Un puzzle pour quelle image du futur ?Clés pour comprendre

1 octobre 2014

Nombreuses sont les personnes qui posent le constat que le monde est améliorable. Cette constatation ne laisse pas chacun désarmé. Les initiatives foisonnent pour faire en sorte de le changer… en mieux.

L’innovation contre le système

L’éclatement de ces propositions, témoigne du dynamisme « politique » de certaines franges de la population, ainsi que de sa ferme volonté d’identifier des solutions innovantes à des problèmes générés par un système qui lui semble « fermé ». Il peut par contre paraître un facteur d’inefficacité globale. En effet, que se passerait-il si les personnes investies dans ces projets alternatifs se regroupaient et investissaient leur enthousiasme dans une action politique « classique » ? La visibilité de ces revendications serait probablement considérable et le rapport de forces ne lui serait pas forcément défavorable.

Ce serait toutefois oublier que de nombreuses actions émergent précisément parce qu’est rompue la confiance dans la capacité du pouvoir politique d’apporter les solutions souhaitées. En outre, le dispersement des initiatives rend difficile leur regroupement. L’absence de fédération permet en outre à chacun de continuer à cultiver sa différence, en dehors d’un projet global.

On assiste ainsi bien souvent à un fractionnement des initiatives en sous-tendances, voire en micro-points de vue qui ne rendent pas forcément aisée la conception d’un éventuel programme commun.

De l’action avant toute chose

La fable du colibri
Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! » Et le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part. »
Version du site du collectif Colibris

Au moins les gens peuvent-ils trouver là un large choix d’engagements personnels. L’invitation à l’action est claire, voire valorisée à l’extrême. Le succès rencontré par Pierre Rabhi (pionnier de l’agriculteur écologique, philosophe, auteur), reprenant la légende amérindienne des colibris (voir ci-contre), en témoigne : ce qui compte, désormais, c’est d’agir !

Cette primauté de l’action ne va pas sans poser quelques questions. La première question porte sur la pertinence de l’action. Dominique Pire (fondateur de l’ONG Iles de Paix) avait coutume de dire : « Savoir sans agir est une lâcheté, mais agir sans savoir est une imprudence ».

Il importe d’examiner attentivement les différentes actions proposées, afin d’en estimer la pertinence et les éventuelles conséquences. Ceux qui ont réclamé le développement des agrocarburants pour diminuer la consommation des énergies fossiles ont favorisé la culture massive du colza. Ce sont souvent les mêmes qui dénoncent aujourd’hui la déforestation ou le détournement de terres agricoles initialement consacrées à des cultures vivrières ?

La deuxième question porte sur l’efficacité globale des actions proposées. La carte est si variée que chacun qui souhaite « agir » trouvera chaussure à son pied en minimisant l’effort consenti. Les mauvaises langues diront qu’il s’agira de s’acheter une bonne conscience au meilleur compte possible. Toutefois, si c’est le petit consommateur de viande, et non le gros, qui devient végétarien, si c’est le petit épargnant, et non le gros, qui investit dans l’épargne solidaire, l’effet global risque de demeurer limité, bien en deçà des réponses collectives qui doivent être apportées pour faire face aux périls annoncés. En cela, l’éparpillement des initiatives présente un risque d’inefficacité globale, au-delà de celui lié au fait qu’aucune d’elles n’atteint une échelle significative pour faire la différence.

Un certain nombre d’acteurs ne visent que leur épanouissement personnel. On ne peut toutefois occulter que leur action – même individuelle, même locale – compte. Leur pierre, même involontaire, s’ajoute aux autres. C’est le sens du « Penser global, agir local » qui confère à la démarche une dimension collective, « politique ».

Rassembler les pièces du puzzle

Un écueil de cette réalité est de disposer d’un certain nombre de pièces de puzzle ayant chacune sa propre logique, mais dont on ignore si elles s’emboitent les unes dans les autres et participent d’une même image commune. Ces initiatives ayant émergé en réaction à un système dont on dénonçait particulièrement telle ou telle lacune ne sont pas les différentes facettes d’une réponse globale, complète, cohérente.

Si elles semblent à première vue participer d’une même intention vertueuse, elles ne répondent pas toutes aux mêmes préoccupations prioritaires et ne sont donc pas toutes liées les unes aux autres de manière univoque.

Ainsi, par exemple, la volonté de soutenir l’accès de tous les êtres humains à des conditions de vie digne en développant un commerce équitable se heurte-t-elle à la volonté de préserver l’environnement en privilégiant la consommation de produits locaux. Les objectifs de la coopération au développement et de la protection de l’environnement sont souvent communs (lutte contre le changement climatique dont le Sud est la première
victime, agriculture plus respectueuse de l’environnement comme réponse au défi alimentaire), mais ce n’est pas forcément toujours le cas.

La mutation de nos existences aura un certain effet au niveau mondial, notre train de vie prescrivant encore (un peu) l’idéal qu’envient de nombreuses sociétés. C’est probablement une bonne raison d’envisager des changements personnels. Une autre raison est que ces initiatives participent à ré-enchanter la vie de ceux qui y adhèrent. Or l’optimisme et la confiance dans un avenir meilleur sont favorables à sa construction.

Le monde ne permet pas encore à chacun de vivre dans la dignité et de développer ses potentialités. Il reste donc encore du travail, qui nécessite un engagement du plus grand nombre. Le refus de la fatalité que l’on observe dans ces mouvements est une arme précieuse pour changer le monde. Certes, il faut se poser des questions sur ce foisonnement d’initiatives, mais elles ne peuvent servir d’excuse à l’inaction.

Laurent Deutsch

Article publié dans Transitions (n°104, septembre 2014), magazine des Iles de Paix

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