La ferme du Hayon : expérimentation et autonomie pour une bio à visage humainReportages

6 novembre 2013

Parmi les fervents défenseurs d’une agriculture biologique, écologique et solidaire, Marc Van Overschelde, de la Ferme du Hayon, figure certainement en bonne place. Baigné depuis son enfance dans l’ambiance et les travaux de la ferme, il n’a eu de cesse de faire évoluer ses projets agricoles au gré des rencontres et des échanges. Au cœur de son travail : la recherche de l’autonomie de la ferme et une curiosité intacte pour le vivant.

Sa passion est née dans l’enfance et au travers des rencontres. Car c’est à la ferme que Marc a grandi et a forgé son envie de devenir agriculteur. « C’est un métier touche à tout. Il n’y a pas de routine. Entre la préparation du fourrage, le contact avec les bêtes, la gestion des bâtiments, la mécanique, la transformation de produits agricoles, il n’y a pas deux jours la même chose », nous explique-t-il. À la fin de ses études, il commença à travailler avec son père sur la ferme familiale, à Méan. Cette collaboration de quinze ans fut propice à une série d’évolutions…

D’autres réalités pour faire évoluer la ferme…

« Au sortir de l’école, j’étais formaté pour bien utiliser les services de l’agro-industrie et absolument pas pour conduire une ferme en autonomie », nous relate Marc. Son esprit critique va s’aiguiser au fil des ans et des contacts ; ceux avec des agriculteurs de pays du Sud, par exemple, furent particulièrement inspirants pour cet amoureux de la nature.

« J’ai pu voir d’autres réalités, ça m’a ouvert les yeux », se souvient-il. « Par exemple, un des agriculteurs disait qu’il ne coupait pas les fleurs des pieds de tomate si elles allaient porter des fruits, au point que la plante ressemblait à un arbre buissonnant. Et tout ça, motivé par un profond respect de la vie et non par une volonté de maximiser les rendements. Ou encore, un exemple me revient où des conseils agronomiques avaient été prodigués à certains paysans sur le repiquage du riz qui permettait de doubler le rendement. Cela a conduit ceux-ci à réduire de moitié la surface de riz cultivée et non pas à produire le double, comme on l’aurait fait chez nous… »

Ces rencontres ont profondément touché Marc et l’ont conduit à faire évoluer sa ferme. En 1982, le passage à l’agriculture bio s’amorce, en commençant par deux hectares de blés. Et, vers la même époque, il développe un outil collectif de commercialisation des produits paysans avec, notamment, Daniel Cloots : la fermière de Méan. L’objectif de cette coopérative : permettre aux producteurs d’avoir quelque chose à dire dans la distribution de leurs produits.

L’humain au centre du projet

Riche de ces expériences et toujours désireux d’expérimenter de nouvelles choses, tant dans la production que sur le plan humain, Marc s’est lancé en 1997 dans le projet communautaire de la Ferme du Hayon, à Sommethone. « Faire la ferme seul ou en famille, ça ne m’intéressait pas, nous explique-t-il. J’avais eu des contacts avec la communauté de Longo Maï – littéralement « que ça dure longtemps », en provençal – et je m’étais dit que soit je m’installerais là-bas, soit j’essaierais de faire quelque chose de similaire ici ». C’est donc inspiré par des valeurs d’autogestion, d’autonomie, de liberté et d’échanges qu’il débute le projet avec Bernard, Françoise, Mano et Stéphane. « On vivait bien : on arrivait à avoir quatre salaires de vingt-cinq mille francs net par mois et par personne, on avait une voiture commune, on produisait notre alimentation… »

Paradoxalement, les réticences des banques quant à leur projet étaient davantage orientées sur la commercialisation de leurs produits – ils misaient tout sur la vente direct – que sur d’autres facteurs. « Or le vrai risque dans ce genre d’initiatives, c’est le facteur humain ! Et les banques ne prenaient pas du tout ça en compte… Après trois ans, on a vécu une première crise… et des départs. » Mais sur le plan de la commercialisation, aucun problème par contre ! La demande de produits en circuits courts ne faisait que croître, dans un contexte de crise de confiance du consommateur due à l’affaire de la dioxine en 1998.

Depuis, l’expérience humaine s’est poursuivie au Hayon, la ferme continuant à être un véritable lieu d’apprentissage et d’échange tout en évoluant vers une dynamique plus collective que communautaire. Depuis 2010, ce sont Philippe et Valérie qui se sont installés au Hayon et qui élèvent des chèvres. « L’idée, c’est désormais plus de partager le matériel et la surface disponible au sein d’une coopérative de services, nous explique Marc. » Sur la cinquantaine d’hectares de la ferme, quinze sont désormais consacrés à l’élevage des chèvres – onze en prairies, quatre en luzerne – et prennent place dans la rotation générale des terres de la ferme. Un contrat de collaboration prend en compte l’utilisation commun du matériel agricole.

Et la production agricole dans tout ça ?

À côté des dynamiques sociales en présence dans et autour de la ferme, l’activité agricole s’est aussi organisée autour d’une réflexion profonde sur le rôle de la ferme en milieu rural. « Là où les gens savent faire leurs légumes, élèvent leurs propres poules, quel est le rôle de l’agriculteur ? Que doit-il produire, s’interroge-t-il ? Je crois que notre rôle c’est de s’occuper du gros élevage et de faire du fromage, de produire des céréales et des pommes de terre… Nous devons créer un véritable organisme agricole dans lequel chaque élément vivant a une place. »

La répartition du travail au sein de la ferme a évidemment évolué en fonction des personnes présentes. « Les animaux domestiques sont liés à une personne, nous révèle Marc. Moi je me suis occupé des vaches allaitantes alors que Bernard, par exemple, soignait les laitières. Il y a de l’intuition dans l’élevage, du relationnel avec l’animal ; ce n’est pas qu’un potentiel économique. Tu prends du plaisir à être avec eux, à les connaître… »

Cette curiosité face au vivant, Marc l’a aussi cultivée face aux céréales et elle a nourrit son esprit frondeur. « Les semences que propose l’agro-industrie ne sont pas correctes. Il faut des blés qui correspondent au terroir, insiste-t-il. Et c’est la même chose pour les graminées fourragères ! » Il achète, par conséquent, très peu de semences, préférant recourir largement à l’autoproduction et occasionnellement à des échanges. « Tout ce qui est interdit, ça me plait, sourit Marc ! C’est de la désobéissance civile. » En plus, les clients sont amateurs de ces blés anciens ! Quand ils ont goûté à ces farines, ils n’en veulent plus d’autres.

Préparer l’avenir de l’agriculture

Depuis plusieurs années, Marc s’implique, à son échelle, dans le Réseau Semences Paysannes. La distance et les travaux quotidiens de la ferme réduisent ses possibilités d’investissement. Mais la retraite approchant, Marc espère pouvoir mettre ses années d’expérimentation et sa sensibilité dans un travail plus approfondi autour des semences. Une façon de rester actif quand le travail physique devient trop pénible… Une manière aussi de continuer à faire vivre ses valeurs avec, à l’avant plan, l’autonomie des paysans et le respect du vivant.

« L’agro-industrie et les banques nous ont volé notre autonomie. Tout ce qui était rentable – les machines, les intrants, les semences -, ils nous l’ont pris ! Il n’y a peut-être plus qu’un pour cent de la population active dans l’agriculture, mais chaque agriculteur fait certainement vivre trois à cinq travailleurs en plus ! » Reconquérir l’autonomie est désormais crucial pour les agriculteurs épuisés par le système.

Et il en va de même pour la terre, les végétaux et les animaux ! « Ils sont fatigués de l’exploitation, regrette Marc. » Et de poursuivre : « le monde du vivant est sous tension : on veut tout contrôler d’une part et on vous parle de biodiversité d’autre part ! On a affaire à des courants, des paradigmes qui sont en totale opposition. »

Le système agricole dominant met sous pression tant les êtres humains que les autres organismes vivants. Il s’agit donc de trouver désormais d’autres façons de produire qui garantissent le respect du vivant : tant le sol que les végétaux, les animaux et les êtres humains. L’expérience de la Ferme du Hayon peut, à ce titre, être source d’inspiration pour d’autres.

Sophie Maerckx et Hélène Deketelaere
Article paru dans la revue Valériane de Nature & Progrès, n°104, novembre/décembre 2013

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