Des chiffres et des êtresClés pour comprendre

14 novembre 2007

laitok.jpg20% de la population mondiale détient 90% des richesses. Dans les pays en développement, plus d’un enfant sur dix n’atteindra pas l’âge de cinq ans. Une personne sur six dans le monde n’a pas accès à de l’eau salubre. Des chiffres de ce type (1), nous pourrions en citer à n’en plus finir. Tous montrent que de tous les défis que doit affronter l’humanité, des désastres écologiques à l’exclusion sociale, le déséquilibre Nord-Sud est probablement le plus détonant. Tous ces chiffres racontent des histoires. Celles d’hommes, de femmes et d’enfants. Comme vous, comme moi, mais nés là-bas.

De tous ces chiffres, retenons-en un, caricatural : l’aide annuelle versée par l’Union européenne (UE) à l’Afrique subsaharienne est de 8 dollars par habitant. Sur la même période, chaque vache européenne reçoit quant à elle des subventions 120 fois supérieures. Que nous raconte cette comparaison ? C’est une histoire de lait, l’une de celles écrites par la mondialisation néo-libérale. L’Europe produit trop de lait. Elle doit donc soit diminuer sa production, soit exporter les surplus. Elle décide d’exporter. Mais sur le marché mondial, la Nouvelle-Zélande a des prix imbattables, notamment en raison de systèmes de production très extensifs. L’Union européenne décide donc de subventionner les producteurs de lait. Elle devient alors le premier exportateur mondial. Qui y gagne ? Pas l’agriculteur burkinabé. Son lait coûte plus cher que le lait européen. Dans son pays, où 10 % de la population active vit de l’élevage, les produits laitiers (yaourt, beurre) vendus dans le commerce sont principalement importés (2). Pourquoi le Burkina ne taxe-t-il pas les importations ? Depuis les années 1990, les institutions internationales (OMC, FMI…) ont contraint les pays en développement à ouvrir davantage leurs frontières « pour mieux se développer ».

Le Nord consomme, Le Sud paie
1987. Le gouvernement de Guinée-Bissau signe un contrat portant sur l’importation durant 10 ans de 50 000 tonnes de déchets industriels dangereux, au prix de 40 dollars la tonne.
2003. Au Royaume-Uni, 23 000 tonnes de déchets électroniques clandestins sont expédiées illégalement vers l’Extrême-Orient, l’Inde, l’Afrique et la Chine. Rien qu’à Delhi, 25 000 travailleurs sont employés dans des chantiers de récupération de ferraille où 10 à 20 000 tonnes d’e-déchets, dont 25% d’ordinateurs, sont traitées chaque année. Là, les ouvriers sont exposés à un cocktail de substances chimiques toxiques lorsqu’ils désassemblent les produits.
Aujourd’hui. 500 000 tonnes de pesticides obsolètes sont stockées dans les pays du Sud.
2080. D’après l’étude de Parry et al. (2004), le nombre total de personnes qui pourraient avoir faim augmenterait de 50 à 580 millions suite aux changements climatiques, la plupart dans les pays en développement. Un Belge émet pourtant 5 fois plus de gaz à effet de serre qu’un Africain…
Source : Greenpeace

Cela ne profite pas non plus à l’ensemble des agriculteurs de l’UE. Selon Eurostat, le nombre des exploitations laitières a été pratiquement divisé par deux entre 1995 et 2003, pour une production laitière européenne restée stable. Les élevages sont de plus en plus grands et il y en a de moins en moins. L’environnement non plus n’y gagne pas : le développement d’une agriculture industrielle et productiviste a de redoutables conséquences sur l’écosystème. Sans compter les émissions de CO2 générées par l’exportation (lire aussi ). Qui y gagne alors, finalement ? Une poignée de groupes industriels. Nestlé domine le marché international du lait en pou-dre avec 50 % des exportations mondiales. Et 40 entreprises seulement transforment 65 % de la production européenne.

Raconter cette histoire n’a pas pour seul but de montrer que nos gouvernements feraient mieux d’aider le Sud plutôt que de vouloir à tout prix exporter du lait. La question du développement du « monde majoritaire » (en 2050, 85% de la population vivra dans le Sud) est bien plus complexe que cela. Cette histoire parle de libéralisation du commerce mondial. Mais nous aurions également pu conter les migrations, la croissance démographique, l’ethnocentrisme occidental. Chaque fois, le constat eut été le même : nous ne pouvons aborder la question du développement des pays du Sud sans remettre en cause notre propre développement ; nous ne pouvons parler des hommes, sans parler de l’environnement. En tant qu’éducateurs à l’environnement, vivant au Nord, nous sommes donc doublement concernés.

Christophe Dubois
Article publié dans Symbioses (dossier « Et le Sud dans tout ça ? » – n°76), le magazine d’Education relative à l’Environnement du Réseau IDée

(1) PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement), www.undp.org/french
(2) SOS Faim, Défi Sud n°71, 2005

Photo: www.etudiantpasvache.org

Pour en savoir plus:

La campagne d’Oxfam-Solidarité « Le commerce du lait : un concentré d’injustices ! » pour soutenir l’agriculture paysanne, sur www.oxfamsol.be/lait

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