La santé pour tous en ligne de mireReportages

7 avril 2009

maisons-medicalesNées au lendemain de Mai 68, les maisons médicales sont un lieu de santé, mais aussi d’humanité.

Au 215, rue de la Baume, à Seraing, les ouvriers du bâtiment s’activent depuis plusieurs mois : on pousse les murs à la maison médicale Bautista Van Schauwen – du nom d’un médecin chilien assassiné par la dictature. Kinés, diététicienne, psychologue, infirmières, médecins, dentistes, assistante sociale, accueillantes : le personnel est nombreux, il faut faire de la place ! Car ici sont inscrits plus de 4 000 patients, faisant de BVS l’une des plus grandes maisons médicales du pays. Depuis sa naissance en 1974, elle a bien sûr fait des petits : quatre autres maisons médicales sont présentes dans la commune, couvrant ainsi au total un cinquième de la population. « C’est une exception, remarque Jacques Morel, secrétaire général de la Fédération des maisons médicales, dans les villes où nous sommes présents, nous couvrons de 5 à 8 % de la population. » Plus globalement, 2 % des Belges ont recours aux maisons médicales.

Globalité, continuité, accessibilité

Comme l’illustre le cas de BVS, les maisons médicales ont pour objectif de réunir sous un même toit tous les soins de santé de première ligne ainsi que la prévention. L’intérêt ? Traiter chaque patient dans sa globalité, en considérant son état physique, mais aussi social, psychologique, économique, son environnement, et assurer la continuité des soins. Pour être ainsi à la fois curatif et préventif. Les maisons médicales veulent également être tout à fait accessibles, afin que personne ne se trouve exclu des soins. « Le modèle des MM est universel, explique Michel Roland, médecin généraliste à Santé conjuguée, à Saint-Gilles, mais les premières maisons se sont créées dans des lieux plutôt défavorisés, en ville. » Comme ici, à Seraing où, dès le départ, un public populaire était visé.

« Nous étions à la sortie des années 60, raconte Pierre Drielsma, médecin généraliste à BVS, les habitants du quartier étaient des ouvriers. Mais leurs enfants, eux, n’ont plus trouvé de travail et la population s’est fortement appauvrie. Quand je suis arrivé ici, en 81, j’ai encore connu des ouvriers retraités, qui étaient souvent bénévoles pour la maison. Avec la génération suivante est arrivée l’individualisme, mais aussi la clochardisation, la toxicomanie et une pauvreté si grande qu’on peut difficilement l’imaginer. Le passage au forfait, grâce auquel le patient ne doit plus sortir d’argent a encore “aggravé” les choses. » Ce sont en effet souvent les plus pauvres d’entre les pauvres que l’on croise dans les salles d’attente des maisons médicales, même si l’offre s’adresse évidemment à tous et que Jacques Morel tient à éviter toute ghettoïsation. « Mais il faudrait que les maisons médicales soient le levier d’une politique de santé plus globale, planifiée par les pouvoirs publics. » Plus les maisons médicales – ou d’autres modèles équivalents – seront nombreuses, plus elles pourront soigner un public large.

Respect

Plus on est pauvre, plus on est malade, et lorsqu’on est malade, on l’est plus lourdement. « Nous ne faisons guère de bobologie, remarque Pierre Drielsma. Des infarctus à 40 ans, des cancers sont ici des pathologies courantes. Sur le plan intellectuel c’est peut-être intéressant, mais sur le plan sanitaire, c’est un désastre… » La dimension globale du travail des maisons médicales prend évidemment ici tout son sens : si la situation économique augmente le risque de maladie, c’est bien qu’il faut prendre en compte tous les paramètres de vie d’un patient. « Si les cancers du sein ont un moins bon pronostic dans les classes sociales inférieures, poursuit le médecin, c’est parce que les gens ont peu de valeur à leurs propres yeux, et donc moins d’appétit de vie. Le respect, la considération, c’est déjà extrêmement thérapeutique. Il n’y a souvent que chez le médecin qu’ils sont écoutés, qu’on prend en compte ce qu’ils disent. » « L’anamnèse (1) est très importante, complète Michel Roland. Il faut laisser le temps au patient de s’exprimer avec ses propres mots pour que le vrai problème soit peut-être cerné. Vient-il parce qu’il est grippé ou pour tout autre chose ? » Le médecin généraliste reste bien entendu médecin généraliste, et réalise des examens médicaux, mais « le travail en équipe pluridisciplinaire entraîne un glissement des pratiques », constate Jacques Morel.

L’attention, le respect, sont évidemment des qualités absolument nécessaires au personnel des maisons médicales. Les immigrés sont souvent nombreux, il faut bien connaître les interdits, les principes des différentes cultures. Comme Bénédicte Hanot, responsable des projets en santé communautaire dans le quartier très mélangé des Marolles, à Bruxelles : « On ne peut pas simplement interdire à quelqu’un, pour des raisons de santé, de manger dans le même plat que les autres, si c’est la coutume. Alors on trouve des astuces, comme conseiller de manger avant pour manger moins dans le plat commun. Et si j’ai parfois été agacée de constater que des femmes ne participaient pas à des activités parce que leur mari le leur interdisait, je suis passée outre, en organisant des choses exclusivement pour elles. » Pierre Drielsma, lui, fait par exemple très attention à la compréhension de son interlocuteur, n’hésitant pas à user de schémas, de dessins pour expliquer clairement les choses.

Mais être intelligible ne veut pas dire infantiliser, bien au contraire. « Il suffit de passer une heure dans un hôpital comme patient pour voir combien notre système de santé global est infantilisant, remarque Jacques Morel. Or nous tenons à travailler avec des personnes responsables et actrices de leur santé. » L’autonomisation des patients des maisons médicales est en effet l’un des grands objectifs de celles-ci. « Nous essayons de construire un projet thérapeutique avec nos patients, explique Michel Roland, pour qu’ils se prennent en charge. En faisant bien attention à ne pas verser dans l’excès : l’assistance sociale a encore un sens, on ne peut pas demander à un psychotique d’avoir un projet de vie ! Les gens ont parfois simplement besoin d’un asile. »

Laure de Hesselle
Article publié dans le magazine Imagine demain le monde (n°70 – novembre/décembre 2008)

(1) Entretien général du médecin avec son patient, tendant notamment à connaître son histoire, son passé, sa situation.

Illu : FMM

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