Comment se faire entendre?Clés pour comprendreFocus

20 septembre 2019

Des gilets jaunes aux marcheurs pour le climat en passant par les femmes en grève, les stratégies de revendication sont variées. Des plus pacifiques aux plus musclées…

« Ceux qui rendent une révolution pacifique impossible rendent une révolution violente inévitable ». J. F. Kennedy

L’actualité le montre, les contestations sont multiples. Des gilets jaunes aux marcheurs pour le climat en passant par les femmes en grève, nombreux sont ceux et celles qui veulent du changement. Mais quels moyens choisir ? Pétitions, blocages, grèves, marches, dégradation de biens matériels, voire confrontation violente avec la police ? Chacun·e a son avis (souvent tranché) sur la légitimité de telle ou telle méthode face à ce qu’il ou elle considère comme « violence première » : baisse du pouvoir d’achat et mépris de classe (voir p. 19), inaction face au défi climatique, injustice migratoire, inégalités entre hommes et femmes…

Mais alors: peut-on se faire entendre pacifiquement ? Oui, répondent les centaines de milliers d’Algérien·ne·es et de Soudanais·e·s qui ont récemment poussé dehors leurs (jusque-là) indéboulonnables présidents. L’avenir dira si leur « révolution non violente » ira jusqu’au bout.

Non, répond le philosophe américain Peter Gelderloos. Pour lui, aucun changement politique majeur dans l’histoire n’a été obtenu sans violence. Les mouvements pacifistes contre la guerre du Viêt-Nam (qui a, en réalité, été interrompue en raison de son coût et de mutineries) et en Irak n’ont eu aucun impact. Quant aux figures de la non-violence comme Gandhi ou Martin Luther King, elles seraient, selon le philosophe, mises en avant surtout pour camoufler des militant·e·s, pas forcément pacifiques, véritables artisan·e·s du changement.

Battre le pavé ou le lancer ?

Le 31 mars dernier, une manifestation a rassemblé des gilets jaunes et des marcheurs pour le climat. (photo) Ce jour-là, à l’avant du cortège, une dizaine de gilets jaunes a cassé des vitrines et tagué des façades. Le lendemain, voici ce qu’écrivait l’un d’eux sur Internet : « Si nous agissons de la sorte, c’est que nous avons aussi commencé par marcher pacifiquement. (…) Nous avons pris des coups de matraque, nous nous sommes fait gazer et avons vu des êtres (…) se faire brutaliser sans raisons et sans défense. (…) Nos revendications ont par trop de fois été souillées, notre pacifisme a par trop de fois été torturé. » Voilà qui fait écho à la phrase de Kennedy : « Ceux qui rendent une révolution pacifique impossible rendent une révolution violente inévitable ».

La sagesse des désobéissants

À être « trop gentil », on peine à se faire entendre. Mais à aller trop loin dans la révolte, on risque de discréditer sa propre lutte. C’est pourquoi certain·e·s choisissent une voie intermédiaire, celle de la désobéissance civile : bloquer le chantier de construction d’un centre fermé pour familles, camper devant la Rue de la Loi pour tenter d’obtenir une Loi Climat ou décrocher le portrait d’Emmanuel Macron dans des mairies françaises… Les idées ne manquent pas.

Certain·e·s activistes franchissent des limites et sont poursuivi·e·s en justice. Par exemple quand ils et elles arrachent des plants OGM expérimentaux en Flandre ou pénètrent dans une base militaire pour prouver par l’image la présence d’ogives nucléaires sur le sol belge… « Parfois, passer à l’acte implique d’aller au-delà des cadres légaux qui existent parce que ces cadres légaux défendent par ailleurs des situations totalement illégitimes », expliquait Gabriel, avant une récente action de blocage de la Société Générale, en France, contre la « République des pollueurs ».

A ce sujet, Mondequibouge.be vous conseille aussi la lecture de l’ouvrage Les armes de la non violence, d’Olivier Maurel (éd. La Plage, 2019)

« C’est en flirtant avec l’illégalité, en faisant des choses interdites par la loi ou par les normes de l’ordre établi que l’on commence à avoir des chances d’être un tout petit peu entendu », estime dans L’Appel Bruno Frère, spécialiste des mouvements sociaux à l’ULiège. La mobilisation des étudiant·e·s pour le climat aurait-elle eu le même écho si les marches avaient été organisées le samedi, en dehors des heures d’école ?

De quoi méditer nos façons de nous faire entendre selon l’urgence des enjeux et nous situer sur ce continuum qui va du simple vote jusqu’à l’action directe. Le choix ne manque pas !

Maïder Dechamps
Article publié dans Plein Soleil n°843 (juin 2019), la revue de l’ACRF – Femmes en milieu rural
Photo : Le slogan de ce gilet jaune dans la marche pour le climat du 31 mars : « Pas casseur, juste prévoyant. Changeons le système, pas le climat ! » – (c) M. Dechamps

>> Retrouvez également l’analyse « Le droit de résistance à l’oppression » à l’aune des « gilets jaunes », un droit de l’homme imprescriptible », sur www.acrf.be

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