Les coopératives, vers un entreprenariat plus solidaireClés pour comprendre

31 mai 2011

Porteuses de valeurs de démocratie, d’égalité, d’équité ou encore de solidarité, les coopératives n’ont pourtant pas la cote en Belgique. Un souffle nouveau plane cependant sur cette forme d’entreprenariat agissant à contresens de l’économie du « tout au profit ».

« Une coopérative est une association autonome de personnes unies volontairement pour répondre à leurs besoins et aspirations économiques, sociaux et culturels, au travers d’une entreprise détenue en commun et contrôlée démocratiquement. »
> définition de l’International Co-operative Alliance (ICA) : www.ica.coop/coop/

Imaginez une entreprise où chacun a son mot à dire en matière de prise de décision et de gestion, où une personne vaut une voix. Une entreprise où le salaire du patron ne vaut pas 10 fois celui d’un ouvrier. Une entreprise où chaque membre a contribué de manière égale au capital de base et le contrôle démocratiquement. Une entreprise où les actionnaires ne sont autres que les usagers eux-mêmes et non pas des investisseurs anonymes cherchant uniquement à grossir leur portefeuille. Une entreprise où la dimension d’intérêt général est de rigueur.

Principes des coopératives, selon l’Alliance Coopérative Internationale :
- adhésion volontaire et ouverte à tous
- contrôle démocratique des membres
- participation économique des membres
- autonomie et indépendance
- éducation, formation et information
- coopération entre coopératives
- intérêt général
> voir www.ica.coop/coop/principles

Bienvenue dans le monde des coopératives. Du moins, le monde « idéal » des coopératives. Sur le terrain, les nuances existent et les principes de base des coopératives (voir encadré 2) ne sont pas toujours tous remplis à la lettre. De plus, les coopératives prennent des formes différentes en fonction des besoins auxquelles elles répondent (voir encadré 3). Néanmoins, les coopératives représentent une réelle alternative à l’esprit dominant d’entreprendre porté uniquement par le profit. Elles démontrent que l’activité économique peut aussi s’accompagner de considérations sociales et de solidarité. Nous voilà au cœur de la dualité « économie sociale » versus « économie capitaliste ». David contre Goliath ?

« On a besoin des coopératives, martèle Luca Ciccia, de la fédération Solidarité des alternatives wallonnes et bruxelloise (SAW-B). C’est une réponse à la crise actuelle. » Une crise qui puise ses fondements dans une société capitaliste où tout tourne autour de la logique du profit, et où ont disparu le sens et la finalité de ce que l’on produit. Un monde aussi où la gestion des entreprises ne laisse pas ou peu de place à la notion de démocratie. « L’économie sociale dans laquelle s’inscrit le principe des coopératives est anti-capitaliste, est orienté vers l’intérêt de la collectivité, est démocratique », poursuit Luca Ciccia.

Manque d’attrait

Il existe différents types de coopératives :
- coopératives de production (agriculture…)
- coopératives de consommateurs (magasins, pharmacies…)
- coopératives de travailleurs (industries…)
- coopératives d’épargne et de crédit
- coopératives « multi-stakeholder », à parties prenantes multiples, donc par ex. tant des producteurs que des citoyens (éoliennes, commerce équitable…)
> sur base de l’exposé de B. Huybrechts – HEC-Ulg.
Les coopératives existent dans les secteurs économiques traditionnels comme l’agriculture, la pêche, les services aux consommateurs et financiers, la production. L’activité coopérative s’étend cependant aussi sur d’autres secteurs comme les soins de santé, l’aide sociale, l’école, le sport, le tourisme, les consommations en énergie, eau, gaz, les transports…
> sur base de www.ica.coop/coop

Pourtant, la sauce coopérative ne prend pas en Belgique. Depuis les années ’70, le nombre de coopératives ne cesse de décliner, sauf dans le secteur agricole. Notamment, parce que beaucoup des coopératives de l’époque se sont tout bonnement transformées en entreprises ou ont été rachetées par des entreprises. C’est là que le bât blesse. Au-delà d’une certaine taille, les coûts étant plus importants, les coopératives ont tendance à virer entreprises « conventionnelles ». Un peu comme si le système coopératif était voué à glisser progressivement vers une économie capitaliste… Un peu comme si inexorablement Goliath prenait le dessus.

D’autres facteurs expliquent le manque d’intérêt à se lancer ou à poursuivre l’aventure coopérative : qui dit prise de décision collective, dit prises de position divergentes et parfois conflictuelles ; le cadre légal ambigu ; le manque de temps ; la déconnection entre le phénomène des coopératives à ses origines et les nouveaux mouvements sociaux ; la force historique du secteur associatif et le statut juridique plus large des associations sans but lucratif (asbl)…

Les coopératives souffrent également d’un manque de légitimité. Au-delà du fait que peu de gens savent réellement ce qu’est une coopérative, un autre problème de représentation se pose. « Le schéma mental de la population est trop figé », explique Benjamin Huybrechts, de HEC-Ulg, école de gestion de l’Université de Liège. Au croisement entre « l’économie » (apanage des entreprises) et « le social » (apanage des associations), les coopératives ne trouvent pas leur place et leur raison d’être aux yeux du grand public. En témoigne d’ailleurs l’expérience d’un membre d’une coopérative de construction : « Etre une coopérative, ce n’est pas un label de qualité, c’est souvent assimilé à une structure employant des travailleurs faiblement qualifiés, par exemple. Du coup, le fait qu’on soit une coopérative, on n’en fait pas la publicité. »

La solution à ce manque de légitimité passe par l’information, la promotion, l’éducation. Luca Ciccia pointe d’ailleurs : « A l’université, les cours de gestion et d’économie n’abordent pas la question des coopératives ! » Et pourquoi pas, poursuit le même membre d’une coopérative de construction, « proposer aux écoles secondaires de créer des coopératives dans le programme des mini entreprises ».

Informer, former, éduquer, donc. Mais Benjamin Huybrechts insiste : « Il faut renouveler les modèles et pratiques sans pour autant réinventer la roue. » Les fondements de la coopération existent, autant s’en inspirer. Il ajoute aussi : « La coopération a un potentiel alternatif réalisable que s’il traverse tous les publics et couches sociales. Il est important de ne pas toucher que les élites. » D’où l’importance de fournir des outils pour informer et former, pour faire prendre conscience de la capacité de chacun à s’inscrire dans cette dynamique coopérative. Et, enfin, dans un société où tout est tourné vers l’individu agissant en tant qu’entité seule, où la collectivité n’a pas la cote, « travailler sur le tissu social pour que les coopératives puissent émerger » semble également essentiel.

Nouveaux horizons

Si le nombre de coopératives tend à diminuer, de nouveaux champs voient le jour. Dans le secteur environnemental, notamment. Les coopératives en matière d’énergies renouvelables, comme les éoliennes, fleurissent ça et là. En Belgique, la coopérative citoyenne Emissions-Zéro est souvent mise sur le devant de la scène. Elle a pour objectif « d’investir dans la production d’énergies au départ de sources d’énergies renouvelables : le vent, l’eau, le soleil et la biomasse ». Au cœur de la démarche, le principe de participation, invitant citoyens et acteurs des territoires à poser des choix, à se réapproprier et à gérer les modes de production et de consommation de leur énergie. Autres exemples, plus éloigné du cadre juridique strict des coopératives, les groupes d’achats communs (GAC), les groupes d’achat solidaires de l’agriculture paysanne (GASAP) et les systèmes d’échange locaux (SEL) sont autant de nouvelles formes de coopération.

Si elles ne répondent pas toujours précisément à la définition de coopératives, ces initiatives offrent un souffle nouveau au mouvement. Un souffle citoyen, parfois. Un élan politique aussi ? Pas forcément, comme l’explique Luca Ciccia : « De tout temps, les coopératives avaient pour but premier de répondre à des besoins pratiques. Accéder à des biens moins chers dans le cas des coopératives de consommateurs, par exemple. Si les besoins d’hier et d’aujourd’hui diffèrent, les coopératives restent néanmoins utilitaires. Dans tous les cas, les coopératives et autres formes de coopération répondent à des besoins pragmatiques et sont rarement des réactions politiques. Il y a derrière peu de volonté de changement de société. Mais, si ce n’est pas le cas pour l’instant, peut-être est-ce le terreau de quelque chose… »

Céline Teret
Article rédigé sur base des échanges du « Midi d’Econosphères » (18/05/2011) autour du thème « les coopératives de production : autre gouvernance d’entreprise ou laboratoire d’une démocratie économique à construire », avec comme intervenants Benjamin Huybrechts, chargé de cours en économie sociale, HEC-Ulg, et Luca Ciccia, chargé de projets et de recherche pour Solidarité des alternatives wallonnes et bruxelloise (SAW-B), une fédération pluraliste d’entreprises d’économie sociale.

En savoir plus :

  • Econosphères, réseau pour faire vivre d’autres économies : www.econospheres.be
  • HEC – Université de Liège (ULg) : www.hec.ulg.ac.be
  • Solidarité des alternatives wallonnes et bruxelloise (SAW-B) : www.saw-b.be
  • International Co-operative Alliance (ICA) : www.ica.coop
  • Emissions-Zéro, éoliennes citoyennes – coopérative : www.emissions-zero.com
  • Un commentaire sur “Les coopératives, vers un entreprenariat plus solidaire”

    1. Olivier Biron dit :

      Bonjour,

      Nous représentons les coopératives de travail associé au niveau européen et mondial (ce que vous appelé les coopératives de travailleurs). Nous vous remercions pour votre article que nous trouvons très intéressant. Je vous invite à jeter un œil sur notre site et sur notre magazine: http://www.cecop.coop/Numero-4-Mai-2011.

      Au plaisir de collaborer,
      L’équipe de CECOP / CICOPA