La « consommation collaborative »Clés pour comprendreGestes pratiques

7 septembre 2011

Le phénomène est né aux Etats-Unis, et semble aujourd’hui se répandre dans le monde francophone. Un peu partout sur Internet naissent et parfois prospèrent des sites qui proposent des échanges de jouets, d’outils, de services divers, la location d’une chambre ou d’une voiture, l’achat d’un plat concocté avec amour, ou un repas en commun dans un resto. Particularité de ces sites ? Ce sont dans leur immense majorité des particuliers qui alimentent les échanges. Antonin Léonard observe le mouvement avec passion sur son blog, consommationcollaborative.com.

Comment est née cette tendance ?

Le terme de consommation collaborative a été popularisé par un ouvrage de Rachel Botsman et Roo Rogers, What’s mine is yours. The rise of collaborative consumption (« Ce qui est à moi est à toi, la montée de la consommation collaborative ») (1), qui était le premier à théoriser ce mouvement, cette alliance entre le troc, le partage et les nouvelles technologies. La conjonction de plusieurs événements a permis la naissance de cette alliance : d’une part la découverte du peer-to-peer, ce système qui permet l’échange de fichiers entre particuliers, popularisé avec la musique ; d’autre part le succès de sites comme eBay et couchsurfing.org (2), qui ont démontré que la confiance entre particuliers inconnus était possible ; enfin l’expansion de réseaux comme Facebook, qui ont facilité les interactions. Il y a deux grands principes dans la consommation collaborative : c’est une économie de la fonction, l’usage prévaut sur la possession (on partage donc les ressources) ; et l’échange entre particuliers est préféré à l’économie centralisée.

Quels en sont les acteurs ?

On y trouve aussi bien des organisations non lucratives, comme couchsurfing.org ou freecycle.org (3), qui mettent les internautes en contact et où il n’y a pas du tout d’argent en jeu, que des start-up un peu différentes, qui prennent par exemple un pourcentage sur les transactions entre les particuliers, à l’image d’airbnb.com (4), qui vient de dépasser le million de nuitées. Il y a aussi des systèmes mixtes, comme thredup.com, où les échanges de vêtements et jouets d’enfants sont gratuits, effectués entre particuliers, mais où les créateurs du site vendent les boîtes dans lesquelles les objets sont transportés. Par ailleurs, ils refusent la publicité, car ce ne serait pas cohérent avec leur projet. Il y a donc quand même là-derrière des entrepreneurs avec des valeurs auxquelles ils tiennent.

Quels sont les enjeux de cette nouvelle façon de faire ?

L’interaction avec le développement durable est évidemment intéressante, car cette consommation collaborative entraîne une optimisation des ressources. Mais l’impact sur l’environnement – par la baisse de la consommation d’objets – a lieu parfois sans même qu’on s’en rende compte. Les arguments mis en avant concernent d’abord l’aspect financier, et la crise est ici une vraie chance, puis la convivialité, les échanges entre personnes proches géographiquement étant souvent favorisés. Pour moi, cela va nourrir les plates-formes locales, car les internautes sont incités à changer de mode de vie. Personnellement, je n’achète plus de vêtements neufs depuis que je m’intéresse à ce domaine !

(1) Collins, 2010, non traduit en français.
(2) www.eBay.com a diffusé massivement le système de notation des vendeurs par les acheteurs et inversement. Quant à couchsurfing.org, qui permet aux inscrits d’accueillir un voyageur pour la nuit, il utilise bien entendu également le système des commentaires.
(3) Site d’échanges et de dons d’objets dont on n’a plus l’usage.
(4) Location d’appartements ou de chambres.

Que dit la loi ?

Echanger des services, préparer des repas pour quelqu’un, donner un coup de main sur un chantier, louer sa perceuse… Ces activités sont-elles encadrées par la loi ? Y a-t-il des limites temporelles ou financières à ne pas dépasser ?
« Dans le cadre d’échanges de services, rien n’interdit de faire plaisir et de se faire plaisir », commente André Nayer, professeur en droit du travail à l’ULB. « En cas de conflit, pour un indépendant avec l’INASTI par exemple, tout est une question de quantité. Mais il n’y a pas de règle. » En Belgique, les SEL ont décidé, pour parer à toute contestation, de ne pas échanger de services « professionnels » : un plombier proposera des tartes ou des cours d’anglais, pas de réparer les robinets. « Mais il faudra peut-être revoir ce principe lorsque des systèmes de monnaies locales se mettront en place », estime Bernard Simon du SEL Coups d’pouce. Du côté des chômeurs, l’ONEM a depuis l’an dernier adapté sa législation pour les volontaires des SEL. Les membres en recherche d’emploi doivent donc dorénavant remplir une déclaration signalant leur engagement dans un système d’échange, rester disponibles pour leur recherche d’emploi, et ne pas dépasser en défraiements éventuels 1 208,72 euros par an (30,22 euros par jour).
Globalement, les choses sont floues, et donc laissées à l’appréciation d’un employé de l’administration. Ce qui peut être perçu comme un risque, mais « chercher à réglementer n’est pas toujours une bonne chose, estime André Nayer, car la liberté n’existe que dans les failles… » Autant donc laisser les failles les plus larges possibles…
Du côté des assurances, ce sont souvent les classiques familiales qui couvrent un éventuel petit accident – comme pour n’importe quel accident de la vie quotidienne – et les objets, eux, ne sont pas couverts. Mais pour les dommages occasionnés à une tierce personne, certains SEL ont souscrit une assurance responsabilité civile. « La plupart du temps les choses se règlent à l’amiable, constate Bernard Simon, mais lorsqu’un SEL grandit, se structure, une assurance collective peut être utile ! »
Et quid lorsqu’il y a rémunération, pour la location de ma perceuse ou de mes talents culinaires ? Pour l’administration fiscale, tout est à déclarer, en revenus mobiliers ou divers suivant les cas, moins les frais…

Laure de Hesselle
Article publié dans Imagine demain le monde (n°86 – juillet/août 2011)

Photo: Strategic Design Scenarios

5 commentaires sur “La « consommation collaborative »”

  1. Ezilize dit :

    Même si cet article date un peu, il y a du nouveau dans le monde de la consommation collaborative et plus particulièrement au niveau de la location d’objets en particulier en Belgique.
    En effet, un nouveau site 100% belge a vu le jour en juin 2014, son nom https://ezilize.be
    Ce site est 100% à la location d’objets entre particuliers. Même si des professionnels peuvent également mettre des objets en location, nous essayons de nous concentrer uniquement sur les particuliers. Cela va de la location de tonnelles, aux tondeuse, vous pouvez même louer des caméras GoPro …
    Nous avons environ 3500 objets disponibles sur le site !
    Passez-nous voir sur https://ezilize.be/fr

  2. François dit :

    La consommation collaborative est une expression pour décrire un mode de consommation, c’est à dire qu’il induit la notion d’argent. je trouve que l’expression est plutôt bonne, partager ou faire un échange ou un troc induit forcément une notion de valeur monétaire (valeur du bien ou service), il est indispensable d’avoir une échelle de valeur et l’argent en est une. Partager, louer ou échanger ne veux pas dire que cela est gratuit, mais en tout état de cause la consommation collaborative évite ce phénomène de sur-consommation qui envahit notre quotidien. Le site http://www.OnEchangeNosVoitures.com, vous propose d’échanger votre véhicule, quand il y a une différence de valeurs, il faut la régler de la manière que l’on souhaite mais d’une manière ou d’une autre, il faut payer cette différence. Sinon vous avez le le blog http://www.troc-et-echange.com qui décrit très bien ce nouveau mode de consommation (consommer mais autrement).

  3. Je rebondit rapidement sur la conclusion de France, qui ne me parait pas très juste.
    Tu remarqueras qu’une grande partie des sites de conso collaborative sont liés au monde de l’occasion, et le fait de faire monter ce secteur en puissance est le geste le plus écologique qui soit puisqu’un objet réutilisé c’est un achat neuf en moins et du recyclage évité, ainsi, il est à mon avis toujours moins écologique d’utiliser un objet neuf aussi vert soit’il qu’un objet d’occasion.

  4. Laura dit :

    Pour ceux qui souhaiteraient mettre en pratique la consommation collaborative, un tout nouveau réseau social dédié uniquement à l’échange / location / prêt de biens est accessible sous http://www.yitonikos.net. Le concept est plutôt sympa: chaque membre peut se créer son propre réseau d’amis, ou alors créer ou rejoindre un groupe (par exemple un club sportif, une association etc) et mettre à disposition son matériel, en prêt ou en location, au sein de ces groupes. Le site est tout neuf, pas encore beaucoup d’annonces, mais les personnes motivées à initier un réseau de prêt-location dans leur région, ou au sein de leur association, pourront facilement le faire via ce site. Il est accessible sous: http://www.yitonikos.net.

  5. France dit :

    Très bien, mais pourquoi consommer à tout prix, encore et toujours plus ? Ok pour la collaboration évidemment, mais la surconsommation est devenue un problème sur cette planète. Selon, le contenu de ce post, il s’agit surtout d’échanger des services (et tant mieux, c’est chouette). Ce serait donc l’appellation de « consumption », instaurée par ces deux auteurs américains, qui fausse un peu l’image. Alors au lieu de dire consommation collaborative, pourquoi ne pas utiliser une définition plus juste, plus proche de la réalité. Bien sûr, que l’on consomme, on est obligés à un minimum (apports vitaux…). Mais être sommés de consommer à tout crin, poussés comme des moutons vers des besoins inutiles me semble ne pas résoudre le problème (pollution, déchets, surproduction etc.). Oui, le monde de demain (aujourd’hui déjà), devra être collaboratif (solidaire) ou il ne sera pas. Mais ce terme de « consommation » freine la démarche qui est d’abord sous-tendue par une notion de service. Enfin c’est mon avis… Je vois également le tag « consommation durable » : encore un oxymore. Rien n’est durable, pas même le « développement », et encore moins la vie. Le hic est donc toujours les formulations et les définitions dévoyées qui ne veulent rien dire, qui donnent bonne conscience, mais qui ne changent rien. En France, au départ, le SEL est né à l’époque pour une « économie » (encore une définition dévoyée car plus on consomme, moins on économise les richesses restantes de la planète) alternative, principalement pour venir en aide à ceux qui n’avaient pas de moyens. Bref, c’est la notion de consommation qui devrait être revue. À part ça, échanges, services, entraides, collaboration, mutualisation : trois fois oui.
    Bon allez, je vais assouplir mon propos, je me réjouie de cette tendance à la consommation collaborative bien sûr, mais ce que je veux souligner est que si cette dernière (consommation) n’est pas aussi celle de produits écologiques, bio, organic, recyclables, faits de matériaux sains, etc., sans impacts négatifs pour la planète et ses habitants, alors collaboration ou pas, je ne vois pas où est le vrai progrès. ;) À défaut d’être tout vert… le débat est ouvert.