Installation de paysans pour se réapproprier la souveraineté alimentaireClés pour comprendreGestes pratiques

19 septembre 2011

Lorsque les citoyens désirent soutenir l’installation d’agriculteurs, quelles sont les solutions qui se présentent à l’heure actuelle et à quel niveau ces citoyens peuvent-ils intervenir ? Dans un contexte actuel de disparition des petites fermes – cinq par jour, en Belgique -, une réorientation par la base, par les citoyens, de l’agriculture locale peut et doit être menée. Voici plusieurs types de mode d’installation d’agriculteurs qui peuvent mettre ceux-ci sur la voie de la sécurité et de la souveraineté alimentaire. Nous entendons par installation, à la fois, la reprise de fermes et le développement de nouvelles unités.

Dans le développement général de la citoyenneté, on peut aujourd’hui observer qu’une place particulière est donnée au domaine de l’alimentation. Santé, environnement et respect des agriculteurs sont au menu de l’assiette de demain – et d’aujourd’hui pour certains. En témoignent les consommateurs qui se regroupent pour soutenir un producteur local – GACs, GAS, GASAP -, mais aussi les nombreux films qui traitent de l’agriculture bio et paysanne. Or, dans cette mouvance, nombre de personnes ont déjà pris conscience de l’importance de dépasser le rôle du « consom’acteur » pour s’impliquer plus en amont de la relation producteurs-consommateurs. L’agriculteur doit, en effet, pouvoir se voir garantir un revenu stable et rémunérateur, mais il doit aussi pouvoir s’assurer la maîtrise de ses moyens de production, la terre venant logiquement en premier lieu. Ce souci concerne donc aussi les citoyens en lien avec ces agriculteurs, le défi étant en somme d’assurer un système alimentaire viable pour tous, la responsabilité est donc partagée.

Des pistes pour s’installer

L’installation en agriculture, que ce soit par une reprise ou par une néo-installation, se confronte aujourd’hui à de gros obstacles dans les pays fortement urbanisés comme l’est la Belgique. L’achat de terres est pratiquement impossible au regard de l’envolée du prix du foncier. La concurrence féroce entre agriculteurs et l’impact du développement urbain ont conduit à faire du foncier une marchandise sur laquelle on spécule et dont le prix ne correspond désormais plus à une réalité matérielle. Le foncier représentait un facteur de production intégré dans les coûts et une épargne pour l’agriculteur. Aujourd’hui, il est le siège de spéculations capitalistes telles qu’on peut en observer dans d’autres secteurs. Ce problème est d’autant plus important pour les fermes biologiques et paysannes à petite échelle, puisque leur trésorerie se révèle modeste. La location « classique » via le bail à ferme, soit la forme d’accès à la terre la plus répandue en Wallonie, se heurte quant à elle, à des réticences grandissantes de la part des propriétaires. Ces derniers préfèrent ne plus accorder ce type de contrat très difficile à rompre, et choisissent de confier l’exploitation de leurs terres à des entreprises spécialisées, mais pas à des fermiers. Il devient donc de plus en plus difficile d’accéder à la terre de cette façon…

Le problème n’est pas propre à la Belgique, et l’on voit apparaître, ici comme ailleurs, des initiatives innovantes visant à assurer les possibilités d’installation. Cet article se veut donc informatif pour toute personne soucieuse de ce qui se passe en amont de la production et qui chercherait éventuellement des solutions pour l’un ou l’autre agriculteur proche. Parmi les solutions innovantes citons : les coopératives foncières, l’installation sur une ferme existante, l’instauration d’initiative d’Agriculture Soutenue par la Communauté, l’insertion professionnelle, l’occupation de terres vacantes et le commodat.

- Les coopératives foncières (comme Terre de Liens (1)) :
Ce type de structure constitue un outil d’acquisition collective du foncier, financé par l’épargne privée, qui permet d’acheter des fermes et de les louer aux porteurs de projet, avec des conditions d’exploitation particulières, généralement en agriculture biologique. L’origine de ce type de structures s’ancre dans le constat des limites de la gestion de la terre par la seule propriété privée individuelle. Cet outil permet à la société civile de s’organiser, de manière autonome, pour prendre en charge un portage collectif et non spéculatif de la propriété sur le principe d’une coopérative. Son objectif est de montrer qu’il est possible, à travers la mobilisation de l’épargne citoyenne, de soustraire des terres au marché spéculatif et de les protéger des menaces qui pèsent sur elles. Une fois achetées collectivement, ces terres ne seront plus jamais à vendre, mais seulement à utiliser par des locataires successifs responsables. L’usage prime ainsi sur la propriété. La structure créée en France est sur le point de naître en Belgique. Affaire à suivre.

- Installation sur ferme existante (diversification) :
Le nombre croissant de producteurs qui se tournent vers la vente en circuits courts offre une opportunité intéressante pour l’installation de nouveaux producteurs. En effet, pour s’assurer une clientèle régulière et importante l’offre du producteur se doit d’être diversifiée puisque personne ne fait ses courses dans dix points de vente différents. Dès lors, tout producteur peut potentiellement être intéressé par l’installation sur sa ferme d’une activité spécialisée de diversification. Que ce soit un maraîcher très diversifié, un paysan-boulanger, un chevrier ou autre, ce type d’activité ne requière pas de grandes surfaces, ce qui peut motiver un producteur à « céder » une partie de son domaine. Cette stratégie a de nombreux avantages : cadre de travail pré-établi, infrastructures partagées, risque amoindri, filières de distribution communes, etc. Reste à trouver le mode d’accès à la parcelle concédée : location, prêt ou achat.

- Agriculture contractuelle de proximité :
On entend par agriculture contractuelle de proximité (2) les systèmes de groupements d’achats dans lesquels les parties s’engagent mutuellement à acheter et à produire sur une durée déterminée – en général, une année – et à un prix garanti, fixé collégialement. Le groupement se voit donc assuré d’être nourri et le producteur a, quant à lui, l’assurance du revenu rémunérateur. Les risques liés à des « accidents » – tempête, sécheresse, etc. – sont partagés par tous et ne peuvent pas remettre en question l’engagement de rémunération du producteur. Ce type de relation, parce que garantissant un revenu stable, permet à l’agriculteur d’envisager sereinement de contracter un prêt pour l’achat de son matériel et/ou de sa terre. Concrétisé dans un plan financier bien ficelé, un jeune a plus de chances de se voir octroyer un prêt le menant sur la voie de l’installation.

- L’insertion professionnelle et couveuses d’entreprises :
Le passage par des structures d’encadrement, d’échange et d’aide à l’installation constitue aussi une voie intéressante pour toute personne dont le projet n’est pas encore suffisamment défini. Ainsi, certaines coopératives de producteurs, des associations, ou même des CPAS offrent la possibilité à des personnes qui veulent se lancer de s’appuyer sur une structure de production et de commercialisation existante. Ces débutants peuvent bénéficier du conseil et de l’encadrement des « anciens », limitant ainsi les risques. En France, le réseau des ADEAR – voir l’article dans le présent dossier – a été crée dans cette optique d’accompagnement de jeunes projets. Avec succès ! En Belgique on a la couveuse d’entreprise CreaJob asbl par exemple.

- L’occupation de terres vacantes :
Bien que les chiffres soient très difficiles à obtenir, il est de notoriété publique qu’un nombre conséquent d’hectares de terres agricoles ne sont pas valorisés en Wallonie. Ce sont des terres qui appartiennent à des entités publiques – communes et CPAS – ou privées – Eglise, grands propriétaires terriens…

- Le commodat :
Il s’agit d’un contrat qui concerne le prêt d’un objet ou d’un bien immobilier à titre gratuit. L’emprunteur a une obligation de restitution envers le prêteur qui s’engage à laisser l’usage de la propriété pendant la durée du prêt et à rembourser les dépenses extraordinaires, nécessaires et urgentes. Léger, ce type de contrat se prête tout particulièrement à des porteurs de projets en phase d’apprentissage. Dans cette phase le plus important pour l’agriculteur est de s’exercer, et donc d’avoir accès à un terrain.

Et puis, voir plus loin…

Derrière cette question du foncier pointe l’épine du mode et des structures de financement de petites structures agricoles. Tant que les coûts environnementaux et sociaux ne seront pas internalisés au niveau de l’agriculture industrielle, l’agriculture biologique paysanne sera en position de concurrence déloyale et défavorisée. C’est en effet cette petite agriculture qui permet à la société entière de faire des économies massives dans les domaines de la restauration de l’environnement, des soins de santé et de l’emploi. Mais ces services ne sont aujourd’hui que très peu rémunérés : par des primes MAE, par exemple… Tant que la politique agricole n’est pas réformée en politique alimentaire, c’est aux citoyens qu’il incombe de tisser les liens entre la terre, les agriculteurs et les consommateurs pour une alimentation d’avenir.

François de Gaultier
Article publié dans la revue Valériane (n°90, juillet-août 2011) de Nature & Progrès

(1) voir www.terredeliens.org
(2) voir www.urgenci.net

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