Démocratie à l’école : l’utopie mise à l’épreuve du réelReportages

30 juin 2009

pedagogie-nomadeImaginez une école où élèves et professeurs sont à égalité dans l’exercice du pouvoir. Où ils gèrent ensemble l’établissement au quotidien, des comptes aux cantines. Où le « droit d’errance » est au cœur du projet d’établissement. Où le respect du rythme individuel de l’élève prend les formes d’un projet collectif. Vous êtes à Limerlé, à « Pédagogie Nomade », une vraie école, mais démocratique. Survol.

« Ici, que l’on parle des apprentissages ou de la gestion de l’école, tout est discuté entre profs et élèves, décidé et construit ensemble. Après, on ne peut plus dire “Ça ne m’intéresse pas, c’est nul”. Nous portons tous notre part de responsabilité dans le fonctionnement de l’école, dans ce qu’on y apprend. C’est bon pour l’autonomie ». Assis à la grande table de la salle commune, Moïse, élève de 5e, explique le fonctionnement de Pédagogie Nomade, une école qui veut être un laboratoire de la démocratie scolaire.

Cette salle commune, à l’image de toute l’école, ce sont enseignants, élèves et parents qui l’ont construite, en août passé. Au coeur d’une vieille ferme de schiste de Limerlé, perdue en campagne luxembourgeoise, sur le site de Périple en la Demeure, une association locale au riche projet culturel et environnemental.

Pratiques institutionnelles et pédagogiques ne font qu’un

Sous le porche d’entrée sentant bon le feu de bois, une élève fait la bise à son prof, l’appelle par son prénom et plaisante avec lui. Les quelques jeunes qui nous rejoignent soulèvent toute l’originalité de ce projet d’école, et de son fonctionnement inspiré d’un lycée de Saint-Nazaire (1), comme si ce projet faisait partie d’eux-mêmes, de leur identité. Tous ont d’ailleurs dû écrire une lettre de motivation pour leur demande d’inscription. « Il n’y a pas un profil, explique Adrien, élève de 6e qui « voulait faire changer les choses dans son ancienne école mais n’y avait pas le droit ». Certains étaient en décrochage, d’autres pas, mais nous avons probablement tous un point commun : nous cherchions un autre rapport à l’école et d’autres rapports dans l’école ».

Conseil d’institution, assemblée générale hebdomadaire, groupes de base… le fonctionnement institutionnel de Pédagogie Nomade est complexe et met au panier celui de l’école traditionnelle. La douzaine de profs et la soixantaine d’élèves y ont le même poids décisionnel et le consensus est obligatoire.
Pas de directeur donc, et pas de personnel d’entretien ou de secrétaire non plus : élèves et profs sont amenés à gérer quotidiennement l’école de A à Z (comptes, communications, nettoyage, cantine…), par tournante. Ce qui permet d’étendre, de multiplier et de différencier les traditionnels « cours » par leur mise en pratique.

En parlant de cours, là aussi c’est la révolution. Groupes de niveaux (cours « classiques » de math, sciences, langues… pour un total de 6h par semaine), groupes de besoins (4h), groupe de désirs (ateliers proposés et réalisés par les élèves, 7h), travaux personnels encadrés (3h), projets individuels ou collectifs s’étalant sur au moins un trimestre (3h), pratiques institutionnelles (intimement liées au projet pédagogique, 4h)… Le temps pédagogique est pensé pour répondre aux besoins de chaque élève et à son rythme. Les principes de bases sont le décloisonnement, la mise en projet et l’expérientiel. « On veut pousser l’élève à ne plus subir le savoir, à l’éprouver pour lui-même. Dès la bonne saison, on ira par exemple au potager pour aborder les sciences », précise le prof de bio-chimie. « Pour le cours d’histoire-géo, explique Adrien, nous avons analysé le programme officiel. Chacun y a choisi ce dont il voulait parler, l’a travaillé de son côté, avant une mise en commun. Le prof, lui, recadre, complète, donne des exercices… »

Apprendre partout

« A l’école, on te demande d’apprendre pour ta vie future, mais il n’y a pas d’obligation du “où apprendre et comment”, raconte Moïse. C’est pour cela que ça s’appelle Pédagogie Nomade, car on apprend dans tous les coins : chez soi, à la biblio, en travaillant avec des amis ou en vous parlant alors que j’ai cours… » « C’est ce qu’on appelle le droit d’errance, enchaîne sa camarade Violette, qui loge dans une caravane adossée à l’école. On peut être présent à l’école et absent dans sa tête. Ici, on insiste davantage sur la présence dans la démarche que sur la présence physique. Cela dit, on respecte le squelette légal de toute école : nous nous évaluons par rapport aux socles de compétences, nous remplissons les obligations incontournables comme le « Plan individuel d’apprentissage », il y a des inspections… » « C’est pas un camp de vacances, continue Adrien, c’est même plus dur qu’une école traditionnelle, car cette liberté, il faut l’assumer, s’auto-gérer. » « Moi je veux aller à l’unif, c’est une bonne préparation », conclut Moïse.

A prendre partout ?

On peut encenser ou au contraire fustiger cette école alternative expérimentale. Certains n’y verront que de la naïveté libertaire tentant de taire les contraintes et les jeux de pouvoirs. D’autres s’interrogeront sur la pertinence de transformer l’école en tube à essai et les élèves en rats de laboratoire. D’autres encore argumenteront que si ce type d’établissement relance une poignée de jeunes sur les chemins de la scolarisation, elle reste encore inadaptée à la grande majorité des « exclus du système ».

Il n’empêche que cette tentative, en évolution permanente et suivie de près par l’inspection, permet de sortir de nos certitudes, de repenser nos carcans, de poser la question de la transmission du savoir, du déficit démocratique de l’école et de tenter d’y apporter une part de réponse. Cette école n’est pas un modèle, c’est un laboratoire à la fois dans le système et à sa marge. On y voit des élèves qui ont troqué l’opposition, la soumission ou l’anarchie pour la responsabilité et l’autonomie, des jeunes qui trouvent désormais qu’école rime avec désir, confiance, collectif, liberté…

Christophe Dubois
Article publié dans le dossier « Participation, résistance : on fait tous de la politique » de Symbioses (n°82 – printemps 2009), magazine d’éducation à l’environnement du Réseau IDée

(1) A l’origine, Pédagogie Nomade est un collectif belge d’enseignants, d’éducateurs et de chercheurs en philosophie qui travaille sur les rapports entre école et démocratie. Il a élaboré ce projet d’école, fin 2006 – début 2007, en se fondant en majeure partie sur ce qu’il a découvert au Lycée Expérimental de Saint-Nazaire (France).

En savoir plus:

  • Contact: Pédagogie Nomade – 080 51 19 46 – info@pedagogienomade.be
  • Plus d’infos sur le fonctionnement de cette école, d’un point de vue institutionnel, politique et pédagogique, ou encore sur les pédagogies alternatives, via le site web de Périple en la Demeure : www.peripleenlademeure.be

Un commentaire sur “Démocratie à l’école : l’utopie mise à l’épreuve du réel”

  1. zadi Emmanuel dit :

    j’aimerais vous féliciter pour ce travail de recherche sur le fonctionnement de l’institution scolaire qui à mon avis favorise l’échec scolaire et la délinquance des élèves d’aujourd’hui.