Une classe sans mur ni toitReportages

9 mars 2011

Des écoles maternelles et primaires qui accueillent des enfants dehors, en pleine nature, durant une ou plusieurs journées, chaque semaine, quelque soit le temps. La pratique se répand dans plusieurs pays scandinaves et germaniques. Et chez nous ? Possible ? Souhaitable ?

La flûte résonne entre les arbres, invitant les enfants à se rassembler pour l’histoire du jour. Les bouts de chou déboulent de toute part et forment un cercle. Au milieu, un gâteau d’anniversaire trône fièrement. Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de l’automne. Ils ont donc composé cette pièce montée avec des ingrédients récoltés depuis le début de la journée : feuilles, vieilles mûres, petits cailloux, bois, mousse… Et l’enseignante de raconter une histoire d’hommes-noisettes fêtant l’automne. (1)

Toute cette joyeuse troupe fait partie d’une classe pas comme les autres. Une fois par semaine, quel que soit le temps, ses enfants explorent la nature plus de trois heures durant. Une nature qui recèle d’outils pédagogiques, de jeux libres, de découvertes. D’apprentissages plus formels aussi. Ici, Mattéo fabrique son crayon lui-même avec des petits bouts de saule brûlés dans une boîte en alu ; il pourra écrire son nom sur « sa feuille », une belle pierre trouvée sur le chemin. Là, Aude dessine dans la terre alors que sa copine apprend à calculer avec des faînes. Un peu plus loin, Michaël a décidé de fabriquer un panier avec une feuille d’érable.

Nées dans le froid

Pas de crèche ? Et bien, envoyons les marmots dans la nature, une cabane fera l’affaire ! C’est en effet pour répondre à la pénurie de places d’accueil pour la petite enfance, dans les années ’50, que sont nés les premiers jardins d’enfants en forêt au Danemark. Depuis, les crèches, écoles maternelles ou primaires « en nature » se sont répandues dans plusieurs pays scandinaves et germaniques, non tant pour « caser les gosses » que parce que cela revêt un véritable intérêt pédagogique. En Suède, elles sont une centaine basées uniquement dans la nature et subventionnées par l’Etat. Elles sont entre 200 et 500 au Danemark, 400 en Allemagne.

Sarah Wauquier anime des « jardins d’enfants en nature » en Suisse alémanique, où la démarche est assez courante. Chercheuse, psychologue, pédagogue par la nature et institutrice, elle y voit tout d’abord un excellent terreau pour le développement de l’enfant (2) : « Même si l’expérience de la nature ne dure qu’une demi-journée par semaine, diverses recherches menées sur ces pratiques démontrent qu’au niveau du maternel, les compétences sont atteintes et même dépassées ». Et de noter un développement important de la motricité globale et de la persévérance : la nature fait surmonter des obstacles. De la créativité et de la curiosité aussi : un bout de bois avec de la mousse, ça n’a pas de signification prescrite, l’enfant invente l’usage qu’il veut en faire. Cela aurait également une influence positive sur leur santé (moins de rhumes) et sur les comportements sociaux, l’entraide notamment : Manu est tombé dans une flaque, son copain l’aidera à en sortir. Le fait de bénéficier de plus d’espace diminuerait aussi les conflits entre les enfants . « Par ailleurs, les enfants s’immergent réellement dans l’activité. Selon certaines recherches, c’est dans ce temps d’immersion que l’apprentissage est le plus efficace. Et tout cela vient naturellement. Pas besoin de le susciter artificiellement. Ils sont enthousiastes, aller dehors ça leur convient, à cet âge ils sont demandeurs ».

Pour un autre rapport à la nature

En outre, immerger les élèves chaque semaine dans la forêt est un levier primordial pour fertiliser leur relation à la nature et les aider, demain, à relever les défis environnementaux. « Cela dit, notre rapport à la nature reste craintif. Il faudra donc rassurer les parents quant aux tiques, au froid, à la boue, précise Sarah Wauquier. Ce contact avec la nature est important ! Dans les études biographiques menées auprès d’adultes eco-responsables, on constate que, plus que l’information reçue, le fait d’être en contact régulier avec la nature avant 10 ans a une grande influence sur leur comportement écologique. »
L’école en nature, voilà une vraie bulle d’oxygène à l’heure où nos enfants sont de plus en plus noyés dans des « sociétés-écrans », écran virtuel (TV, ordi, consoles…) ou écran sécuritaire (car « dehors c’est dangereux »). « Nous nous scandalisons, à juste titre, de ces élevages d’animaux hors sols, veaux, poulets, chèvres enfermés, grillagés, en batterie, sans accès à l’espace et à la lumière du jour. Et nous ne hurlons pas lorsque notre société fait – et de plus en plus – l’élevage de nos gamins en batterie, enfermés, grillagés, sans accès à l’espace et au soleil », lançait l’auteur-éducateur Louis Espinassous (3).

Pour un enseignement différent

Très bien, mais faire classe dehors, cela change fortement le travail habituel des enseignants. Lesquels, s’ils ne bénéficient pas d’une expérience liée à l’environnement, collaborent généralement avec un animateur spécialisé. « En classe, les oreilles et les yeux sont surstimulés. En nature, les enseignants peuvent mettre en place des expériences directes à travers les 5 sens, de manière agréable, ce qui est important à cet âge, tant pour le développement personnel que pour les apprentissages, explique Sarah.
Les activités varieront selon les classes d’âges : de 3 à 5 ans, on favorisera les jeux libres, et l’adulte mettra en place des rituels qui rassurent l’enfant : un cercle de salutation, une petite chanson, avant de se diriger vers un coin de forêt habituel, les enfants tirant le chariot de matériel et faisant une série d’activités en chemin. Penser aussi à un petit peu de confort : faire un feu pour lutter contre le froid, avoir un abri pour la pluie, bien s’habiller. « En primaire, précise la Suissesse, on croise les objectifs d’éveil à la nature avec les objectifs scolaires. Ils suivent le même programme que les écoles primaires classiques, mais d’une autre manière. On fait des maths en mesurant la taille des arbres, de l’histoire en fabricant des lances comme au néolithique, etc. »

Bientôt chez nous ?

Si, chez nous, de nombreuses animations « nature » sont dispensées ponctuellement dans les écoles, si beaucoup d’instits partent en classe verte avec leurs élèves, des démarches aussi enracinées que les « écoles en forêt » sont rares. Roger Godet est le chef de l’Inspection en Communauté française. Ancien instituteur primaire, il se dit très favorable à ce qu’un animateur ou un enseignant sorte les élèves un jour par semaine pour « faire classe dehors », « à condition que ce ne soit pas une parenthèse, une anecdote dans la vie de la classe. Il faut que ce soit intégré aux autres activités scolaires. Ce qui nécessite un véritable partenariat entre l’instituteur généraliste et l’éventuel intervenant extérieur spécialisé. Ils ont chacun leurs apports spécifiques. L’enseignant doit être partie prenante dès le départ et s’emparer de cette immersion dans la nature pour pérenniser la démarche, pour qu’il y ait un avant et un après ». Et l’inspecteur général de souligner l’intérêt de relier l’expérience à d’autres apprentissages : linguistiques, numériques, etc. « Par exemple, voir l’évolution d’une plante au fil des saisons est très efficace pour intégrer la notion de temps, importante vers 5 ans. Je trouve d’ailleurs plus intéressant d’aller dans la nature une fois par semaine, plutôt qu’une semaine par an ». Roger Godet ne cache cependant pas certains freins : « C’est dans les programmes, donc c’est réalisable pour peu que le Pouvoir Organisateur de l’école soit d’accord. Mais ce n’est pas toujours évident à réaliser ». Comme pour une sortie au musée, il faut souvent deux enseignants, donc deux classes, sans parler de l’éventuel transport, du coût, des assurances, des démarches administratives, etc.

Chez nous, en Communauté française, de nombreuses associations et outils pédagogiques aident les enseignants désireux d’éduquer leurs élèves à l’environnement. Plus d’infos : Réseau IDée – 02 286 95 70

Il y a aussi les mentalités et les pratiques ordinaires, pas toujours mûres pour ce type de pédagogie. Pour Cécile André, institutrice maternelle à Mons et ancienne animatrice-nature, le chemin est encore long de la classe à la forêt : « Chaque fois que je parle de développement global de l’enfant, d’éducation en lien avec son environnement, de vivre avec sa classe, les gens trouvent ça bien joli mais reviennent toujours sur des idées bien ancrées : « il y a des bases à enseigner, c’est chouette la nature mais c’est pas comme ça qu’il va réussir à l’école ». Pour moi ça va bien plus loin que ça. Quand on est bien dans son corps et dans sa tête, avec son environnement et avec les autres, on est plus disposé à apprendre et à comprendre ».

La germanophone Sarah Wauquier en est en tout cas persuadée : « ça va se développer en France et en Belgique dans la décennie à venir, même s’il y a beaucoup de travail pour informer et convaincre. ». Chiche !


Article rédigé par Christophe Dubois dans « Symbioses » périodique trismestriel du Réseau Idée (n°89, premier trismestre 2011)

(1) Inspiré des activités décrites dans l’ouvrage de Sarah Wauquier « Les enfants des bois. Pourquoi et comment sortir en nature avec de jeunes enfants », Ed. Books on Demand, 2008.
(2) A l’initiative du Réseau IDée et de la Région wallonne, Sarah Wauquier est venue détailler l’organisation de telles journées et le rôle de l’animateur ou de l’enseignant lors du Salon de l’Education, à Namur, en octobre dernier.
(3) Lors d’une conférence dans le cadre des dernières Assises françaises de l’éducation à l’environnement et au développement durable, Caen, 2009.

Un commentaire sur “Une classe sans mur ni toit”

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