Le droit de cité des ouvriersClés pour comprendre

10 septembre 2012

La libéralisation de l’économie planifiée du Vietnam a été récompensée en 2007 par l’adhésion de ce pays à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Depuis ce jour, les défis auxquels est confronté CDI, organisation partenaire d’Oxfam-Solidarité qui lutte pour les droits des travailleurs, n’ont fait que se multiplier.

Une approche innovante
En avril 2011, Oxfam-Solidarité s’associait avec l’ONG CDI. Ce nouveau partenariat est bâti sur un objectif commun : améliorer les conditions d’existence et les droits des travailleurs. L’approche du CDI est particulièrement innovante. Ils n’utilisent pas les canaux traditionnels mais organisent des réunions dans les dortoirs où vivent les travailleurs, des consultations juridiques mobiles et créent des kiosques d’information juridique dans les quartiers. Pour y parvenir, ils collaborent avec des organisations de masse telles l’Association des Avocats, l’Union des Femmes et des syndicats.
De son côté, Oxfam-Solidarité soutient l’approche du CDI en appuyant l’analyse du contexte national, régional et global, en facilitant le développement et l’intégration d’une stratégie « genre » et en promouvant le partage d’expériences avec d’autres organisations.
Joëlle Plumerel, gestionnaire de programme Asie du Sud-Est chez Oxfam-Solidarité

Compétition accrue, heures supplémentaires, salaires minimums dérisoires ne sont que quelques-unes des caractéristiques du secteur privé au Vietnam qui, depuis son adhésion à l’OMC, doit à tout prix participer au marché libre. Les ouvriers du secteur textile et de l’industrie de la chaussure, deux secteurs-clés de l’exportation vietnamienne, sont dans l’œil du cyclone. Les femmes comptent pour 85% des employés de ces secteurs, et 90% d’entre elles ont entre 20 et 25 ans.

Ces dix dernières années, l’industrialisation du Vietnam a provoqué un exode rural continu. La grande densité de population, les surfaces limitées de terres arables et le faible nombre d’emplois ont poussé principalement les jeunes femmes, souvent sans diplôme, à chercher un travail dans l’industrie florissante pour fuir la pauvreté des campagnes. Les deux pôles qui attirent le plus ces travailleuses sont la province d’Hanoï dans le nord et la ville de Ho Chi Minh.

Très peu de contrats fixes

Ngo Huong, présidente de l’organisation vietnamienne Center for Development and Integration (CDI), affirme que ces migrants qui travaillent dans les zones industrielles sont les plus vulnérables aux violations du droit du travail. « Ils ne connaissent souvent pas le contexte urbain, ni les conditions de travail dans les entreprises, et encore moins la législation qui est censée les protéger. »

Ngo Huong explique que les employeurs peuvent facilement contourner la législation sociale ou en matière d’assurance maladie. « La règle veut que les employés aient un contrat de minimum trois mois pour pouvoir être protégés par la loi. Par conséquent, le nombre d’ouvriers qui reçoivent ce type de contrat se compte souvent sur les doigts de la main. »

« En outre, il n’y a presque pas de mécanismes de contrôle ou de possibilité de signaler des abus. Le seul syndicat du pays, qui doit veiller au respect de la législation, est dépendant de la direction au niveau des usines, et du gouvernement au niveau national. Il n’est donc pas indépendant. Les ouvriers sont encouragés à adhérer au syndicat, mais très peu le font car ils ne se sentent pas protégés », poursuit Ngo Huong.

La solidarité s’installe dans les dortoirs

Ngo Huong : « À côté du syndicat, de nombreux réseaux informels existent pour soutenir les ouvriers migrants. Ces groupes se composent d’ouvriers originaires de la même région, ou de familles qui vivent dans les zones industrielles pour diminuer les coûts. Ils se prêtent mutuellement de l’argent et partagent les informations sur les emplois disponibles. »

« Le CDI stimule ce genre d’initiatives, surtout entre les travailleuses qui sont confrontées à des difficultés supplémentaires. À leur arrivée dans les usines, la position de ces femmes est encore plus difficile car, à la campagne, elles ont encore moins accès à l’information que les hommes. Elles ont donc besoin de plus de temps pour s’adapter au contexte urbain et sont donc plus vulnérables aux abus des employeurs : salaires plus faibles, harcèlement sexuel ou encore licenciements pour cause de grossesse. »

Ces filets sociaux alternatifs sont également importants pour les ‘ouvriers migrants informels’, qui effectuent de multiples tâches sans être enregistrés. « Il est très difficile pour le CDI d’entrer en contact avec ces personnes », raconte Ngo Huong. « Ils ne sont pas protégés par la loi et doivent donc, encore plus que les autres, faire face à des conditions de travail indignes. »

L’union fait la force

Au fil des années, l’organisation s’est concentrée davantage sur les droits des travailleurs, et plus particulièrement sur ceux des travailleurs migrants. « Un de nos objectifs principaux est de renforcer leur capacité à défendre eux-mêmes leurs droits. Nous avons créé un forum en ligne où les ouvriers peuvent poser leurs questions et qui remporte un franc succès. 100.000 questions et réponses ont déjà été postées sur le forum », raconte Ngo Huong.

À l’heure actuelle, le CDI est toujours la seule ONG au Vietnam à travailler autour de cette thématique. « Conclure des partenariats avec d’autres organisations est un défi énorme. La société civile vietnamienne étant très réduite, nous essayons de former des coalitions avec des ‘organisations de masse’ comme des groupements de femmes ou d’avocats. Bien qu’ il ne s’agisse pas d’ONG, cette collaboration est utile car les autorités officielles délivrent plus facilement des autorisations pour nos activités quand nous unissons nos forces avec des organisations plus connues. Ils bénéficient en outre d’un appui important dans de nombreuses provinces, appui dont nous pouvons profiter. »

Plus important que l’argent
Tran Thi Thanh Tam a 25 ans et est originaire d’une région côtière pauvre du Nord du Vietnam. Elle a rejoint la capitale Hanoï il y a quatre ans, en quête d’un avenir meilleur. Depuis lors, elle travaille dans une usine et loge avec 20 autres personnes dans une petite maison louée dans un village aux abords de la zone industrielle.
« Avant de participer au projet, les autres ouvrières et moi ne connaissions pas grand-chose à nos droits. Grâce aux activités du CDI, j’ai pu également me faire de nouvelles amies. Nous aimons nous réunir et discuter des différents aspects des lois du travail. C’est très important pour mes amies et moi. Je sais maintenant bien mieux quels sont nos droits et comment nous défendre quand ils ne sont pas respectés. Je sais quel est le salaire minimum et quelles sont les dispositions qui doivent figurer dans nos contrats. Je vais maintenant pouvoir partager ces informations avec les autres. »
Même si elle n’a pas toujours été enthousiaste, elle est devenue entre-temps un véritable leader pour les ouvrières. Elle travaille avec une trentaine de travailleuses réparties dans 18 usines différentes. Elle écoute leurs problèmes, en parle aux employeurs et se tourne vers le CDI pour toute assistance juridique.
« Au début, ce n’est pas facile de convaincre les autres de participer à des activités de groupe. Les ouvrières prestent de longues journées et doivent ensuite encore s’occuper des enfants. La plupart avaient également des doutes sur l’utilité du projet. J’arrivais néanmoins à les convaincre en leur disant ceci : ‘Ce que nous offrons est plus important que l’argent : des connaissances, de la joie, de l’affection, de l’appréciation, de la sympathie et du soutien.’ Petit à petit, le nombre de participants a commencé à augmenter. Ceci me remplit de fierté. »

Et Ngo Huong d’ajouter : « Il est très difficile de conclure des alliances avec des réseaux régionaux ou internationaux. Ils ont peu confiance dans les organisations vietnamiennes car il est de notoriété publique que notre société civile n’est pas très active. »

Comme une traînée de poudre

Comme le sujet des droits des travailleurs est très sensible, le CDI évite de trop attirer l’attention. Ils évitent les campagnes trop visibles et mettent beaucoup d’énergie dans leur forum. En même temps, ils essayent de se profiler discrètement comme une organisation-clé en matière de droit du travail.

« Nous essayons d’être représentés lors de réunions de réseau de travailleurs. Nous éditons des posters, flyers et fascicules informatifs traitant à chaque fois d’un thème spécifique. Le fascicule est publié sur notre forum et est disponible gratuitement dans nos kiosques, où les ouvriers peuvent venir poser leurs questions. Nous avons remarqué que ces informations se propagent comme une trainée de poudre parmi les ouvriers. »

Les ouvriers négocient avec les patrons

Le CDI tente également de sensibiliser les employeurs au droit du travail. L’organisation rassemble à cet effet suffisamment d’informations ayant trait à des cas de violations de ce droit pour pouvoir écrire des rapports, qui sont ensuite envoyés à de nombreux employeurs du pays.

« Quand nous avons des informations sur un cas spécifique nous essayons de promouvoir le dialogue direct », explique Ngo Huong. « Nous évitons de négocier directement avec les employeurs car nous n’avons pas de mandat pour le faire. En outre, notre philosophie est de renforcer la capacité des travailleurs à le faire eux-mêmes. Nous pouvons par contre faire des recommandations au syndicat afin qu’ils puissent guider le dialogue. »

La présidente du CDI souligne que la collaboration avec le syndicat est cruciale. Elle décrit la relation comme un des succès majeurs du CDI. « Grâce à nos actions de sensibilisation le syndicat comprend maintenant combien il est important de renforcer les capacités des travailleurs. Une attention particulière est également portée aux problèmes auxquels les femmes sont confrontées sur leur lieu de travail. Nous sommes connus auprès de plus en plus de travailleurs qui sont, grâce à nos publications, de mieux en mieux informés de leurs droits. »

Ngo Huong est convaincue que ces petits pas en avant peuvent provoquer des changements majeurs au niveau national. « Améliorer l’image des ONG vietnamiennes est crucial pour pouvoir tisser des alliances avec des réseaux internationaux. Nous devons pouvoir échanger nos expériences. »

Elena Dikomitis
Article publié dans la revue Globo (n°38 – juin 2012)

Photo : © Tineke D’haese/Oxfam-Solidarité

En savoir plus :
Site du CDI Vietnam: www.cdivietnam.org

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