Le jardin, cet aide-soignant… Vraiment ?Clés pour comprendre

7 février 2019

L’attrait pour le jardinage aujourd’hui n’est pas anodin. S’il concerne souvent une volonté de se réapproprier une alimentation biologique et locale, il ne se réduit pas à cette dimension utilitaire. Le jardin nourrit, mais encore : il rassemble, fait rêver, épanouit, guérit, mobilise. On le voit en ville comme à la campagne. Il est l’ami de l’économe et du poète, du militant et du solitaire, du survivaliste, du pédagogue et du designer. C’est tout cela que cette rubrique se propose d’explorer.

Je vous fais une confidence : l’idée de consacrer tout un article aux vertus thérapeutiques du jardinage m’est venue de… Louis De Funès ! J’avais vu passer, sur les réseaux sociaux, cette vidéo virale où l’on voit l’acteur le plus surexcité de l’histoire du cinéma français, très calme, en train de vanter les vertus du jardinage biologique. Dans la foulée, j’en avais vu une autre dans laquelle De Funès, à côté d’un camélia, racontait combien le jardinage l’apaisait. “Pour moi qui suis un nerveux, ça m’amène tout cela, du calme, de la patience, de la sérénité.” Que demander de plus ? Je suis prêt à croire Louis De Funès sur parole. D’autant qu’il n’est pas le seul à témoigner des effets relaxants de l’activité au jardin. Nombreux êtes-vous d’ailleurs, probablement, à les avoir déjà expérimentés par vous-mêmes.

Mais à titre personnel, je confesse que je suis une exception à la règle. Le jardinage ne m’apaise pas vraiment. Il aurait même plutôt tendance à m’irriter. Parce que ce n’est jamais fini. Il y a toujours davantage à faire, des herbes ont repoussé par-ci, les tomates ont besoin d’eau par-là, le compost devrait être retourné, et mille autres joyeusetés alors que j’ai encore deux articles à terminer, qu’un enfant pleure au loin dans la maison et que je vais certainement manquer l’arrivée de l’étape du jour – disons que ceci a lieu pendant le Tour de France. Le moment que je préfère est donc plutôt celui où, l’ouvrage derrière moi, vient l’heure de m’installer dans le hamac et de prendre l’apéro – puisque, hélas, l’étape est bien terminée. Cette année-ci d’ailleurs, je vous l’avoue, la question a été réglée plus radicalement : je ne jardine pas, et cette décision m’apaise. Toutefois, puisque Louis De Funès me contredit, je me dois de mener une enquête digne de ce nom et de chercher d’autres sources et témoignages à l’appui de ce comique. Mais vous l’aurez compris, je ne pars pas convaincu. J’aime le jardin, ah ça oui, mais quant au jardinage… Il va me falloir écrire à rebrousse-poil de mon vécu.

L’agriculture sociale pour reprendre pied

La réminiscence de Louis De Funès en a appelé d’autres. Je me suis souvenu d’un projet dont on m’avait parlé il y a quelques années, une association en construction dont l’objectif était de mettre en contact des usagers de centres de santé mentale avec des agriculteurs. En toile de fond de cette initiative, bien sûr, il y a l’idée que le travail de la terre est susceptible de faire du bien aux personnes. Ce projet a-t-il abouti ? J’en ai retrouvé la trace. Il s’appelle “Nos oignons” et il a l’air de bien se porter. De quoi s’agit-il ? Depuis 2012, l’association met en place des ateliers collectifs de jardinage/maraîchage, en partenariat avec des maraîchers professionnels et des institutions de soins. “Les ateliers, organisés à rythme régulier tout au long de la saison au sein de chaque institution, se déroulent sous la forme d’un échange de services : une partie du temps est consacrée au travail sur la production de l’entreprise hôte ; l’autre partie est consacrée à l’exploitation d’un potager collectif sur une parcelle mise à disposition par l’entreprise. Les produits du potager collectif reviennent aux participants qui s’en retournent, chaque semaine, avec un beau panier de légumes. L’échange d’expériences et de savoir-faire est centrale (1).”

Ce type d’initiative est désigné par le vocable d’agriculture sociale, dont l’objectif n’est pas l’insertion professionnelle ou la production en tant que telle, mais bien l’amélioration du bien-être physique, mental et psychologique des personnes. Une recherche menée au Royaume-Uni, dans les années 2000, a montré chez les bénéficiaires des projets d’agriculture de soin (care farming) “une augmentation importante de l’estime de soi, une réduction des sensations de colère, confusion, dépression, fatigue et tension. Les usagers ont aussi ressenti plus d’énergie et se sentaient plus actifs. Ils ont aussi insisté sur l’importance d’être dehors, d’être en contact avec d’autres personnes et des animaux (2).” Bien sûr, l’ensemble des effets bénéfiques constatés en agriculture sociale n’est pas dû au seul fait de travailler en contact avec les plantes et les animaux. D’autres facteurs entrent en ligne de compte, comme le lien social, la participation à une activité utile, le caractère visible et concret des gestes effectués, etc. La démarche d’une association comme Nos Oignons repose, par ailleurs, sur un cadre sociétal global, dans lequel l’activité agricole permet de reprendre pied. “Notre proposition thérapeutique prend donc en compte les difficultés de l’individu tout en prenant au sérieux un environnement objectivement anxiogène (crise économique, sociale, environnementale) sur lequel il est possible de retrouver, ensemble, une prise accrue (3).” Ce n’est pas seulement parce qu’elle s’effectue à l’extérieur, au contact de la nature, que l’activité prend sens, c’est aussi par sa fonction et la place qu’elle tient dans le fonctionnement de la société.

Des études par centaines

Du coup, pour revenir à ma question initiale, est-ce vraiment le jardinage qui fait du bien, ou plutôt le sens qu’il prend pour les personnes qui le pratiquent ? N’en déplaise à ma perplexité, certaines études pointent précisément le rôle des plantes elles-mêmes, du moins les effets de leur proximité. “En 1986 par exemple, deux scientifiques, Ulrich et Simons, ont ainsi démontré que la vue des plantes diminuait les symptômes physiologiques liés au stress : baisse de la tension musculaire et de la pression artérielle, rééquilibrage du rythme cardiaque… En 1982 déjà, un article publié dans la revue Science avait mis en évidence que des patients se remettaient plus rapidement après une opération, qu’ils consommaient moins d’analgésiques et se sentaient plus sereins si leur fenêtre donnait sur un paysage naturel (4).” Deux références ne suffisent pas à faire une vérité… Mais, en l’occurrence, je dois reconnaître que ma recherche a abouti à une bibliographie comprenant des dizaines d’études (5) établissant un lien entre la présence d’arbres et de plantes dans un environnement proche, et le renforcement du lien social, du sentiment de sécurité, la réduction du stress, la réduction des troubles de l’hyperactivité, la baisse de l’asthme et de l’obésité, la diminution de la durée des séjours d’hospitalisation, etc.

Louis De Funès, des projets d’agriculture sociale, des études scientifiques… Mais encore ? Les bienfaits du jardinage n’en ont pas fini avec moi. Car en poursuivant mes investigations sur le sujet, j’ai eu la surprise de tomber sur un mot qui allait finir de me convaincre que c’est bien moi qui vis sur une autre planète : l’hortithérapie. Oui, cela existe bel et bien. Cette thérapie, psychologique et physique, au contact des plantes, n’est même pas une pratique ésotérique ! Non non, tout ce qu’il y a de plus sérieux.
“Pour des pathologies comme la maladie d’Alzheimer, l’autisme, l’hyperactivité des enfants ou l’anorexie, elle semble avoir de réels effets positifs d’accompagnement. Il ne s’agit pas de supplanter les médicaments, mais d’accompagner les pathologies en réactivant des fonctions sensorielles un peu endormies (6).” L’hortithérapie est ainsi mise en place au sein de maisons de repos et de soins, ou dans certains hôpitaux. C’est notamment le cas à Mons, au CHP Chêne aux Haies, qui a reçu un prix de la Belfius Foundation en 2014 pour la mise en place d’un grand jardin thérapeutique, avec quatre potagers, un coin zen, un sentier, un verger, un espace pour les plantes aromatiques…

Le bonheur de Samy

L’une des pionnières de l’hortithérapie, en France, s’appelle Anne Ribes. Infirmière, elle a créé en 1997 l’association Belles Plantes, avec son mari Jean-Paul Ribes. Sa finalité est de “promouvoir le jardinage et l’art du jardin au service de l’intérêt commun et en particulier par la création de jardins de soin dans les institutions qui prennent en charge les personnes malades ou handicapées (7).” Anne Ribes anime ainsi, depuis 1997, des ateliers potager-fleurs, notamment au sein de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, avec des enfants autistes. “J’essaie de les sensibiliser à l’autre, et le jardin est un très bon moyen pour cela. Si on tire sur une fleur, il n’y aura plus de fleur. Si on marche sur une fraise, elle sera écrasée. Ce sont des enfants qui peuvent être violents. Au jardin, ils ont un comportement différent. Ils me parlent de leur grand-mère par exemple. Ils sont aptes à beaucoup de choses à partir du moment où on les comprend (8).”

C’est dans une vidéo presque confidentielle, dénichée sur Youtube, que je prends connaissance du travail d’Anne Ribes. On la voit au contact des enfants, réalisant simplement avec eux des petits gestes simples de jardinage : découper des orties pour protéger les pieds de tomate à la plantation, cueillir la menthe pour la tisane, arroser, transporter des plants… Le reportage se focalise sur Samy, un garçon de douze ans, qui ne parlait pas et ne prenait jamais d’initiative. En activité au jardin, on le voit sortir quelques mots, pousser des cris de contentement, participer pleinement. Le sens de ce genre de projets est fort. La symbolique aussi. Il faut, en effet, se rappeler que, durant plusieurs siècles, l’hôpital avait une fonction bien moins positive qu’aujourd’hui. L’association Belles Plantes s’inscrit aussi dans ce mouvement d’ouverture du milieu hospitalier vers l’extérieur. “Plus largement d’un point de vue historique ou sociologique, l’hôpital doit encore et toujours se débarrasser des dernières traces qui demeurent de ses origines, le lieu d’enfermement de ceux qu’on ne voulait pas voir (cf. Michel Foucault), pour redevenir un lieu proche de la vie. Accentuer l’idée de villages thérapeutiques, de l’hôpital jardin dans la ville, tel est le propos de Belles Plantes (9).”

Verdict

Allons, vous l’aurez compris, tout porte à croire que la pratique du jardinage concentre – objectivement ! – une série de bénéfices essentiels à la santé : l’activité physique, le contact avec la nature, l’inscription dans un temps et un espace singuliers, la mise en projet, le plaisir de la récolte. Le croisement des études, des pratiques et des expériences donne tort à celles et ceux qui, comme moi, n’y trouvent qu’un plaisir relatif et intermittent. À moins que ce ne soit malgré moi, “à l’insu de mon plein gré” comme disait le cycliste ? Ceci me rappelle qu’il est temps de mettre un terme à cette petite investigation : c’est bientôt l’arrivée du Tour de France. Les exceptions confirment les règles, après tout. Elles permettent aussi la nuance. Si tout le monde n’est pas apaisé par le jardinage, c’est qu’il faut sans doute rester raisonnable et prudent sur ses bienfaits. Les excès d’enthousiasme peuvent faire des ravages. On connaît les dérives auxquelles on s’expose dès lors qu’on entre dans un rapport dogmatique à une théorie ou à une discipline. Les mots de “bien-être”, “guérison”, “thérapie” sont à double tranchant. Alors jardinez, jardinons, mais n’oublions pas le reste !

Guillaume Lohest
Article publié dans Valériane n°133 (septembre-octobre 2018), la revue de Nature & Progrès Belgique

(1) Rapport d’activités 2016-2017 de l’asbl Nos Oignons, disponible sur www.nosoignons.org
(2) Agriculture sociale et thérapeutique en Rhône Alpes (ASTRA), Fiche d’information, “Les apports de l’agriculture sociale et thérapeutique à des personnes en difficulté”, d’après Hine. R, Peacock. J & Pretty. J, 2008, Care farming in the UK: Evidence and Opportunities, University of Essex
(3) Rapport d’activités 2016-2017 de l’asbl Nos Oignons, disponible sur www.nosoignons.org
(4) Caroline Sallé, “Psycho : jardin sur ordonnance” dans Le Figaro, 6 juin 2010.
(5) Une compilation de ces études a été réalisée par le service documentaire Plante & Cité dans un numéro spécial : “Bienfaits du végétal en ville sur le bien-être et la santé humaine”, Angers, 2012-2013, www.plante-et-cite.fr
(6) “Jardins thérapeutiques et hortithérapie”, Lemonde.fr, les dossiers de Binette & Jardin, Plantes et Santé
(7) Association Belles Plantes, présentation sur http://associationbellesplantes.blogspot.com
(8) “Faut pas rêver : le jardin à l’hôpital” – Youtube
(9) Association Belles Plantes, présentation sur http://associationbellesplantes.blogspot.com

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