agit donc d’une posture que prendra l’animateur·trice /éducateur·trice /formateur·trice (facultés d’écoute et d’adaptation aux différents discours en vue de prôner l’ouverture à la discussion) en ErE lorsqu’il ou elle traitera de sujets philosophiques avec son groupe.

Enfin, pourquoi être familiarisé avec la philosophie quand on est acteur de l’ErE ? Car cela permet de développer des compétences essentielles face à un public et ce, au-delà de la réflexion philo : débat, échange de point de vue, expression de sa vision du monde et confrontation à celle des autres, esprits critiques, perception de la complexité des choses…

Propos recueillis par Céline Teret
Article rédigé dans le cadre du dossier « Ecocitoyenneté : à l’école et ailleurs » de SYMBIOSES (n°118, printemps 2018), magazine d’éducation à l’environnement du Réseau IDée

Prochaines formations philo de l’asbl Education Environnement, à Liège

  • Sa 01/12/2018 : Philosophie de la Nature… de la philo pour questionner les relations hommes-nature
    Elle nous fascine et nous fait peur ; elle nous apaise et nous angoisse ; elle nous nourrit et nous tue. On la défend, on la détruit ; on l’étudie, on la défie. Alors que les crises environnementales, économiques et sociales se multiplient et que les découvertes scientifiques s’accélèrerent, le monde occidentale est confronté à des relations de plus en plus ambivalentes avec la Nature. Mais qu’est-ce que la Nature? Qu’est qui est naturel? Comment nos représentations ont-elles évolué au travers des siècles? Où se situe la frontières entre Nature et Culture, entre Homme et Animal, entre humain et non-humain? Et si on changeait de regard? Au programme : analyse de nos représentations et débats passionnants, le tout à la lumières recherches actuelles en philosophie et en anthropologie de la Nature.
  • Ve 01/02/2019 : Philosophie et ErE : des clés pour animer un atelier philo et environnement
    Parce que parler de Nature et d’Environnement cache une multitude de questions telles que notre rapport personnel et existentiel au monde, notre éthique, notre responsabilité individuelle et citoyenne, etc., la philosophie apparaît comme un merveilleux outil de sensibilisation à l’environnement mais aussi de découverte de nous-mêmes et de nos propres valeurs. Cette formation vous propose donc de vivre, en l’espace d’une journée, des animations mais aussi des débats autour de thématiques environnementales variées et de découvrir quelques clés pour animer des ateliers philosophiques au sujet de toutes ces questions… qui n’ont pas de réponses !
  • >> Plus d’infos : 04 250 75 10 – info@education-environnement.be – www.education-environnement.be

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