Production locale contre crise mondialeClés pour comprendre

14 août 2008

globo22La flambée actuelle des prix agricoles est un signal d’alarme. Elle rappelle avec force la nécessité d’instaurer des politiques publiques qui soutiennent l’agriculture familiale locale. Tel est le message de Paul Nicholson, représentant européen au sein de l’organisations paysanne internationale La Via Campesina.

Comment expliquer la flambée actuelle des prix agricoles ?

Outre des raisons conjoncturelles comme de mauvaises récoltes ou une hausse de la demande dans certaines parties du monde, deux éléments me paraissent plus fondamentaux.
Le premier, c’est le démantèlement des politiques agricoles publiques dans le monde. A vouloir libéraliser l’agriculture, laisser faire le seul marché et supprimer tous les instruments de contrôle publics, les gouvernements se retrouvent aujourd’hui désarmés, incapables de réguler le marché et de répondre durablement aux émeutes de la faim. Cet abandon des questions agricoles au seul marché a en outre entraîné la mainmise des multinationales sur les politiques agricoles. Or, ces géants de l’agrobusiness traitent l’alimentation comme un bien et non comme un droit, et ne se privent pas de spéculer sur les récoltes à venir pour augmenter leurs bénéfices.

Qui est Paul Nicholson ?
Membre du syndicat agricole basque EHNE, Paul Nicholson est également l’un des deux représentants européens à la Commission de Coordination Internationale de La Via Campesina. La Via Campesina est le mouvement international de paysans, de petits et moyens producteurs, de sans terres, de femmes et de jeunes du milieu rural, de peuples indigènes et de travailleurs agricoles.
Plus d’infos : www.viacampesina.org

Quel est le second élément ?

Le développement des cultures d’agrocarburants. Cette mise à disposition de terres pour la production d’agrocarburants fait perdre chaque jour du terrain à la production vivrière locale.
En conséquence, les gens deviennent de plus en plus dépendants du marché mondial – instable – pour s’alimenter.
C’est une hérésie complète. La nourriture doit d’abord être locale ! Malheureusement, depuis bien des années, l’orientation agricole a privilégié les monocultures intensives tournées vers l’exportation au lieu de soutenir la production et la consommation locales. Ceci a mis a mal l’environnement et les modèles de production locaux. Les changements climatiques, qui ont eux aussi un impact sur la production alimentaire, s’expliquent d’ailleurs en partie par cette orientation agricole et alimentaire d’exportation très exigeante en énergie.

Les prix à la hausse sont-ils une bonne nouvelle pour les paysans ?

Pas spécialement. De très nombreux petits agriculteurs ne tirent aucun bénéfice du contexte actuel. En Espagne, des études ont révélé qu’il y a une différence de 600% entre ce que le consommateur paie et ce que l’agriculteur touche réellement. En outre, à cause de l’augmentation du prix du pétrole et de la concentration du pouvoir des transnationales, les coûts de production s’accroissent sans cesse pour les paysans : semences, fertilisants, nourriture pour bétail…
Au final, la flambée des prix débouche donc sur un appauvrissement de nombreux petits producteurs. Avec les consommateurs, ils sont les grands perdants de la situation actuelle. Seules les multinationales de l’alimentaire et les entreprises de distribution se frottent les mains.

Quelle réponse envisager ?

La seule réponse à la crise actuelle, c’est de promouvoir la souveraineté alimentaire. Il faut changer d’optique, mettre la priorité sur des modèles de production écologiques, durables et tournés vers les marchés locaux. La nécessité de nourrir la population doit avoir l’ascendant sur les volontés d’exportation.
Cette nécessité est valable tant au Nord qu’au Sud. En Afrique, les gouvernements intègrent progressivement les principes de la souveraineté alimentaire dans leurs politiques car ils voient bien que c’est là la seule solution possible. En Europe, les dirigeants commencent à voir les conséquences désastreuses des politiques prônées depuis trop longtemps. Les gens s’inquiètent pour leur pouvoir d’achat, l’insécurité alimentaire s’accroît…
Face à la crise écologique et sociale que nous vivons, les dirigeants ne peuvent faire comme si de rien n’était. Même la Banque mondiale se voit contrainte de reconnaître les erreurs du passé et d’appeler à un investissement accru dans l’agriculture familiale locale. C’est une évolution positive.

Vous êtes donc optimiste pour l’avenir ?

Les changements doivent avoir lieu, il n’y a plus le choix. L’Europe sera peut-être la dernière à changer, mais elle le fera. Elle fait d’ailleurs face à une pression croissante du public et des mouvements sociaux en ce sens. Grâce aux campagnes menées par les organisations paysannes et les ONG, les gens comprennent que la nourriture importée n’est pas plus bon marché que la nourriture locale, qu’il faut prendre en compte ses coûts environnementaux et sur le changement climatique. Un grand nombre de citoyens savent aujourd’hui que la consommation au prix le plus bas, de n’importe quel produit à n’importe quelle période de l’année, ça ne peut plus durer.
Les dirigeants commencent eux aussi à admettre que ce n’est pas le marché qui nourrit les gens, mais les agriculteurs. Sacrifier les paysans au profit du commerce est un crime. Quand
Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation, dénonce les pratiques agricoles actuelles comme étant un crime contre l’humanité, il a parfaitement raison. Le message commence à passer.

Malgré tout, les évolutions de la politique agricole européenne ne vont pas dans le bon sens !

C’est vrai. Jusqu’à présent, la Commission et les gouvernements européens défendent les intérêts des transnationales européennes et continuent de s’accrocher à l’agenda commercial de l’Organisation Mondiale du Commerce, sans prêter attention aux réalités de terrain. La Politique Agricole Commune se dirige vers davantage de privatisation et de compétitivité au niveau mondial. En clair, une politique de sacrifice des petits agriculteurs européens…

… qui se traduit dans le secteur laitier ?

Oui. Le secteur laitier européen fait lui aussi face à la libéralisation, à la disparition d’outils publics de régulation comme les quotas. L’objectif de l’UE est de supprimer ces quotas pour réduire encore les prix et être compétitive sur le marché mondial face à des pays comme la Nouvelle-Zélande ou l’Argentine.
Vouloir à tout prix être compétitif avec ces acteurs aura de lourdes conséquences chez nous. Cela renforcera la concentration de la production laitière dans de très grandes fermes et la victoire du modèle de production agro-industriel. Tout cela réduira donc dramatiquement le nombre d’exploitations familiales en Europe, mais aussi à l’étranger. Dans un marché de plus en plus dérégulé, la compétition mondiale met aux prises la production familiale durable à l’agrobusiness, où qu’ils soient. C’est un combat de dupes.

L’instrument des quotas est souvent critiqué. Pourquoi le maintenir ?

Ce n’est pas parce que le système des quotas n’est pas totalement satisfaisant qu’il doit disparaître. Il est au contraire fondamental de maintenir une régulation de notre production.
Nous devons mettre en adéquation notre production avec nos besoins, et cesser de surproduire comme nous le faisons actuellement.
En outre, une politique de régulation est nécessaire pour garantir la dimension sociale de la production, pour éviter la seule présence de méga-exploitations néfastes pour les gens et la nature.
Bref, cette politique s’impose pour maintenir les productions dans les régions, les fermiers dans les fermes, et répondre aux besoins de la société, notamment au niveau environnemental.

Quel est l’impact des accords de libre-échange à ce niveau ?

Leur effet est clair : en laissant faire le seul marché, ils accentuent le rôle des multinationales dans la production alimentaire. Et encouragent donc l’agriculture intensive tournée vers l’exportation. C’est ainsi que certains pays du Sud finissent par affecter des milliers d’hectares de terres à des productions destinées… au bétail européen. Cela n’a aucun sens !
Prenez l’Indonésie. Il y a 15 ans, les paysans y produisaient assez de soja pour répondre à la demande locale. Aujourd’hui, suite à l’ouverture aux importations à bas prix, 60% du soja consommé dans le pays est importé des États-Unis. Du coup, la flambée du prix du soja américain a eu des conséquences dramatiques dans le pays. C’est ce type de scénario qui s’est répété un peu partout dans le monde ces derniers mois et qui a entraîné les émeutes de la faim.

Que pouvons-nous faire pour changer les choses ?

En tant qu’Européens, nous devons maintenir la pression sur nos dirigeants afin qu’ils changent les politiques agricoles, énergétiques et commerciales de l’UE dans une perspective de souveraineté alimentaire.
La flambée des prix que nous connaissons nous offre une belle opportunité d’agir en ce sens. Le Forum Social Européen de septembre sera d’ailleurs un moment important où la question de la souveraineté alimentaire devra être mise au coeur des revendications sociales.
Il est clair que des politiques fortes s’imposent. Il faut mobiliser la société civile sur le sujet, développer des alliances avec les organisations paysannes pour rappeler que chaque pays doit avoir le droit de protéger son marché et sa production, de réguler ce qui entre et ce qui sort de ses frontières, de promouvoir la production locale et de réduire sa dépendance vis-à-vis des importations.
De telles politiques sont fondamentales, surtout pour les pays pauvres qui ont besoin de cette protection pour investir dans leur agriculture et leurs marchés locaux.
En outre, ces politiques doivent donner une place importante aux organisations paysannes dans les orientations agricoles, au lieu de criminaliser celles-ci comme c’est souvent le cas.

Et au niveau individuel ?

Les pistes ne manquent pas. La première chose à faire, c’est d’être attentif à ses habitudes alimentaires. Faire le choix d’une nourriture locale et saine. Se nourrir est un acte politique : si vous mangez McDonald’s, vous pensez McDonald’s.
Soyez attentifs à cela et, si vous voulez aller plus loin, impliquez-vous dans les questions sociales et environnementales locales.
Partout dans le monde, le combat des agriculteurs, des sans terres ou des opposants aux organismes génétiquement modifiés a besoin du public pour triompher. Alors agissez !

Frédéric Janssens
Article publié dans la revue Globo

Photo : Tineke D’haese

Pour en savoir plus:

  • Dossier « Le commerce du lait, un concentré d’injustices! » de la revue Globo n°20 (06/08) – Oxfam Solidarité
  • Site du mouvement de paysans Via Campesina: www.viacampesina.org
  • Sur le même thème, épinglons le documentaire « We feed the world » d’Erwin Wagenhofer. Un dossier pédagogique en ligne existe également pour accompagner le film.

5 commentaires sur “Production locale contre crise mondiale”

  1. cam dit :

    A titre individuel, que pouvons-nous faire?

    Personnelement, je me fournis en fruits et légumes chez un producteur local, bien moin chère que dans la grande distribution.

    Favoriser la production locale aboutit à un système gagnant-gagnant ( pour le producteur et le consommateur).

    La production locale, l’agriculture biologique et tout autre évolution du milieu agricole, fera de 2012 un des enjeux essentiel pour les présidentielles.

  2. jtef dit :

    Effectivement, il faut réapprendre à consommer plus local, et de saison. Ecologiquement, c’est la seule solution fiaible. A quoi bon étiqueter des produits de certains labels, alors que la majorité de la consommation a fait bruler des tonnes de pétrole pour arriver sur les rayons ? Et vu la généralisation du capitalisme, le meilleur moyen d’impliquer la distribution et le consommateur, est d’agir au niveau du porte monnaie. Et que ça favorise la production locale/nationale, je ne vois pas le problème.

  3. Une analyse pertinente au regard de l’actualité.
    Comment justifier l’acheminement par avion de fruits hors saison par exemple ?
    Dans cette logique une approche de type taxe carbone me semble assez pertinente. Le surcoût quelle ferait peser sur les approvisionnements « du bout du monde » obligerait les distributeurs à reconsidérer leurs politiques.
    Rien a voir avec une approche nationaliste et réactionnaire, c’est une approche qui permet de revitaliser les économies et productions locales au bénéfice de l’humanité. Il faut vraiment avoir une vision égocentrique d’ultralibérale ayant pour seul objectif le profit à court terme pour ne pas le comprendre.

  4. Frédéric Janssens dit :

    Je découvre cette réaction plusieurs mois après sa publication.

    A votre message, une seule image : les émeutes de la faim que nous avons cinnu cette année. Il est désormais mondialement reconnu que cette crise alimentaire n’a que trop bien illustré le besoin de privilégier l’agriculture locale par rapport à l’agro-exportation.

    Cette logique a d’ailleurs fini par être reconnue par la Banque mondiale, que l’on peut difficilement qualifier de gauchiste…

  5. Encore un discours de gauchiste déconnecté de la réalité de ces pays producteurs

    L’argentine que je connais bien à pris le chemin d’une agriculture d’exportation (comme la France !) et vous en venez à reprocher aux consommateurs français de consommer des fruits tout l’année pour empêcher à ces pays de vendre leurs marchandises en France ???

    Curieux,c’est un discours nationaliste et réactionnaire !

    C’est le nouveau visage de l’extreme gauche ??