Missing : Le théâtre est-il un péché à Saint-Josse ?Reportages

30 mars 2009

missingRécemment, de nombreux spectateurs ont pu découvrir le dernier spectacle d’atelier réalisé par le Brocoli Théâtre avec des habitants de la plus petite commune bruxelloise. Comment des gens, si éloignés de la pratique théâtrale réussissent-ils à nous emmener dans la fiction qu’ils ont inventée ? Comment ces personnes issues de catégories sociales dites « défavorisées » réussissent-elles à nous concerner avec leur spectacle sur les relations hommes/femmes ?

Créé au Théâtre Le Public, puis repris au Botanique et programmé au Festival des Libertés, le spectacle Missing semble nous inviter à réinterroger les vertus du théâtre lorsqu’il est conçu et interprété par des gens, des anonymes qui ne fréquentent pas les lieux culturels, mais décident de s’approprier une pratique artistique pour mieux avancer, comprendre et grandir.

La mise en jeu de la vraie vie

Le Brocoli Théâtre, comme les autres compagnies de Théâtre-Action, consacre une partie centrale, essentielle de ses activités à permettre à des artistes, des animateurs, d’aller vivre le théâtre avec les gens, là où ils se trouvent. Proposer à des groupes de personnes qui ne se rendent pas spontanément dans les lieux de création et de diffusion culturelle, de vivre avec des acteurs, des metteurs en scène professionnels, l’expérience d’une pratique artistique originale, nourrie de leur parole, de leurs préoccupations, de leurs témoignages : un travail qui aboutisse à la présentation publique d’une pièce jouée par eux-mêmes. Les aider à construire une parole, un discours, un objet, une forme artistique qui puissent exister, être partagés un jour avec un public.

Après tout, le théâtre repose sur le jeu, cette capacité inhérente à l’humain que nous avons tous largement utilisée pour nous préparer, alors que nous étions encore au nid, à affronter le monde le moment venu, lorsque nous aurions l’âge de voler de nos propres ailes. Permettre à des adultes de renouer avec le jeu, la mise en jeu de la vraie vie, est toujours une expérience qui nous grandit, avec eux, ces gens sortis de l’anonymat… Et nous nous demandons alors ce qui a bien pu faire que le théâtre soit la propriété des diplômés, des professionnels que nous sommes…

Le Brocoli Théâtre propose donc des créations originales destinées prioritairement aux publics qui ne se rendent pas spontanément dans les lieux culturels. La compagnie bruxelloise mène une recherche sur la théâtralité en réinterrogeant son rapport aux publics variés qu’elle rencontre via les milieux associatifs, les organismes socioculturels et les théâtres. Régulièrement invités à prendre la parole après les représentations, les spectateurs du Brocoli sont aussi invités à faire partie de groupes où ils sont à la fois auteurs et acteurs de spectacles qui leur donnent l’occasion de partager leurs points de vue sur notre société. Cela a permis de créer de nombreux spectacles issus d’ateliers, à Bruxelles et en Wallonie.

Des hommes et des femmes

Missing, notre dernier spectacle d’atelier, a été créé en septembre 2007 à Saint-Josse, suite à une demande de l’échevinat de la culture de travailler avec des habitants dans le cadre de la Politique des grandes villes. Aucune précision n’était été donnée quant à la thématique du projet, mais une condition avait attiré notre attention : nous étions obligés de travailler avec un groupe mixte… Travailler avec des hommes et des femmes nous paraissait tout naturel, mais les fonctionnaires de l’administration pensaient tout bonnement que c’était impossible. Et c’est là, au cœur de cette apparente impossibilité, qu’a germé l’idée de travailler sur les rapports hommes/femmes aujourd’hui à Saint-Josse. Réunir des personnes des deux sexes, les écouter, inventer avec eux une histoire, leur donner envie de jouer et enfin, rencontrer le public.

Et ce ne fut pas une mince affaire ! Dans un premier temps, deux groupes de parole « sexuellement séparés » furent réunis chaque semaine. Pendant trois mois, la parole des trente participants était enregistrée, retranscrite. Il suffisait de se laisser parler, de débattre sur les deux sexes. Ce qui les rapproche, ce qui les éloigne, le choc des cultures… Plus tard, un seul groupe mixte était mis en place dans le but de créer une histoire tirée de leurs témoignages, les exemples de la vraie vie sur le sujet. Un fait divers s’imposait, vu la force symbolique de son propos : une femme mystérieusement disparue depuis des années, recherchée par ses enfants. Tout le monde parle de sa grande beauté, de son intelligence, mais aussi de la belle-sœur, contrainte de prendre sa place pour s’occuper des enfants, sacrifiant sa vie au rôle d’une mère fonctionnelle.

De semaine en semaine, sous la direction des animateurs du Brocoli Théâtre, ces hommes et ces femmes découvrent le jeu théâtral, comme s’ils ressuscitaient la créativité de l’enfant qui sommeille en eux. Mais cette remise en vie a une odeur de tabou et beaucoup partiront, quitteront le groupe malgré leur enthousiasme. Écrasés par la pression sociale du quartier, de leur famille…

Le théâtre des impossibles

Entretemps, d’autres personnes avaient rejoint le groupe. Des nouveaux qui entendaient parler de ce passionnant projet et qui souhaitaient avant tout jouer un rôle dans le spectacle qui arrivait peu à peu dans la phase décisive de sa conception. Ces derniers candidats acteurs découvraient un chantier extraordinaire, s’étonnant de la disparition de ceux qui avaient apporté leur pierre à l’édifice. Des hommes et des femmes qui avaient vécu l’entièreté du parcours depuis le début, il ne restait que Hamid et Meryem. Bien décidés à porter le bébé à terme, jusqu’au public, cet homme d’origine marocaine assigné à résidence par la justice, et cette dame turque parlant à peine le français nous apparaissaient comme les véritables protagonistes de cet impossible projet. Et il fallait alors, avec eux qui avaient tout vécu depuis le tout début de cette aventure, choisir une voie, une direction dramaturgique qui déciderait de la forme de cette pièce à écrire. Et comme le théâtre est le lieu de tous les possibles, il fut décidé que Missing serait, dans une première partie, la narration de l’histoire de l’atelier lui-même par Meryem et Hamid, accompagnés par un chœur d’habitants qui les inciteraient, dans un second temps, à raconter l’histoire, la fiction qu’ils avaient inventée avec les autres, ceux qui étaient partis.

L’équipe du Brocoli Théâtre et les comédiens du spectacle Missing ont reçu le Prix « J’en Pince 2009 », décerné par Vie Féminine, dans le but de sensibiliser le grand public aux inégalités liées au sexisme.

Malgré les difficultés de la langue française pour ces deux-là, plus téméraires que jamais, la pièce fut écrite et créée en septembre 2007. Missing est le fruit d’un travail de fond. Il ne s’agit pas d’une expérience ponctuelle, mais bien d’une démarche permanente et d’un engagement politique. Cette aventure humaine, entre humour, tendresse et colère, semble nous parler de l’importance du dire et nous rappelle que tout ce qui nous parait impossible à changer dans ce bas monde doit être parlé, exploré, revisité.

Gennaro Pitisci
Article publié dans TRACeS de changements (dossier « Savoir écouter, savoir parler » – n°189 – janvier/février 2009), le périodique de ChanGements pour l’Egalité

En savoir plus :

  • La pièce, dans une version allégée sur le plan technique, peut être diffusée dans les milieux associatifs et scolaires. Pour toute information supplémentaire : +32 2 539 36 87 – www.brocolitheatre.be
  • Le texte de la pièce est publié aux éditions La mesure du possible

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