Agriculteurs et consommateurs, éleveurs et riverains… sur la même longueur d’onde ?Clés pour comprendre

11 avril 2016

« Le citoyen wallon veut manger du jambon wallon… mais bloque toute installation de porcherie ! » Les éleveurs de porcs, mais aussi de volailles, sont inquiets. L’installation ou l’agrandissement des élevages devient périlleux : on ne compte plus le nombre de projets rencontrant l’opposition des citoyens lors des enquêtes publiques. Les petits élevages en qualité différenciée sont aussi concernés. Dans le cadre de son projet Echangeons sur notre agriculture, Nature & Progrès s’est penchée sur la question.

L’opposition aux projets d’élevage est avant tout d’ordre éthique

Deux types d’arguments sont utilisés par les riverains lors de conflits concernant l’installation ou l’agrandissement d’un élevage : les désagréments directs – odeurs, bruit, mouches, charroi, pollution… – et les considérations d’ordre éthique. Et ce sont, en réalité, ces dernières qui sont prépondérantes ! En effet, lorsque nous demandons aux citoyens quels critères favoriseraient leur acceptation d’un élevage voisin, les réponses sont, par ordre d’importance décroissante : une production labellisée – bio, plein air… -, un élevage de petite taille, une possibilité d’achat de produits à la ferme puis vient enfin « une attention particulière de l’éleveur à réduire les nuisances ».

L’élevage « industriel » et l’élevage « idéal » ?

Comme le dit fort bien Clint Eastwood dans un célèbre western, le monde, l’élevage, se divise en deux catégories aux yeux du consommateur. L’élevage « industriel » est qualifié des mots-clés suivants : beaucoup d’animaux, intensif, hors-sol, maltraitance animale, recherche de profit, usine, polluant… L’élevage « idéal », quant à lui, est : de petite taille, artisanal, maximisant le bien-être animal, écologique, en vente directe…
Pourtant, même des élevages plein air ou bio rencontrent l’opposition des riverains. Plusieurs exemples nous interpellent : un élevage bio de vint-et-une truies et deux cent soixante porcs à l’engraissement à Fosses-la-Ville, un élevage plein air de cinquante truies et l’engraissement de cent porcs à Chiny… Sachant que l’effectif moyen d’une porcherie, en Wallonie, est de cinq cents têtes – et plus de mille en Flandre -, ce sont de petits élevages, par ailleurs en qualité différenciée, qui ont rencontré des problèmes. Ces tensions entre éleveurs et riverains ne touchent donc pas uniquement aux élevages « industriels », elles concernent aussi le développement du circuit court et de l’agriculture biologique ou de qualité différenciée en Wallonie !

Un élevage de neuf cents et sept cents poules pondeuses, est-ce « industriel » ? Ce nombre peut paraître élevé lorsque l’on se réfère aux élevages de hobby mais il est, en réalité, huit fois inférieur à la moyenne wallonne ! Elevage de poules bio de la Ferme Les Bleuets à Messancy, signataire de la charte Nature & Progrès.

Un citoyen désinformé

Comment est-il possible que des élevages de relativement petite taille dans une démarche de qualité différenciée – plein air, bio… – soient assimilés à des élevages « industriels » ? La raison est à rechercher dans une méconnaissance générale de l’élevage par les citoyens consommateurs, voire à une désinformation ! Des cas médiatisés, tels que la ferme-usine des mille vaches, poussent à la prudence et les documentaires prônant le végétarisme fleurissent, donnant une image négative de toute forme d’élevage. Parallèlement, des publicités ou des fermes d’animation montrent une image bucolique de l’agriculture avec cinq poules, un cochon, deux vaches qui gambadent gaiement dans le pré… Un élevage professionnel, pour être viable, ne peut se contenter de si faibles effectifs. L’agriculture est un métier qui mérite un juste salaire, il en va de notre survie à tous !

Lors de projets d’élevage, les pétitions au nom du bien-être animal vont bon train, enrichissant parfois leurs arguments avec des informations erronées afin de toucher la sensibilité des citoyens : « la castration précoce des porcelets sans anesthésie » qui n’est plus pratiquée chez nous mais tend à être remplacée par une castration chimique prônée par ces mêmes défenseurs des animaux – est-ce réellement mieux ?-, « Le lisier sera stocké (l’odeur est intenable) puis déversé dans le Petit Bocq (rivière), contaminant nos sources » ce qui est formellement interdit, le lisier est épandu comme fertilisant sur les champs et prairies à des doses règlementées par la Région wallonne… Tant la vision « industrielle » que la vision « idéale – bucolique » sont bien loin des réalités d’un élevage (professionnel) en Wallonie !

Un exemple de désinformation par Internet : une vidéo circulant massivement sur les réseaux sociaux est intitulée « Une vache défend son petit face à l’éleveur qui tente de lui voler pour l’abattoir ». Cette vidéo montre, effectivement, une vache qui charge agressivement un éleveur tentant d’approcher son veau. Mais le décodage de cette vidéo, lorsqu’on connaît un peu le secteur de l’élevage, est bien différent du titre qui lui a été donné ! Effectivement, le veau dont il est question est né quelques jours auparavant et est donc loin d’être prêt pour l’abattage. Il a été vêlé en prairie et l’éleveur a voulu vérifier sa bonne santé et peut-être lui poser les boucles auriculaires d’identification, formalité obligatoire dans les sept jours suivant la naissance. L’éleveur critiqué dans cette vidéo a le mérite d’avoir choisi une race rustique, qui a conservé un puissant instinct maternel, et un mode de conduite de son élevage en prairie. Nous sommes donc bien loin de l’esprit du titre donné à cette vidéo !

Hop ! Les pieds dans les bottes !

Tant les éleveurs que les consommateurs le soulèvent dans le cadre de notre étude : il est nécessaire de rétablir une connexion et un dialogue entre consommateurs et agriculteurs. Une sensibilisation des citoyens aux réalités de l’agriculture wallonne est primordiale et passe avant tout par des visites de fermes, de toutes les fermes représentatives de l’élevage professionnel en Wallonie. L’éleveur pourra expliquer, lors de ces événements, les réalités et les contraintes de son élevage de manière à ce que le citoyen puisse comprendre le secteur et adopter une juste position lorsqu’il est question d’agriculture.

Un témoignage recueilli dans le cadre de notre étude est, dans ce sens, éloquent : « Les visites m’ont permis de comprendre qu’il y a autant d’agricultures que d’agriculteurs. Chacun est confronté à une situation particulière – familiale, géographique, foncière, financière, écologique, économique, urbanistique, pédologique, etc… – et y répond selon ses valeurs et ses capacités. Je ne peux donc porter aucun jugement sur le travail de l’un plus bio ou de l’autre plus industriel. Mais je peux, par mes choix de consommation, privilégier le type d’agriculture qui porte les mêmes valeurs que les miennes. »

La Ferme du Berger à Emptinne élève environ dix millevolailles plein air. Elle a pris le pari de présenter ses activités en organisant des visites dans le cadre des Journées Fermes Ouvertes organisées par l’APAQ-W. L’occasion pour nombre de visiteurs de se rendre compte des réalités d’un élevage de taille moyenne pour le secteur. Une enquête nous a permis d’y mettre en évidence que, suite à la visite de la ferme, les participants ont relativisé leur avis sur les désagréments liés aux élevages avicoles. « Il n’y avait pas quasiment pas d’odeurs ! », soulignent-ils.

De nombreuses idées reçues parviennent de documentaires, d’Internet… Il faut encourager le citoyen à se rendre dans les fermes, à rencontrer les agriculteurs de sa région, à comprendre les enjeux du secteur agricole et à dialoguer ensemble sur l’avenir de notre région.

Faut-il pour autant soutenir l’élevage, et toutes les formes d’élevage ?

La question n’est, bien évidemment, pas de convaincre chacun des bienfaits de l’élevage et de tous les types d’élevage. De nombreux citoyens sont végétariens, végétaliens ou végans, d’autres soutiennent certaines formes d’agriculture… Chacun fait son choix et construit son chemin vers ce qui lui semble être le mieux pour sa santé et pour celle de notre planète. L’étude sur les relations entre éleveurs et riverains soulève avant tout l’importance d’adopter une position en connaissance du secteur et de ses réalités, de fonder son opinion sur des bases solides et en phase avec les réalités de notre agriculture. Il est indispensable que le citoyen soit informé avant de prendre position sur notre agriculture, et c’est bien entendu la base du projet Echangeons sur notre agriculture.

Sylvie La Spina
Article publié dans Valériane n°117 (janv-févr. 2016), revue de Nature & Progrès

En savoir plus :

Ce thème a fait l’objet d’un dossier du projet Echangeons sur notre agriculture : « Réflexions et pistes pour réduire les tensions entre éleveurs et riverains en Région wallonne ». Vous pouvez le consulter sur le site Internet www.agriculture-natpro.be, rubrique « Dossiers » !

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