La question des OGMClés pour comprendre

29 mars 2017

Aurions-nous trouvé notre « tête de Turc » ? Nos amis turcs nous pardonneront cette malheureuse expression, plus ou moins synonyme de « bouc émissaire », mais il existait bien naguère, dans nos fêtes foraines, de gros bonshommes enturbannés sur lesquels on venait taper du poing pour mesurer sa force… Ferions-nous la même chose, obstinément, avec les OGM, alors qu’il est très clair désormais qu’aucun consommateur n’en veut ? Taper sur les OGM, vous savez, « cela ne mange pas de pain »…

OGM – pesticides : j’ai le droit de savoir et de choisir ! est une campagne portée par l’association Nature & Progrès. Son objectif est de favoriser l’adoption d’une législation belge rendant possible l’étiquetage des produits alimentaires d’origine animale avec la mention « nourri sans OGM » (pour viandes, volailles et poissons) et « issu d’animaux nourris sans OGM » (pour œufs, lait, fromages…). Découvrez de nombreuses infos et vidéos pour mieux comprendre les enjeux liés aux OGM et pesticides sur le site www.natpro.be/mangersansogm

La question est beaucoup plus intéressante qu’il n’y paraît. Avec elle, nous nous trouvons confrontés, depuis plus de quinze ans, à l’obstination perverse de l’agro-industrie mondiale – et des capitaux qui la soutiennent – à cultiver, envers et contre tout, des plantes que personne ne veut manger. Et, après toutes ces années, après d’interminables errements parmi les arcanes d’une science qui se refuse viscéralement au citoyen, c’est toujours la même vieille et entêtante question qui se pose à nouveau : chimique ou pas chimique ? Comme si un gros demi-siècle d’agriculture biologique n’avait pas déjà apporté une éclatante réponse à cette question.

Les bénéfices escomptés des biotechnologies

Au départ, la question des OGM nous apparut presque uniquement comme un nouveau choc technologique voulu par l’agro-industrie afin de mettre à mal nos convictions de bio un peu parano. Nous étions mal équipés, d’un point de vue scientifique, pour faire pièce aux arguments de la Commission des Pétitions du Parlement européen, par exemple, que nous interpellions dès 1999. Elle nous faisait alors aimablement la leçon en prétendant « prendre en compte le fait que les bénéfices escomptés des biotechnologies, aussi bien pour ce qui concerne la santé humaine et la protection de l’environnement, que pour l’agriculture et la compétitivité de l’industrie européenne, sont potentiellement immenses » ! Il y avait très peu de place, dans ce contexte, pour l’inquiétude des citoyens ; tout se passait au sein de cercles scientifiques surtout soucieux des bénéfices susmentionnés. Aucune possibilité de dialogue, par conséquent, si ce n’est celui du pot de terre contre le pot de fer. Nous devions alors jurer nos grands dieux que notre pensée n’avait rien d’obscurantiste, que nous n’étions pas l’anti-science ! Non, ce n’était pas la manipulation génétique, en tant que telle, que nous refusions mais bien ses effets réels dans nos fermes qui nous paraissaient insensés.

A cette époque, la technocratie était particulièrement arrogante : visitant l’administration de George W. Bush, début mai 2001, Jaak Gabriëls – ministre fédéral de l’agriculture – déclare sans l’ombre d’un souci que les OGM sont « utiles pour la sécurité alimentaire et qu’ils aideront les pays en développement à combattre la famine » ! Cette contre-vérité honteuse suscite alors une véritable levée de boucliers. Quant à nous, jouant – non sans panache – le rôle du pot de terre, nous ciblons – comme beaucoup d’entre nous – les grosses multinationales… »Le problème des OGM n’est qu’une question de temps et d’argent, écrivions-nous en 2002, car les multinationales technocrates qui les fabriquent n’ont pas le temps d’attendre qu’une innocuité totale et indiscutable soit démontrée. Il leur faut une rentabilité immédiate des investissements colossaux qu’elles ont consentis. »

C’est l’époque où nous demandons à toutes les communes wallonnes et bruxelloises de se déclarer – certes, symboliquement – communes sans OGM ; c’est l’époque glorieuse où Magda Aelvoet, alors ministre des consommateurs, de la santé publique et de l’environnement, ordonne l’arrachage d’un champ d’essai de colza OGM, à Salles sans l’entité de Chimay, le 21 juin 2002. Nous avons toujours des photos de graines piétinées sur le champ mais nous ne sommes jamais retournés voir si du colza OGM adventice y prospérait – peut-être ? – en toute tranquillité…

Un pur non-sens agricole, environnemental et économique

Le règlement n°1829/2003/CE imposa ensuite que les produits réalisés à base d’OGM soient dûment étiquetés si la présence d’OGM ou de dérivés était supérieure à 0,9%. Quant au produit biologique, s’il ne peut être élaboré volontairement avec des OGM, chacun s’accorda cependant à admettre qu’il pouvait en contenir des traces, de façon fortuite – dans le cas d’une contamination au champ -, jusqu’à 0,9%. Dans les faits, heureusement aucun étiquetage ne fut jamais nécessaire car les OGM n’entrèrent jamais directement dans l’alimentation humaine.

Nous prenons alors lentement conscience que la question des OGM est beaucoup plus politique que scientifique, qu’en dépit du refus de l’Europe à entendre la volonté des citoyens, celui-ci dispose – tout de même ! – de moyens importants pour crier son opinion et refuser, de manière formelle, les cultures d’OGM. Vingt exécutifs régionaux de l’Union européenne revendiquèrent ainsi le droit de se protéger de la contamination transgénique et demandèrent des sanctions contre les responsables de pollutions génétiques ! Soucieux de protéger l’agriculture de qualité qu’ils estimaient menacée, ils adoptèrent, à Florence le 4 février 2005, une « charte des régions et des autorités locales d’Europe sur la coexistence entre les OGM et les cultures traditionnelles et biologiques », puis cherchèrent à étendre leur réseau, notamment à travers l’Association des régions d’Europe. Sur des questions aussi importantes, elles menèrent une politique plus déterminée que les Etats ! Bruxelles – la Région – et la Wallonie leur emboîtèrent le pas peu de temps après… Personne n’en parla, bien sûr, mais c’était déjà, en soi, un fameux petit CETA…

Nature & Progrès décrivait alors les OGM comme un pur non-sens agricole – ils ne répondent à aucun besoin -, un pur non-sens environnemental – nul n’est en mesure d’estimer les conséquences de leur dissémination – et un pur non-sens économique – les consommateurs européens ne sont pas demandeurs et n’en achèterons jamais ! Ce fut, en substance, ce que déclara Nature & Progrès lors de son audition par la Commission de l’Environnement, des Ressources Naturelles et de la Ruralité du Parlement Wallon, le 5 juillet 2005. Le Décret wallon sur la coexistence des cultures génétiquement modifiées avec les cultures conventionnelles ou biologiques, du 19 juin 2008, rendra ensuite pratiquement impossible toute culture de plantes OGM sur le territoire de notre belle Wallonie…

Des stocks de pesticides… dont on nourrit les animaux

La question sembla alors close et bon nombre de militants associatifs s’en désintéressent. Le professeur Gilles-Eric Séralini ranima pourtant nos consciences assoupies, à l’automne 2012, avec la publication de son étude Long term toxicity of a Roundup herbicide and a Roundup-tolerant genetically modified maize, dans la revue Food and Chemical Toxicology. Il y montrait qu’aujourd’hui, la seule raison d’être d’une plante génétiquement modifiée est commerciale car cette plante est tolérante à un pesticide ou le produit elle-même ; elle pousse même si un pesticide a fait place nette autour d’elle. Pire : elle absorbe ce pesticide en grande quantité, comme le fait, par exemple, ce soja « résistant » au Roundup (Roundup Ready) avec lequel bon nombre de nos animaux d’élevage sont nourris. Le vrai problème des OGM n’est donc pas posé par la transgénèse en tant que telle – dont nous ne connaissons, à vrai dire, à peu près rien – mais par le seul usage commercial qu’a réussi à en faire l’agro-industrie. Triste destin de la merveille biotechnologique qui allait révolutionner le monde : c’est un junkie, une vulgaire « plante à pesticide », toxique à la consommation à cause des niveau importants de résidus qu’elle contient.

La perspective du citoyen face aux OGM se modifie donc radicalement mais Gilles-Eric Séralini est traîné dans la boue par quelques lobbyistes pro-OGM et… par une bonne partie du monde scientifique ! Nature & Progrès prend fait et cause pour ses thèses et publie un important dossier sur la question dans Valériane n°99. Nous sommes au commencement de l’année 2013 et, sans être devenus anti-sciences, nous nous rendons compte que bien des questions de citoyenneté doivent être posées à la science officielle…

Ces questions nous troublent d’autant plus que ce nouvel éclairage rejoint un autre grave problème qui nous tarabustait depuis belle lurette : celui de la surmortalité des abeilles, sentinelles de notre environnement. Un journée d’étude, organisée par nos soins, le 15 juin 2006, avait déjà mis en lumière la responsabilité accablante de certains pesticides toxiques à très faibles doses, à l’heure où le monde scientifique belge s’empêtrait encore à démontrer d’hypothétiques causes « multifactorielles »… Or un autre article, publié par nos soins en 2011, pointait déjà – en remontant le fil de l’intoxication des abeilles – l’extrême légèreté de l’EFSA, l’autorité européenne de sécurité alimentaire, en matière d’agréation de pesticides et d’OGM. Bref, le même faisceau de questions qui inspira aussi l’étude de Gilles-Eric Séralini ! Il résulta de tout ceci une forte interpellation de notre base associative : la question de l’évaluation et de l’agréation des pesticides par les instances européennes trouva un écho particulier chez Nature & Progrès, sans doute parce que le refus des pesticides restait un des piliers de l’agriculture biologique. Une locale de Nature & Progrès prit même l’initiative d’inviter le professeur Séralini, le 16 octobre 2013, à Lens – voir son interview publiée dans Valériane n°103…

Suivi un premier colloque, organisé par nos soins à Bruxelles, le 25 avril 2014, où les différents intervenants pointèrent la lourde responsabilité des institutions européennes en matière d’agréation d’OGM et de pesticides. En point d’orgue de cette journée intitulée « OGM et pesticides : une bombe à retardement ? », Gilles-Eric Séralini lui-même développa l’idée que les molécules dont on fait les adjuvants du Roundup, pour la plupart issues de la pétrochimie, polluent nos organismes à la manière des spams dans un ordinateur, ou du sable dans des rouages… Ces pertubateurs s’accumulent en nous et produisent des maladies à long terme qui ne sont pas étudiables comme celles que causent un virus ou une bactérie.

Il reste aujourd’hui un domaine où la malfaisance du binôme OGM-pesticides doit continuer à inquiéter le citoyen : celui de l’alimentation animale qui ne fait l’objet d’aucune réglementation en la matière. La viande d’un animal nourri aux OGM est-elle vraiment sans risque ? Une labellisation est-elle indispensable pour prévenir le consommateur ? Une nouvelle journée sera prochainement organisée par Nature & Progrès afin de répondre à ces questions.
Autre importante source d’inquiétude, les « OGM cachés », ces « nouveaux » OGM qui ne résultent pas de l’introduction d’un gène extérieur dans l’ADN d’une plante mais d’une mutation génétique « forcée » visant à provoquer leur résistance à un pesticide. Ces organismes ainsi obtenus par mutagénèse sont actuellement exclus de la législation sur les OGM ; ils font donc l’objet d’intenses discussions visant à définir le régime légal qui leur sera applicable. Nature & Progrès ne manquera évidemment pas de vous informer à ce sujet…

Dominique Parizel
Article publié dans Valériane n°123, janvier-février 2017

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