Un jardin entre les murs…Reportages

19 août 2014

Des ateliers de jardinage menés une fois par semaine par deux animatrices du Centre Régionale d’Initiation à l’Environnement (CRIE) du Fourneau Saint-Michel. Jusque-là, rien d’inhabituel… Si ce n’est que ça se passe entre quatre murs et sous haute surveillance. Christian Dave, coordinateur du CRIE, raconte le jardin de la prison de Marche-en-Famenne.

Contexte

Ce projet a lieu dans la toute nouvelle prison de Marche-en-Famenne, prévue pour accueillir 400 personnes. Les détenus sont principalement des hommes, mais il y a aussi une petite section d’une douzaine de femmes. C’est une prison en sections ouvertes, c’est-à-dire que pendant la journée, les cellules sont ouvertes au sein même d’une section. Les détenus peuvent passer d’une cellule à l’autre, mais ne peuvent pas sortir de leur section, circuler dans la rotonde ou dans le reste du bâtiment. Le jardin se trouve au centre de la prison entourée de hauts murs. Le jardin lui-même est grillagé sur 4 mètres de haut et surveillé par 5 caméras. Un jour par semaine, deux animatrices du CRIE accompagnent cet atelier de jardinage. Tous les ateliers sont continuellement surveillés par vidéo. Quand on entre dans le jardin, il y a un « mouvement », c’est-à-dire qu’un groupe de détenus est amené par un gardien. Ils entrent dans le jardin avec les animatrices, puis le gardien ferme à clé et le groupe reste enfermé toute la journée au jardin. Il n’y a pas de toilettes sur ce terrain, donc il faut prévoir d’y aller avant ou attendre la fin de la journée. Les détenus qui participent à l’atelier jardin sont une quinzaine. Ils ont été sélectionnés par le directeur de la prison, après en avoir fait la demande. C’est la première année qu’on mène ce projet, mais chaque année, il y aura un roulement. Le groupe changera d’une année à l’autre. Et la grosse crainte des participants actuels est de ne pas pouvoir revenir l’année prochaine…

Un projet chargé de sens

Lors de sa création, la prison a engagé un coordinateur d’animations, qui a mis en place une série d’ateliers. L’un des ateliers imaginé au départ était la création d’un projet de culture maraîchère. C’est dans ce cadre que nous avons répondu à un appel d’offres. En tant que CRIE, on a d’emblée trouvé notre place dans ce projet, car on estime que s’il y a un lieu où les personnes ont besoin de recevoir de l’humanité, de l’espoir et tout ce que peut apporter le plaisir de travailler la terre, c’est bien là. Il faut savoir que tout est bétonné. Les détenus n’ont pas accès à un mètre carré d’herbe. Dans la cour, qui est entièrement bétonnée, il y a 3 arbres… en métal. Les troncs de 4 mètres de haut sont complètement lisses pour éviter d’y monter. Tout est prévu, contre le suicide entre autres. Si on dépose un sac de plus de 5 kg sur l’évier, celui-ci s’arrache… pour éviter que les détenus se pendent à l’évier. Le jardin est lui-même bétonné. Il est composé de 80 bacs hors sol d’1m50 sur 1m50. Les bacs ont été construits en même temps que la prison. Ils ne contenaient rien d’autre que de la terre de prairie quand l’atelier a démarré.

Construire le projet avec les détenus

Si certains détenus n’ont jamais jardiné, d’autres par contre ont déjà cultivé auparavant. Il y a notamment un Roumain qui était agriculteur dans son pays, un Marocain qui travaillait dans une palmeraie ou encore un ingénieur civile qui avait chez lui 300 espèces différentes de tomates.

Le projet partait de zéro. La structure nous était imposée mais pour le reste, on avait carte blanche. On n’avait pas d’obligation de production, on n’avait aucune demande précise par rapport à la construction du projet. Ca nous intéressait, car on avait envie de pouvoir construire le projet avec les détenus. On a d’abord visité le lieu avec eux, on a regardé ce qu’il y avait dedans et puis, on s’est demandé ce qu’on y ferait, comment l’arranger, le structurer, etc. Il a fallu que les détenus se mettent d’accord entre eux. Le groupe est composé de personnes de différentes sections. Ils ne se connaissent pas. Il a fallu d’abord une mise en connaissance. De nous, puis d’eux ensemble. On a très vite constaté qu’ils venaient soit avec des projets individuels, soit avec une envie collective. Le jardin s’est alors structuré en parties individuelles et en parties collectives. Les participants se sont constitués en sous-groupes et chacun est responsable des bacs collectifs et de son bac individuel. Chacun a choisi ce qu’il voulait y planter. Rapidement, une organisation de groupe et une forte solidarité entre eux se sont créées. Il y a du respect et une réelle entraide au jardin. Les détenus nous expliquent que dans les sections, ils se sentent seuls et qu’au jardin, ils se reconnaissent comme un groupe. « Le jardin, c’est notre famille », nous disent-ils. Quant à notre rôle, au-delà de l’accompagnement en matière de jardinage, nous nous sommes rendu compte que nous étions perçus par le groupe comme l’élément mobilisateur et stabilisateur, comme le point d’équilibre pour les relations apaisées dans le groupe.

Un potager pour produire ?

Ils veulent produire, oui, mais pas seulement. Pour les jardins individuels, ils ne nous ont pas demandé de légumes, mais principalement des fleurs.

Initialement, la prison avait imaginé de faire de la culture maraîchère afin de vendre les légumes produits. Comme tout autre projet similaire, l’argent récolté est injecté dans une caisse globale du SPF Justice (Service public général de la Justice), puis redistribué dans les prisons pour créer et faire fonctionner des ateliers. L’idée est que les détenus reçoivent 2% de ce qu’ils produisent. Dans un premier temps, les légumes ne pouvaient pas sortir du jardin, car cela demandait beaucoup d’organisation pour les gardiens. En effet, les entrées et sorties de matériel ou de légumes, les déplacements d’individus ou du groupe, cela représente chaque fois un « mouvement ». Chaque mouvement est accompagné d’un gardien qui doit fouiller chaque personne, compter les outils de jardinage, etc. Tout est passé au scanner, même les plants de tomates. Pour les gardiens, chaque mouvement signifie donc une charge de travail supplémentaire. Les légumes ne pouvaient pas non plus être utilisés pour la cantine car cette prison appartient au groupe privé Sodexo, qui gère la cuisine et disait devoir se plier aux normes de traçabilité imposées par l’Afsca (Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire).

Tous les 15 jours, la production au jardin de la prison est de 8 containers plastiques de 100 litres : salades, plantes aromatiques, pomme de terre, courges et potirons, légumes anciens, fleurs comestibles…

Mais à force de discussions et de compromis, les choses ont évolué. Désormais, les détenus ont le droit de retourner en cellule avec leur récolte et ils utilisent les cuisines installées dans les sections pour partager leurs plats avec les autres détenus. L’important surplus est notamment utilisé par la cuisine de la prison, qui propose désormais au personnel de la prison un buffet spécial jardin. On a aussi réussi à mettre en place des solutions au sein même du jardin, en modifiant notre organisation. On a par exemple négocié avec les gardiens de leur épargner deux mouvements entre le matin et l’après-midi, en restant au jardin toute la journée, et en contrepartie on cuisine cru dans l’enceinte du jardin et, une fois tous les 15 jours, on a accès à une cuisine équipée pour cuisiner chaud lors d’un atelier cuisine.

Le jardin pour s’évader…

Ce projet répond à un besoin pour les détenus d’être dehors. Hormis l’heure de préau tous les trois jours, ils sont tout le temps à l’intérieur. La prison est un univers stérile, tout est lisse et bétonné. Le jardin, c’est le seul moment où ils sont à l’air libre. Ils parlent d’évasion quand ils viennent au jardin. De plus, on reste toute la journée au jardin. S’il pleut, on ne peut pas en sortir. Les détenus nous parlent alors du plaisir et de l’équilibre que ça leur apporte de se confronter au climat. Le plaisir d’être trempé, de sentir du vent… Le plaisir aussi de se retrouver avec un élément modelable : la terre. Il y a aussi de la glaise dans le jardin, ils ont fait des statuettes. Ils parlent également du plaisir de trouver des solutions, quand il y a des parasites dans les plantes, par exemple. Ils évoquent le bien-être psychologique que ça leur procure d’être au jardin, la diminution des angoisses, la fierté de ce qu’ils ont réalisé… Ca rigole tout le temps et ils disent : « Tiens, ici on rigole ! ».

Au-delà du jardin

Il y a un jeune qui sort dans 6 mois. Depuis qu’il a découvert le jardin, il sait ce qu’il veut faire à sa sortie. Il suivra une formation en culture maraîchère. C’est le seul qui peut se projeter à court terme. Les autres ont des peines allant de 15 à 30 ans…

De nombreux liens se sont créés autour du jardin. Il y a par exemple un détenu qui adore écrire. Il récolte tout ce que les détenus-jardiniers veulent dire, puis il écrit des articles pour le journal de la prison. Ils se sont aussi rendu compte que ça serait intéressant d’amener des insectes au jardin. Ils ont alors construit un hôtel à insectes. L’atelier cuisine, qui a lieu tous les 15 jours, est un autre prolongement du projet initial. Nous nous sommes aussi rendu compte que les ateliers, et l’atelier culture maraichère en particulier, pouvaient leur apporter un avantage par rapport à leur dossier individuel dont le Tribunal d’application des peines s’inspire pour décider par exemple de leurs congés ou de leur sortie en conditionnel partielle ou complète. Certains détenus vont être mis en contact par nos soins avec des Entreprises de Formation par le Travail (EFT) soit pour y être travailleurs volontaires dans le cadre d’un grosse production maraichère, soit en formation dans des modules ouvriers environnementalistes (réinsertion socio-professionnelle).

Propos de Christian Dave, recueillis par Céline Teret, lors d’un atelier des Rencontres de l’Education relative à l’Environnement (ErE) de juin 2014 sur le thème de l’inclusion sociale

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