Plus et mieux qu’un soutien scolaire : les Écoles de DevoirsReportages

15 janvier 2020

On en entend souvent parler et on pense parfois qu’il s’agit uniquement de remplacer les parents qui ne peuvent soutenir leur enfant dans ses travaux scolaires à domicile. Mais, à chaque rentrée scolaire, les activités et l’approche proposées par les Écoles de Devoirs sont bien plus larges. Un vrai bijou social qui n’existe nulle part ailleurs, c’est une spécialité de la Belgique francophone !

« À l’École de Devoirs (EDD), on ne fait pas que des devoirs ! Le soutien scolaire ce n’est pas l’école après l’école mais des activités socio-culturelles qui renforcent les compétences des enfants » déclare, convaincue, Marie-Hélène André. Professeur de français, elle a volontiers quitté l’enseignement pour s’engager plein temps dans la Fédération francophone des Écoles de Devoirs, située à Liège.

Ce qui lui a plu, ce sont les passionnantes missions attachées à ce job : favoriser le développement intellectuel de l’enfant notamment par le soutien scolaire, aider à son émancipation sociale pour qu’il ou elle puisse s’exprimer et s’épanouir dans la société, favoriser sa créativité et son accès à la culture et, enfin, l’outiller pour qu’il ou elle fasse l’apprentissage de la participation et de la citoyenneté.
Loin des murs de l’école, les EDD naissent en général dans un quartier quand des animateurs ou des parents se rendent compte de la nécessité d’aider les enfants à faire leurs tâches scolaires. « Il s’agit souvent d’enfants issus de milieux défavorisés sur le plan socio-économique dont les parents n’ont pas les compétences, le temps, voire même un espace pour permettre aux enfants de travailler, dit Marie-Hélène André. L’objectif, c’est de leur permettre d’apprendre tout le temps, par le jeu, avec les autres, en gardant l’esprit ouvert. »

Quelques chiffres
La Fédération francophone des Écoles de Devoirs agit sur l’ensemble du territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle est reconnue et subventionnée, via le décret des Écoles de Devoirs, depuis janvier 2005 et, en tant qu’organisation de jeunesse, depuis 1998.
Plus de 16.000 enfants et jeunes entre 6 et 18 ans sont accueillis chaque jour dans 346 Écoles de Devoirs reconnues par l’ONE.
Plus de 240 d’entre elles, chacune avec sa personnalité, sont affiliées à l’une des cinq coordinations régionales réparties sur Liège, Namur/Luxembourg, Hainaut, Brabant Wallon et Bruxelles. Des régionales qui travaillent en étroite collaboration avec la Fédération.

Des activités en veux-tu en voilà

Entre sorties culturelles, expression orale et écrite, jeux, sport, ateliers de fabrication de marionnettes, visites, ateliers de robotique ou encore la restauration d’une péniche (à Anderlecht), les Écoles de Devoirs ne manquent pas d’idées. Aucun frein dans les initiatives, pour autant qu’il y ait apprentissage et participation. L’enfant est pris dans sa globalité et n’est pas seulement un élève qui doit faire ses devoirs. « On essaie de varier les plaisirs. On oublie un peu la mallette », dit Carole, animatrice.

« Il faut dire que les enfants ont déjà eu leur journée d’école et doivent se concentrer encore sur leurs devoirs, reconnaît Marie-Hélène André. Ils sont fatigués, stressés, surtout à certaines périodes de l’année et on leur met beaucoup la pression, notamment autour du CEB. On constate que beaucoup plus d’enfants qu’auparavant ont des problèmes d’apprentissage dont la dyslexie. Les haut potentiel ont aussi leurs difficultés. Les animateurs nous demandent d’organiser des formations pour mieux travailler avec ces enfants-là. Certains parents sont en grande difficulté. On peut accompagner la famille, l’aider à faire des démarches ou la mettre en contact avec un·e assistant·e social·e de quartier ».

Former des CRACS

CRACS signifie « Citoyens Responsables Actifs Critiques et Solidaires » ! Un mot qui exprime que dans les EDD, on forme à la vie dans sa globalité pour que chaque enfant reçoive et donne le meilleur de lui-même.

Les parents n’ont pas le temps ou pas les compétences, ont des soucis urgents à régler (couple en crise, famille sans-papiers, surendettement, fragilité psychologique…) pour se rendre disponibles aux enfants. Mais c’est peut-être aussi une télé allumée en permanence, des frères et sœurs remuants, un manque d’espace qui gênent la concentration pour le travail scolaire. Quand ce n’est pas l’incompréhension de l’entourage : « Ma maman, quand je savais pas, elle me gueulait dessus, alors j’en avais marre », soupire Gaëtan, 8 ans. Ce que comprennent bien Medhi, Giada et Kawtar (respectivement 14, 13 et 12 ans) : « Nos parents, ils n’ont pas tous été jusqu’au bout. Après, les parents, ils ne savent pas quoi faire quand ils voient leurs enfants qui ne savent pas faire les devoirs ». Ornella, 13 ans, explique : « C’est un endroit (l’EDD) qui t’aide à comprendre, à résoudre tes difficultés pour mieux suivre tes études ». Beaucoup de parents comprennent bien l’enjeu d’envoyer leur progéniture en École de Devoirs: « Moi, certains devoirs, je comprends rien. Je veux que ma fille apprenne tout, mieux. J’ai jamais eu la chance qu’elle a : elle est condamnée à venir ici », dit Foos.

2.000 animateurs et animatrices

Accompagner les enfants lors de leurs apprentissages et découvertes, respecter leur rythme et les différentes intelligences, mettre en place des méthodes différenciées en fonction des besoins et faire le lien entre les savoirs et la réalité de la vie demande de sérieuses compétences. Les animateurs professionnels et les nombreux bénévoles suivent des formations dans le domaine pédagogique ou artistique et se donnent à fond avec pour priorité le bien-être des enfants. « Ce n’est pas une garderie bon marché, ni une étude surveillée, c’est un soutien scolaire. On est là pour faire le relais entre l’école et les parents », précise Emmanuelle, coordinatrice.

La Fédération francophone des Écoles de Devoirs, située à Liège, apporte des formations, des outils, propose une magnifique revue trimestrielle intitulée Filoche qui apporte des informations de type pédagogique, des dossiers utiles à la réflexion, de l’actualité, des échos des régions et des témoignages.

Un enjeu de société

Pour bénéficier de subventions, les Écoles de Devoirs sont tributaires des politiques et des dispositifs institutionnels relatifs à l’enfance. Y sont impliqués la jeunesse, la famille, l’intégration des populations d’origine étrangère, les politiques urbaines et de lutte contre l’échec et le décrochage scolaire. Tous les cinq ans, un projet pédagogique et, chaque année, un rapport d’activité et un plan d’action doivent être présentés aux Pouvoirs publics. Les EDD n’échappent pas au stress commun à tout l’associatif : la recherche et l’obtention de subsides et le maintien des postes subsidiés.
La Fédération fait partie de la plateforme contre l’échec scolaire du Pacte d’excellence et de bonnes initiatives sont mises en place pour lutter contre les inégalités avec un important tronc commun utile aux plus fragiles. Il faut savoir que le décret mission de 1997 a établi que l’enfant de 5ème et 6ème primaire ne doit pas passer plus de 30 minutes par jour à ses devoirs. Le Pacte d’excellence propose même de les supprimer ! Ce qui, si cela arrivait, ne devrait pas devenir une raison pour évacuer les EDD dont la mission dépasse très largement l’objectif initial d’aide scolaire.

La plupart des EDD sont ouvertes tous les jours. Avec un animateur ou une animatrice pour dix enfants, on comprend que ceux-ci soient moins intéressés par les tablettes et smartphone que par la joyeuse dynamique relationnelle instaurée dans les multiples apprentissages qui leur sont proposés. Celle-ci est basée sur la « discipline positive » (1) qui sous-tend les EDD et s’inspire aussi des écoles Freinet et Montessori. Étonnant : les EDD n’existent pas en Flandre ni ailleurs en Europe. Ce véritable joyau, bon pour les enfants, les parents et la société, est un concept wallon-bruxellois ! Ça en bouche un coin !

Godelieve Ugeux
Article publié dans Plein Soleil n°845 (septembre 2019), la revue de l’ACRF – Femmes en milieu rural
Photos : © Christophe Smets

(1) La Discipline Positive de Jane Nelsen et Lynn Lott répond aux besoins d’une société en mutation. Elle propose aux parents, aux enseignants et aux éducateurs un ensemble d’outils et une méthode ni permissive ni punitive qui développe chez l’enfant l’auto discipline, le sens des responsabilités, l’autonomie, l’envie d’apprendre, le respect mutuel.

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