La Finance sauvera-t-elle la Planète ?Clés pour comprendre

28 août 2020

Si la nature n’a pas de prix, la protéger a un coût. Les États disent ne pas avoir l’argent. Où le trouver, alors ? Certains regards se tournent vers la « finance verte », celle qui donne une valeur monétaire à des réserves naturelles et des espèces menacées. Faut-il laisser la Planète aux mains de la Bourse ?

Aujourd’hui, à l’exception de quelques indécrottables climatosceptiques (parfois, malheureusement, aux rênes du pouvoir), tout le monde s’accorde à reconnaître l’urgence climatique. Or, tant du côté de l’écologie profonde que des financiers les plus carnassiers, on partage un constat : cela va demander de l’argent, beaucoup d’argent. Si la nature n’a pas de prix, la protéger a un coût. Où trouver l’argent ? Les États bottent en touche sous prétexte de finances « exsangues ». Depuis 2008, l’argent ne se trouve pas dans l’économie réelle mais à 95 % sur les marchés financiers. Certains affirment que c’est la finance qui sauvera le monde. Avec quels bénéfices et quels dangers ?

À quel prix, la nature ?

La valeur de la nature est inestimable. Pourtant, si on attend de la finance qu’elle sauve la planète, il faudra bien la « monétariser ». Pas facile ! Combien valent les insectes polinisateurs d’une région ? Quel prix donner à un glacier ? Comment valoriser une espèce en voie d’extinction ? Donner une valeur économique à la nature peut paraître absurde de prime abord. Mais cela n’est pas neuf. C’est comme lorsque vous achetez des terres agricoles, un terrain boisé, etc. vous attribuez une valeur à une portion de terre et à la nature qui s’y trouve. Votre parcelle contient-elle une source d’eau, des terres arables, une zone humide protégée, etc. ? Cette démarche de monétarisation est d’abord destinée à rendre « la nature audible » auprès de l’ensemble des décisionnaires de ce monde. Il s’agit de faire parler le même langage à tout le monde. Le langage dominant. Celui de l’argent.

Des arbres à Wall Street

Donner une valeur monétaire à un élément naturel permet de le vendre ou de l’acheter. Cela n’est pas neuf. Ce qui l’est, par contre, c’est l’émergence de cette nature dans un autre procédé du monde financier, la « financiarisation » ou « titrisation ». C’est ce que l’on commence à nommer la « finance verte ». Ainsi, il est possible de prendre des parts dans une portion de forêt amazonienne, d’une réserve naturelle et de parier sur leur protection pour que le titre prenne de la valeur. À moins qu’on ne parie, au contraire, sur leur raréfaction car, sur les marchés, tout ce qui est rare est cher. La déforestation en elle-même pourrait alors devenir très rentable pour certains.

Pendant plusieurs mois, le monde a assisté, désemparé, aux incendies dévastateurs du poumon vert de la planète. L’Amazonie brûlant toujours plus sans que le président brésilien, Jair Bolsonaro, ne fasse rien. Pire, par son laxisme et sa déconsidération assumée des peuples indigènes, il a tout fait pour accélérer la destruction de ce patrimoine planétaire.

Cet exemple renforce l’idée que le système démocratique (Jair Bolsonaro a été élu démocratiquement) et la gestion publique ne garantissent pas une préservation de nos écosystèmes. Pour ses défenseurs, la finance verte a justement le mérite d’intervenir là où les gouvernements n’ont pas régulé. En protégeant les écosystèmes délaissés par les investissements publics. La finance verte, en individualisant les intérêts permettrait une bien meilleure protection que les autorités publiques. Selon cette logique, dans le cas de la forêt amazonienne, si chaque parcelle était la propriété d’un privé, celui-ci aurait intérêt à conduire les incendiaires devant les tribunaux pour demander des réparations car la destruction de la forêt entraînerait une perte de la valeur de son titre. L’autre argument avancé par les défenseurs de la finance verte est qu’elle permet de protéger des éléments naturels essentiels mais qui ne remportent pas forcément l’affection du grand public ou des États. La finance verte présente donc des atouts. Notamment sa capacité à aller piocher dans les flux gigantesques d’argent qui transitent sur les marchés et dont les États ne bénéficient pas. Mais elle présente aussi d’énormes risques liés à son principe fondamental de maximisation du profit.

Ce qui est rare est cher

Que se passera-t-il si, comme c’est le cas pour d’autres produits financiers actuels, la valeur du titre dépend de la raréfaction du produit ? On connaît l’expression « ce qui est rare est cher ». Dans ce cas, les détenteurs de droits auraient tout intérêt à ce que des biotopes disparaissent pour voir leur titre prendre de la valeur. Peut-on courir ce risque ?

Autre danger majeur : en cas de crise provoquant une perte de la valeur des titres, l’intérêt des investisseurs baissera, laissant le biotope concerné sans aucune protection. Au moment où, économiquement, il sera plus rentable de vendre ses droits que d’en protéger la valeur, comment éviter que l’ensemble des titres d’une réserve naturelle, par exemple, ne soit acheté par un groupe ayant pour projet d’y construire un complexe hôtelier ?

L’un des soucis majeurs de la finance verte est qu’une fois privatisée, la gestion de notre environnement mondial se retrouve pour toujours en dehors des mains des autorités publiques. Hors du contrôle de tout organe démocratique dont les critères de gestion peuvent s’éloigner de la recherche du profit à tout prix.
Considérée comme outil d’investissement, la finance ne pourra donc sauver la planète que si sa quête du profit avant tout laisse place à une vision ancrée sur le respect de la planète. Car les études montrent que la régulation (et non la financiarisation) est ce qu’il y a de plus efficace en matière de préservation de l’environnement. C’est à l’économie de s’intégrer à l’environnement et non l’inverse. Les questions environnementales devraient primer sur l’efficience économique. Peu importe d’où vient l’argent nécessaire à la transition écologique, la préservation de nos lieux et modes de vie incombe d’abord à nos représentants politiques. Les limites budgétaires nationales ne peuvent en aucun cas servir d’alibi à une démission face aux enjeux environnementaux de notre temps.

Green New Deal

Le Green New Deal de la prochaine Commission européenne sera-t-il un outil au bénéfice du bien commun et de l’environnement ? En tout cas, l’espoir est permis. Organisé autour d’une « banque d’investissement pour le climat » et d’un « fonds d’investissement européen durable », ce New Deal est présenté comme un outil capable de contrer le réchauffement climatique tout en refondant l’économie réelle. Utilisant les mêmes mécanismes de « création » d’argent qu’après la crise de 2008, la Banque Européenne d’Investissement serait capable de fournir à chaque état un montant équivalant à 2 % de son PIB à un taux 0 % pour financer des projets liés aux économies d’énergie et à la création d’énergie renouvelable.

À cette banque, serait ajouté un fonds destiné à financer des investissements à hauteur de 100 milliards d’euros par an répartis comme suit : 40 milliards d’euros pour financer la transition en Afrique, 10 milliards d’euros pour la recherche et 50 milliards d’euros pour financer les projets en Europe. En outre, comme pour parfaire le tableau, le projet de la future Commission prévoit la levée d’un impôt européen de 5 % sur les bénéfices des entreprises afin de financer structurellement l’effort pour le climat. Les plus optimistes verront en ces mesures un gage de bonne foi des autorités européennes et la preuve d’une volonté d’arriver à une durabilité forte en se servant des opportunités offertes par la finance dans un cadre strict et régulé. Pourtant, à ce jour, rien n’est fait.

Et un autre doute s’impose à nous. Si créer autant d’argent a déjà été fait lors du sauvetage des banques et de la finance mondiale en 2008, l’Europe n’a pas imposé ses normes au secteur et l’usage des fonds de ce sauvetage n’a pas suivi les belles intentions de l’époque. Ceci pose donc, sous un angle nouveau, une question essentielle qui taraude notre mouvement depuis de nombreuses années. La finance est-elle capable de se plier à d’autres règles que celle de la maximisation du profit ? Est-on capable, en Europe, de lui imposer son comportement ? L’après-crise de 2008 nous a montré tout le contraire. Les plus fervents défenseurs de la finance verte voudraient lui tailler un costume de superhéroïne au service du bien. Pourtant à l’heure actuelle, on constate que cette finance, dotée d’un pouvoir démesuré, s’apparente bien davantage à l’indomptable Mister Hyde utilisant sa force incommensurable pour ne suivre que ses propres desseins.

Corentin de Favereau, chargé d’études et d’analyses à l’ACRF
Article publié dans le numéro 850 de Plein Soleil (février 2020), la revue de l’ACRF – Femmes en milieu rural

Retrouvez l’analyse « Superfinance versus GlobalwarmingMan, la finance sauvera-t-elle le monde ? » en intégralité sur www.acrf.be

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