Vertes vallées… et invisible pauvreté ?Clés pour comprendre

22 avril 2013

Etre pauvre à la campagne, c’est plus difficile qu’en ville : mobilité, logement, services, lien social… Des citoyens et des associations réagissent !

Magali a 34 ans et deux enfants. Elle est au chômage ; elle n’a pas poursuivi ses études au delà du secondaire technique et ne trouve pas d’emploi. Sa santé n’est pas au beau fixe ; son moral non plus – elle n’a guère de contacts sociaux. Les fins de mois sont difficiles. Magali correspond à peu de choses près au profil de « l’homme le plus pauvre de Wallonie » (1). A peu de choses près car il faut préciser qu’elle vit dans un petit village d’Ardenne.

L’Ardenne, la campagne ! Un milieu idyllique… Peu d’habitants, vastes étendues de forêts et de terres agricoles, verdure et chants d’oiseaux… mais – redescendons sur terre – aussi de nombreuses mutations. La ville grignote la campagne, les villages s’entourent de quartiers résidentiels peuplés de navetteurs (la rurbanisation). Des terres agricoles se transforment en parcs d’activités économiques ou commerciales ou encore en lotissements résidentiels. Le réseau routier facilite les déplacements en voiture. Et une pauvreté bien présente, même si elle est moins visible qu’en ville. Une pauvreté vécue différemment, souvent méconnue, qui demande des actions spécifiques de la part du pouvoir politique. En milieu rural aussi, le monde associatif est un levier indispensable de la lutte contre l’exclusion.

Assignés à résidence?

A la campagne, sans voiture, point de salut?

Comme d’autres villageois, Magali doit effectuer de longs et nombreux déplacements pour s’approvisionner, se soigner, effectuer des démarches administratives. Même si elle a son permis de conduire, ses revenus ne lui permettent pas d’acheter une voiture, sans compter les frais de carburant, de taxe et d’assurance qu’un tel achat entraînerait. Elle prend donc les transports publics qui se résument, à certains endroits, à deux bus par jour – un le matin et un le soir. Les petites gares, quant à elles, disparaissent l’une après l’autre, au fil des plans d’économies de la SNCB.

Cette rareté des moyens de transports collectifs lèse en premier lieu les personnes qui en dépendent étroitement, à savoir les seniors, les personnes en situation de précarité, les enfants et les adolescents. Sans réduction famille nombreuse, ces déplacements représentent vite un coût important.

Moins de services, moins de liens

« On peut passer des jours sans rencontrer personne. Avant les changements de la poste, le facteur avait un rôle social énorme » (2).

La tendance aux rationalisations et aux économies d’échelle a pour effet que les infrastructures, tant publiques que privées (commerces d’alimentation, distributeurs d’argent, écoles, bureaux de poste, CPAS, maisons de l’emploi, crèches, mutuelles, activités sportives, culturelles et de loisirs,…) se raréfient d’autant plus que la population est moins dense et plus dispersée qu’en milieu urbain. (3)

Il s’ensuit une perte du lien social et une augmentation de la solitude. Fini le bonjour du facteur à la vieille dame seule : il n’a plus le temps de s’arrêter et sa tournée change tout le temps (Géoroute oblige). Finie la papote dans la file à la permanence mutuelle : on glisse ses attestations dans la bouche muette d’une boîte-aux-lettres. Finies les petites nouvelles échangées avec la caissière de la superette : place au self-scan de l’hypermarché (si l’on a réussi à s’y rendre). Bien sûr, l’épicerie du village était un peu plus chère, mais cela épargnait les longs trajets à pied ou en bus (quand il y en avait).

Isolement, pauvreté : les personnes âgées sont particulièrement exposées

Les personnes âgées en milieu rural sont particulièrement exposées, elles qui nécessitent plus de soins médicaux (donc souvent des déplacements), qui se retrouvent isolées après le départ des enfants ou le décès du conjoint, pour qui un passage à la banque ou à la maison communale devient un défi. Rester vivre chez soi est encore plus difficile qu’en ville, où tous les services sont à proximité.

L’emploi en milieu rural : une denrée rare

« En milieu rural, les offres concernent les métiers peu qualifiés : du nettoyage, de l’Interim, dans l’Horéca ou le tourisme, les travaux forestiers et les jardins. Il n’y a pas d’emploi durable. Ces secteurs sont minés par le travail en noir ou saisonnier. Les horaires sont particuliers, variables. Il faut effectuer de gros déplacements. Les revenus sont petits. Il vaut mieux refuser » (Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté).

Car si Magali, par chance, décroche un emploi, il risque bien de lui apporter son lot de frais et de problèmes : comment s’y rendre, sans voiture ? Comment faire garder ses enfants ? A fortiori si les horaires sont atypiques (tourisme, nettoyage, commerce). Il lui faudra actualiser quelque peu sa garde-robe si elle est en contact avec du public… : encore des frais. Au final, travailler risque bien de lui coûter plus que son salaire…

Un toit pour vivre

« On ne trouve rien en-dessous de 500 €. Pour les jeunes qui veulent se mettre en autonomie, c’est un véritable désert. Ils ne sont pas prioritaires dans les logements sociaux, il y a très peu de studios, de petits appartements » (Aide en milieu ouvert à destination des jeunes)

La hausse du prix des terrains et des maisons, principalement dans les zones proches des pôles urbains, chasse les personnes les plus précarisées et transforme certaines communes en zones résidentielles pour navetteurs. Les logements à un prix accessible se trouvent dans des zones reculées, peu desservies par les transports publics et les différents services. Posséder une voiture y est indispensable. Ces logements sont souvent énergivores, peu isolés et parfois insalubres. Et dès que l’on s’approche d’une frontière, en particulier celle du Grand-Duché de Luxembourg, les prix flambent (4).

Louer, alors ? En milieu rural, 82% des logements sont occupés par leur propriétaire (5). Il y a donc un manque criant de logements à louer, alors que la demande continue de grandir, en raison de la précarité de l’emploi, du nombre croissant de familles monoparentales, etc.

Et le logement social ? Chaque commune ne se doit-elle pas d’en proposer à raison de 10% du parc immobilier ? La volonté politique n’est pas toujours au rendez-vous, ni les services et équipements nécessaires à des personnes qui n’ont pas nécessairement de voiture.

Faute de logement à la portée de leurs moyens, entre 10 et 15 000 de nos compatriotes vivent dans des campings ou parcs résidentiels. Choix pour les uns, dernier recours pour les autres…, ce type d’habitat ne va pas sans de nombreuses difficultés liées au caractère a priori touristique des infrastructures : accès permanent à l’eau et à l’électricité, aux services tels que la collecte des immondices, la poste ou les transports, sécurité des installations (chauffage).

10 à 15 000 personnes vivent dans des parcs résidentiels ou des campings (c)VEE

Souvent, il règne une ségrégation entre les gens « d’ici » – les habitants du village – et ceux des parcs résidentiels

Il a fallu attendre longtemps pour que les autorités communales et régionales reconnaissent cette façon d’habiter et prennent en compte les souhaits des premiers concernés (6). Car, si certains aspirent à un logement « classique », d’autres trouvent dans cet habitat des avantages non négligeables. Ils préfèrent une caravane où ils se sentent chez eux tout en ayant des contacts avec leurs voisins à un logement social presque insalubre, dont les parois ne protègent pas des bruits causés par les autres locataires.

« Tout le monde connaît »… Oui, mais…

En ville, les personnes qui rencontrent des difficultés financières peuvent vivre dans un certain anonymat. Côté pile : la solitude, l’indifférence, le manque de solidarité proche. Côté face : la discrétion, l’absence de stigmatisation. A la campagne, par contre, quand Magali va au CPAS ou se rend à la permanence de Saint-Vincent-de-Paul pour aller chercher un colis alimentaire, tout le village la sait. C’est que le contrôle social est puissant. On sait vite ce que chacun(e) fait. Une situation pas toujours facile à vivre. Au point que certains se replient sur eux-mêmes et renoncent à demander les aides auxquelles ils ont droit. D’autres trouvent des « trucs » : « Au CPAS, il y a deux portes, et on entre par celle de derrière, c’est plus discret. Et le colis alimentaire, on le met dans un sac du Carrefour, ni vu ni connu », témoignent des personnes de Beaumont.

D’autre part, les autorités locales ne reconnaissent pas toujours la pauvreté sur leur territoire. Elles préfèrent ne pas trop investir dans l’aide sociale de peur d’attirer des personnes en situation de précarité émanant de communes voisines.

Agriculteurs en péril (7)

Quant aux agriculteurs, ils ne constituent plus que 3% de la population active wallonne (contre 14% en 1950 (8) ). 22 % d’entre eux vivent sous le seuil de la pauvreté (2003), contre 15,3% de la population globale en 2013. Une ferme disparaît tous les trois jours en Wallonie. Entre 1977 et 2012, 76% des exploitations agricoles belges ont tout bonnement disparu (9).

Rien que dans le secteur laitier, 11% des producteurs ont mis la clef sous le paillasson entre avril 2012 et janvier 2013, asphyxiés par les dettes, pris à la gorge par des prix à la baisse sur le marché. En dix ans, les charges des agriculteurs ont augmenté de 40%, tandis que leurs revenus n’ont crû que de 6-7%. Agricall (10), asbl qui vient en aide aux agriculteurs en difficulté, reçoit 2000 appels chaque année, et compte 450 bénéficiaires de ses services gratuits : conseils, audits, aide psychologique.

Dans 75% des appels reçus, la question du suicide est abordée d’une façon ou d’une autre. Il n’y a pas de chiffres sur le suicide des agriculteurs en Belgique, qui reste un sujet tabou. Chez nos voisins français, on compte un taux de suicide plus élevé parmi les agriculteurs que dans n’importe quelle autre profession. “Si on le compare aux autres métiers, le risque est multiplié par deux et le phénomène semble s’accélérer”, souligne Jean-Jacques Laplante, médecin et directeur de santé à la MSA (Mutualité sociale agricole) en Franche-Comté (11).

“Pour un agriculteur, avoir des difficultés, c’est un constat d’échec. L’agriculteur pense qu’il ne sait pas gérer son exploitation alors qu’il n’arrive pas à être correctement rémunéré parce que le prix de ce qu’il produit ne couvre pas les coûts de production. On en arrive à un état d’épuisement professionnel où l’agriculteur se retrouve isolé devant ses difficultés.” (Laurence Leruse, Agricall) (12)

Les difficultés sont bien sûr liées au contexte que nous connaissons : crise globale, normes sanitaires en constante évolution et qui imposent des investissements énormes (et donc de l’endettement), pressions à la baisse sur les prix imposées par les grands distributeurs… Mais les exploitations agricoles sont particulièrement fragiles, « car elles reposent sur une, voire deux personnes », constate Agricall. « Un tiers des personnes qui arrivent chez nous a eu un accident de travail grave dans les cinq dernières années. Même si elles se sont rétablies de cet accident, ça a entraîné un ralentissement dans le travail, ou des problèmes de stress post traumatique. (13) »

Un certain machisme règne encore dans le milieu agricole

Il faut souligner la situation particulièrement vulnérable des femmes en milieu rural. Les femmes seules avec enfants souffrent plus qu’en ville d’isolement et de difficultés de mobilité, d’accès à l’emploi, etc. Mais aussi les femmes d’agriculteurs. Le statut de « conjointe aidante », qui était le leur jusqu’en 2005, ne leur donnait aucune sécurité en cas de séparation : elles se retrouvaient sans travail, sans argent et parfois avec la moitié des dettes de l’exploitation à éponger. Depuis 2005, l’épouse est cotitulaire de l’exploitation. Elle perçoit une rémunération et ce statut lui ouvre les droits sociaux identiques à tous les indépendants (maladie, pension, allocations familiales, etc.) (14). Mais un certain machisme règne encore dans le milieu agricole et certains hommes ont du mal à accepter cette égalité conquise au terme de 40 années de lutte de la part des agricultrices.

Voilà qui écorne quelque peu l’image carte postale de « la campagne » où les citadins aiment se détendre et respirer après une semaine de stress urbain.
Ce paysage peu bucolique n’est pourtant pas un fataliste aveu d’impuissance : citoyennes et associatives, des initiatives foisonnent pour recréer du lien entre les différents habitants des zones rurales. Un lien qui est le plus sûr moyen d’atténuer les difficultés rencontrées par ceux qui vivent avec peu de moyens dans nos vertes campagnes.

Informer et accompagner

Les personnes qui vivent dans la pauvreté en milieu rural ne bénéficient pas toujours de tous leurs droits, parce qu’elles ne sont pas au courant, parce qu’elles ne savent pas comment s’y prendre. Il convient donc de les informer au sujet de l’ensemble des aides et des services auxquels elles ont droit et accès.

Mais il faut aussi sensibiliser les décideurs politiques, les communes et l’ensemble de la population : la pauvreté en milieu rural appelle des mesures spécifiques à tous les niveaux de pouvoir. Pour ce faire, il faut avant tout se mettre à l’écoute des premiers concernés : ceux et celles qui vivent dans la pauvreté et les organisations dans lesquelles ils se rassemblent, comme le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté. Mais aussi les témoins privilégiés en raison de leur profession : aides familiales, infirmières à domicile, médecins généralistes, etc.

Côté agriculteurs, nous avons cité Agricall, mais des groupements comme la FUGEA (Fédération unie des groupements d’éleveurs et d’agriculteurs), la FWA (Fédération wallonne des agriculteurs) et sa branche féminine, l’UAW (l’Union des agricultrices wallonnes) jouent un rôle important d’information et d’action politique.

Pour ce qui est du monde rural plus généralement, on peut compter sur l’ACRF (Action chrétienne rurale féminine) ou Vie Féminine, mouvements d’Education permanente, pour rassembler les femmes et faire entendre leur voix dans les campagnes (et aussi lors des campagnes … électorales).

A la campagne, « faut qu’ça bouge » !

Favoriser la mobilité est une deuxième piste d’action importante. Face aux carences des TEC et de la SNCB – cette dernière privilégiant les grandes lignes et la grande vitesse, au détriment de la majorité des citoyens -, des initiatives, principalement associatives, prennent le relais. Ainsi, au Trusquin (15) (Marche), on fait d’une pierre deux coups : on fournit de l’emploi à des habitant(e)s de la région en les formant au métier de chauffeur-livreur, et on propose un transport (collectif) aux écoles, associations, CPAS, entreprises… Pour le transport individuel, on peut se tourner vers « Locomobile (16) », entreprise d’insertion mise en place par les communes de Marche et de Hotton.
Autre exemple : la centrale de la mobilité mise sur pied par le Groupe d’Action Locale du Pays des Condruses. Deux véhicules de 8 places et trois chauffeurs s’y relaient pour véhiculer les personnes qui en ont besoin. Ce service s’adresse prioritairement aux personnes âgées, aux mères seules, aux demandeurs d’emploi et bénéficiaires du Revenu d’intégration sociale. Ce service est financé à parts égales par la Région wallonne et l’Union européenne.

Créer de l'emploi et favoriser la mobilité

Mais si les gens ne peuvent se déplacer, pourquoi ne pas aller vers eux ? On connaissait le bus de la médiathèque, on a connu dans le temps l’épicerie mobile (ressuscitée dans le film « Le fils de l’épicier » [2007]). Certains boulangers font encore leur tournée en camionnette. Dans la Basse-Sambre (entre Namur et Charleroi), il y a maintenant la halte-garderie mobile : c’est le « Bébébus (17) ». Il fait halte chaque jour dans un local communal de la région ; parents et grands-parents peuvent y laisser en toute confiance les enfants de moins de trois ans, en échange d’une petite participation financière. Ce service s’adresse principalement aux parents qui n’ont pas accès aux modes de garde « classique » : demandeurs d’emploi, personnes qui suivent une formation, travailleurs à temps partiel, parents ou grands-parents qui ont besoin de souffler quelques heures. Pour peu que l’on trouve des véhicules écologiques, on peut imaginer ce système en milieu rural pour d’autres services comme les services administratifs ou les consultations médicales non urgentes.

Commerce de proximité

Faire ses courses au village, cela renforce le lien social entre les habitants, atténue les problèmes de mobilité (plus besoin de courir au lointain hypermarché), maintient de l’emploi et de la vie dans les villages. Mais comment faire ? Il faut agir ensemble, habitants et commerçants.

A Meix-devant-Virton, ça marche ! Lorsque l’épicière a pris sa retraite, une coopérative s’est créée pour reprendre l’activité, soutenue par la commune. Rapidement, des habitants (dont l’ancienne épicière) se sont proposés comme bénévoles pour faire vivre ce commerce de proximité, qui s’est progressivement tourné vers la production locale et/ou bio et/ou équitable.

Mais ce n’est pas tout : l’Epicentre est aussi à l’origine d’une monnaie locale, l’Epi, qui concerne toute la Lorraine belge (« et sa périphérie »). Cette monnaie, parallèle à l’euro, ne peut être acquise et dépensée que chez les commerçants de la région (18). Une façon de plus en plus répandue de favoriser l’économie locale. L’Epicentre a aussi été à l’initiative du réseau « Grosses légumes » qui commercialise des paniers bio via différentes épiceries de village.
Cette initiative qui intègre différentes dimensions (précarité, économie et agriculture locales, environnement) est aussi créatrice de lien social, un quatrième aspect particulièrement important pour les personnes en situation de précarité en milieu rural.

Du vivre-ensemble contre la pauvreté

Le Miroir Vagabond, à Marche-en-Famenne, est un de ces lieux où fourmillent les activités qui créent du lien entre les habitants de la région. Au départ simplement maison de quartier, « Le Miroir Vagabond » occupe aujourd’hui 35 personnes et propose, en vrac, des activités culturelles, d’éducation permanente, d’accompagnement social, de promotion du logement, d’alphabétisation, des cours de français pour étrangers, de l’orientation socioprofessionnelle… Sa fondatrice, Christine Mahy (19), souhaite créer des liens entre toutes les catégories de la population, pas seulement « les pauvres ». Notamment par l’organisation de manifestations culturelles populaires, comme le « Bitume festival » (théâtre de rue) la Parade des lanternes : les lanternes sont réalisées par les habitants lors d’ateliers organisés localement et tous se retrouvent pour une parade festive. Cette parade lumineuse éclaire désormais la manifestation de soirée organisée chaque 17 octobre par le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre la pauvreté.

A moins de 10 km de là, Barvaux-sur-Ourthe devient un haut lieu d’expérimentation tous azimuts. Au départ, l’asbl « Socrates » (20), une maison communautaire qui accueille des personnes en difficulté. Puis un jardin potager, un resto social, un bar-à-soupes, des « donneries », l’aménagement collectif de la place du village, avec des bacs à légumes publics (21), une fête joyeusement appelée « Pétillons », un festival artistique…

Ces deux initiatives – il y en a bien d’autres – nous parlent plus de vivre-ensemble que de lutte contre la pauvreté au sens strict. Pas de stigmatisation, pas de charité, mais du faire ensemble, fêter ensemble, créer ensemble… La où la géographie distend les liens, L’Epicentre, Le Miroir Vagabond ou Socrates en tissent, recréent de la solidarité de proximité, tout en donnant vie à des contrées où l’on a parfois l’impression « qu’il ne se passe rien ».

Economie : penser local

Pour encourager l’économie locale et favoriser l’emploi, le monde associatif n’est pas en reste. Les Entreprises de formation par le travail (EFT) ou des Organismes d’insertion socioprofessionnelle (OISP) existent aussi en milieu rural. Citons « Cent arbres sans toit », qui fournit du bois de chauffage et permet l’insertion socioprofessionnelle de personnes en difficulté ; ou « Le Trusquin », évoqué plus haut, qui propose des formations pour futurs éco-bâtisseurs, chauffeurs-livreurs-accompagnateurs, ferronniers-soudeurs et ouvriers environnementalistes. Nicole était femme d’agriculteur. A 40 ans, un divorce, et la voilà à Marche-en-Famenne avec ses deux enfants à charge, sans emploi et sans droits. Grâce au Trusquin, elle est devenue chauffeure-accompagnatrice.

Que serais-je sans toit?

Les communes ont un rôle important à jouer dans le domaine du logement, notamment par la mise à disposition de logements sociaux et de logements d’urgence. On l’a dit, elles ne respectent pas toutes le quota de 10% de logements sociaux imposé par la Région wallonne. Vu le vieillissement de la population, il conviendrait aussi d’innover en matière de logement : favoriser les habitats groupés, les logements modulables, intergénérationnels… qui permettent aux personnes âgées de rester chez elles tout en gardant des contacts sociaux avec d’autres générations.
Les Agences immobilières sociales, qui sont concentrées dans les zones urbaines, sont aussi à développer en région rurale.

Tout près, tout bon

Groupes d'achat : en direct du producteur

Faire vivre les campagnes, y créer de l’emploi, cela passe par la revalorisation des exploitations agricoles paysannes et familiales : de plus en plus d’initiatives se mettent en place pour cultiver dans le respect de l’environnement et vendre localement, sans passer par l’intermédiaire de la grande distribution. Vente à la ferme, paniers bio, groupes d’achats communs (GAC)… Chacun a la possibilité, qu’il habite en ville ou à la campagne, de prendre part à ce vaste mouvement qui consiste à raccourcir les circuits de distribution. Avantage : on sait ce qu’on a dans son assiette, on connaît et on soutient le producteur, on réduit l’empreinte écologique de sa consommation alimentaire. Les individus peuvent le faire, mais aussi les collectivités : écoles, administrations communales peuvent décider de faire appel à l’agriculteur local pour approvisionner la cantine (22).

Un argument courant à l’encontre de ces initiatives est qu’elles sont trop chères pour les personnes vivant d’un petit revenu. Un moyen de réduire les frais : participer par exemple à la récolte ; cela se fait dans certains GACS. Un coup de main précieux pour l’agriculteur, un moment de rencontre conviviale et d’apprentissage pour les acheteurs. Une autre piste est de développer des jardins partagés dans les écoles, sur les terrains communaux, via le CPAS notamment…

Conclusion

On le voit, le milieu rural pose des problèmes spécifiques en matière de précarité et de pauvreté. Mais, au vu du bref aperçu qui précède, on voit aussi que des solutions existent. Souvent, elles ne demandent pas d’énormes moyens : juste un peu de volonté politique et/ou citoyenne, un peu d’imagination et de créativité… Elles impliquent aussi de se mettre ensemble, de sortir du chacun-pour-soi ambiant. Une démarche non seulement efficace, mais aussi porteuse de sens et de bien-être.

Henri Roberti et Isabelle Franck, Vivre Ensemble Education, 2013
Pour télécharger cette analyse, rendez-vous sur www.vivre-ensemble.be

Photos : Vivre Ensemble (sauf première : Réseau IDée)


(1) « L’homme le plus pauvre de Wallonie est une femme », Cherenti R., Mesure anthropométrique de l’Homme le plus pauvre de Wallonie, Fédération des CPAS, UVCW, janvier 2010.
(2) Aide en milieu ouvert à destination des jeunes, cité dans Stéphanie Linchet, « La pauvreté en milieu rural en Région wallonne » sous la coordination scientifique de Marie-Thérèse Casman (Université de Liège, août 2011).
(3) Bodson F., Des commerces et des services à proximité en milieu rural. Action
Chrétienne Rurale des Femmes, 2007.
(4) Voir « Province de Luxembourg et pauvreté », analyse de Vivre Ensemble 2009. www.vivre-ensemble.be/?Province-de-Luxembourg-et-pauvrete
(5) « Se loger en milieu rural, un défi » par Françoise Warrant et Françoise Ansay, ACRF, série milieu rural, 2006.
(6) Voir « Dis, tu crèches où ? », Etude de Vivre Ensemble, 2005, p. 28 : http://oua.be/ubj et le Plan « Habitat permanent » en Wallonie : http://oua.be/ue5
(7) Voir l’analyse de Vivre Ensemble « Agriculteurs : exploitants ou exploités ? » http://oua.be/ueu
(8) L’agriculture en évolution, Collectif stratégies alimentaires, 2008.
(9) http://www.apache.be/2012/12/14/les-chiffres-inconnus-du-suicide-chez-nos-agriculteurs-belges/
(10) www.agricall.be
(11) http://www.apache.be/2012/12/14/les-chiffres-inconnus-du-suicide-chez-nos-agriculteurs-belges/
(12) Ib.
(13) « La pauvreté en milieu rural en Région wallonne » sous la coordination scientifique de Marie-Thérèse Casman (Université de Liège, août 2011), p. 29.
(14) Pour plus de détails, voir http://oua.be/vi2 (lien raccourci vers page du site de l’Union des Classes Moyennes).
(15) www.trusquin.be
(16) Voir http://oua.be/ujm (lien raccourci vers une page du site de la commune de Marche).
(17) Service mis en place par le Groupe d’animation de la Basse-Sambre (GABS). Voir http://www.sombreffe.be/enfance-enseignement/petite-enfance/bebebus
(18) Voir http://oua.be/uuk, lien raccourci vers le site de l’Epi lorrain.
(19) Aujourd’hui présidente du Réseau belge de lutte contre la pauvreté et Secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté.
(20) Voir le blog : http://jardins-et-reseaux-solidaires-et-equitables.skynetblogs.be/ et le site www.petillons.be
(21) Dans l’esprit des « Incredible Edible », les « Incroyables comestibles » : http://incredibleediblebelgium.wordpress.com/
(22) Voir, à ce sujet, le film de Jean-Paul Jaud, « Nos enfants nous accuseront ».

Sources : outre les publications citées en notes, voir
- « La pauvreté en milieu rural en Flandre et en Wallonie » de C. Mathiyssen. Ed. Cera, 2012.
Voir aussi 2 analyses de Vivre Ensemble Education :
- Agriculteurs : exploitants … ou exploités ? (2010-07)
- Les agriculteurs face à la précarité. (2005)
Et les publications de l’ACRF (www.acrf.be)

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