De l’environnement dans le différenciéReportages

31 août 2015

D’une école à l’autre, les réalités socio-économiques diffèrent. Certaines sont classées « écoles à encadrement différencié », bénéficiant de moyens supplémentaires afin d’assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale. C’est le cas de l’école primaire Saint-Lambert 2 à Herstal. Là-bas, de nombreux projets d’éducation à l’environnement sont mis en place : tri des déchets, collation saine, énergie, mobilité… Claire Piette, directrice de l’école, en parle.

Qu’est-ce qu’une école à encadrement différencié ?
Toutes les écoles sont classées en fonction d’un indice socio-économique (ISE) sur base de différents critères : revenus moyens par habitants, par ménage, niveau des diplômes des parents, confort des logements, taux d’activité et de chômage… Ce classement s’étale de 1 (pour les écoles à ISE faible) à 20 (ISE élevé). Les écoles classées entre 1 et 5 sont considérées comme « écoles à encadrement différencié », et de 1 à 4, elles bénéficient de subsides et d’encadrements supplémentaires. L’objectif est d’assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale.

Vous êtes une école en encadrement différencié classée 3A (lire encadré). Quelles difficultés rencontrent les enfants et parents de votre école ? Et quelles sont les répercussions sur le travail de l’équipe éducative ?

Notre école se compose essentiellement d’enfants issus de milieux précarisés, devant faire face à des problèmes de logement, d’éducation… Nous accueillons aussi des primo-arrivants, des étrangers venant d’arriver sur le territoire et dont les parents rencontrent des soucis administratifs, de logement, d’intégration… Il y a 21 nationalités différentes dans notre école. Beaucoup de parents ne comprennent pas le français. Certains ne savent pas lire. Concernant le quartier, cela fait 30 ans que je suis dans l’école et je constate qu’il s’est de plus en plus paupérisé…

Scolariser des enfants en grande difficulté, cela invite à avoir une équipe d’enseignants très motivée et très créative. L’enseignant ne saurait pas travailler seul dans sa classe, il serait trop envahi de doutes face aux difficultés rencontrées par certains enfants. C’est pour cela qu’on a développé des stratégies au niveau de l’équipe éducative : ils ne travaillent pas par classes, mais par niveaux (inférieur = 1-2e années, moyen = 3-4e années, supérieur = 5-6e années). Et il y a toujours un titulaire un peu plus âgé qui a connu toute l’évolution de l’école pour coacher les jeunes enseignants. Je dois aussi mettre des balises au niveau de mes enseignants en leur rappelant qu’ils ne sont pas responsables des problèmes familiaux, qu’ils ne doivent pas essayer de tout résoudre, mais plutôt se concentrer sur les méthodes pédagogiques et le développement de l’enfant dans ses compétences. Et moi je me charge du lien entre l’école et la famille, les parents.

Tri des déchets, économie d’énergie, compost et potager, collation saine, brevet du cycliste, mobilité douce… Votre école s’est inscrite dans différents projets d’éducation à l’environnement. Pourquoi avoir opté pour ce type de projets ?

Développer des projets lié à l’environnement, c’est éveiller les enfants à la citoyenneté. C’est les inviter à protéger notre planète parce que ce sont les adultes de demain. C’est aussi donner aux enfants les outils nécessaires pour les informer et informer leurs parents. Les enfants ne doivent « éduquer » leurs parents, mais ils peuvent faire passer aux parents certains apprentissages ou bons réflexes. Lors de notre participation au challenge Ecole Zero Watt, par exemple, qui visait à diminuer la consommation d’électricité à l’école, les enfants sont retournés à la maison avec des astuces qui ont parmi à leurs parents d’aussi faire des économies d’électricité et donc aussi de diminuer leur facture.

Les enfants montrent un intérêt énorme à chaque activité. Est-ce parce qu’on ne leur propose jamais ou rarement cela à la maison ? Peut-être. En tout cas, ils sont toujours preneurs. Et souvent, les parents nous sont reconnaissants d’éveiller leurs enfants à ces enjeux. Ils sont parfois étonnés aussi. Par exemple, dans le cadre de notre projet collation saine, les enfants mangent les fruits que nous leur distribuons alors qu’à la maison, ils n’en veulent pas, nous disent les parents.

Quels conseils donneriez-vous aux écoles qui souhaitent mettre en place ce type de projets dans un contexte similaire au vôtre ?

C’est important de trouver au sein de l’équipe éducative quelqu’un qui souhaite porter le projet, parce qu’il est motivé ou intéressé par le sujet. Il ne faut pas hésiter aussi à faire appel à des associations ressources qui peuvent aider les enseignants à mener à bien ces projets-là. On ne se lance pas dans des projets environnement seuls. En tant que directrice, je remplis les appels à projet. Je connais les affinités des enseignants et leur propose les projets. Je m’implique aussi évidemment. Les enseignants ont beaucoup à gérer déjà, donc il faut que je sois le moteur et que j’anime.

Autre élément important, c’est de faire perdurer les projets et les inscrire dans la continuité. C’est une de nos faiblesses pour l’instant, d’autant plus qu’au moins 1/3 de la population change chaque année dans notre école : les parents divorcent, des familles sont expulsés… On va travailler prochainement sur la pérennité de nos projets avec l’asbl Empreintes, avec laquelle on a déjà mené des projets de sensibilisation à la mobilité douce aux abords de l’école.

Il est aussi essentiel que la direction, la secrétaire ou les éducateurs entrent en contact avec les parents et leur fasse bien comprendre dans quelle dynamique environnementale s’inscrit l’école. Les parents ne font pas toujours la démarche de venir nous trouver, parce qu’ils ont des craintes, ils ont parfois eu des parcours scolaires difficiles… C’est à nous d’aller vers eux, de bien leur expliquer. Certains parents ne savent pas lire les documents papier. On passe donc surtout par l’oralité, des pictos affichés près des classes, une vidéo en réunion des parents… Cela doit être très clair et simple. Il faut faire preuve d’imagination et de créativité. Je propose aussi aux parents de prendre part à certains projets, afin qu’ils participent à la vie de l’école et qu’ils reprennent confiance en eux.

Lors du projet que vous menez actuellement avec Pro Vélo Educ, l’un des défis est que tous les élèves de 5e et 6e années possèdent leur propre vélo, en bon état. Comment allez-vous procéder pour rendre ce projet accessible à tous ?

On a des séances de conduite à vélo prévues avec l’asbl Pro Vélo pour 5e et 6e années, avec brevet du cycliste à la clé pour les plus grands. L’objectif final est d’organiser une excursion fin juin. L’idée est que tous les enfants aient leur vélo. On a donc mis au courant les familles de différents moyens pour se procurer un vélo à moindre coût. Une bourse aux vélos va s’organiser prochainement à Pro Vélo Liège. Il y a aussi la possibilité d’acheter un vélo à la régie de quartier, un organisme à vocation sociale situé à 500m de l’école. Une personne de la régie de quartier passera également à l’école pour réviser les vélos gratuitement. L’objectif est que tout le monde puisse participer à cette excursion. On ne veut pas non plus tomber dans l’assistanat. Avoir un 100% des enfants avec leur vélo, on n’aura pas, même si on le vise. Si certains enfants n’ont pas de vélo, moi et certains enseignants, nous amèneront des vélos à prêter, mais on ne le dit pas maintenant, de manière à se donner toutes les chances pour que les enfants aient leur propre vélo et qu’après, ils continuent à rouler à vélo. Si on leur apprend à rouler à vélo et qu’ils possèdent leur vélo, ils iront peut-être rouler à vélo en famille. De cette manière, on tente de promouvoir une activité peu lucrative qui leur permet de sortir de chez eux.

Vous proposez des mercredis « Brins de causette » visant à organiser des activités (jeu, cuisine, santé, apprentissage du français…) avec les mamans de vos élèves. Quel est l’objectif de ces rencontres ?

Ces mercredis d’activités visent à activer le lien école-famille et à permettre aux parents de s’approprier les codes de l’école. Certains parents ne maîtrisent pas les règles qui sont en vigueur dans une école, notamment parce qu’on ne leur a pas ou peu communiqué l’info ou parce qu’ils ne la comprennent pas, à cause par exemple de la barrière de la langue. Lorsqu’on explique bien les règles, il y a un plus grand respect. Lors de ces Brins de causette, on travaille aussi l’apprentissage du français pour les mamans étrangères, avec des logopèdes. Cela participe de nouveau à cette idée de créer du lien entre l’école et les parents. Les Brins de causette ont aussi pour objectif de donner aux mamans une image positive de leurs enfants et d’elles-mêmes.

Céline Teret
Article réalisé dans le cadre du dossier « Environnement et social » du magazine Symbioses (n°106 – 2e trimestre 2015)

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