Potager à l’école pour renforcer les liens sociauxReportages

13 avril 2015

La jolie école de Freux a été rénovée il y a quelques années. A l’écart du village mais pas trop, elle occupe un magnifique ensemble architectural qui comprenait jadis maison communale, écoles et habitations. A l’arrière, protégée par des murs de pierre, s’étend plus de terre qu’il n’en faut pour cultiver et même un peu plus loin sur la gauche, un petit espace de forêt où l’on peut aller à l’aventure. Une chance unique pour des enfants qui viennent pratiquement tous du village et se répartissent en deux classes primaires et une classe maternelle.

Au fin fond de la Haute-Ardenne, là où la nature est souvent trois semaines en retard par rapport à Namur, Liège ou Bruxelles, nous bavardons longuement avec Madame Véronique, en charge des petits de la maternelle de l’école de Freux… « Nous avons démarré en 2013, explique-t-elle, à l’occasion d’un projet intitulé Bouger avec votre commune, lancé par Ethias. Nous en avons d’abord parlé avec les enfants qui se sont montrés très motivés et ont imaginé des plans avec ce qu’ils auraient aimé réaliser : hôtels à insectes, mare, etc. Le concours a bien eu lieu mais nous n’avons malheureusement pas gagné. La déception nous a cependant mobilisés encore un peu plus et nous nous sommes lancés sans le moindre sou. La commune nous a soutenus et nous a, malgré tout, trouvé un petit budget. Les enfants étaient enthousiastes, l’équipe de l’école a beaucoup réfléchi et voilà comment est parti le projet.

L’ancien directeur, qui était justement pensionné, quittait son logement. L’intégralité du bâtiment était désormais occupé par notre école et nous trouvions dommage de disposer d’un espace aussi beau à l’arrière et de ne rien en faire. Nous avons donc sollicité l’aide des parents pour les installations et les infrastructures. La commune est à mouveau intervenue : la petite mare, par exemple, a été installée par des ouvriers communaux. Il y a également d’anciennes couches qui sont là depuis toujours mais il manque malheureusement les châssis… »

Un programme pédagogique pour toute l’école ?

Durant la première année, la maternelle se centra sur la culture des potirons dans le but d’organiser un petit marché ; le premier cycle de primaire installa, quant à lui quatre carrés de plantations : aromatiques, fraisiers, fleurs à manger, etc. « L’année dernière, poursuit Madame Véronique, nous avons surtout mis des pommes de terre. Et quelques oignons car il restait de la place… Nous nous sommes lancés en profitant au maximum de l’aide et des conseils qu’une « grand-maman » du village a bien voulu nous prodiguer ; un papa est même carrément venu nous aider à planter. Nous n’avons pas encore de projets précis pour 2015 mais peut-être devrons-nous davantage nous organiser en fonction des récoltes souhaitées ? Nous avons songé à cultiver des fleurs, toujours dans l’optique de les proposer sur un petit marché. Mais est-ce que l’attrait restera le même si nous ne produisons plus de légumes dans le but de les manger ? C’est une question importante. La finalité du projet – éduquer à une production alimentaire de qualité ou vendre quelque chose à l’occasion d’un marché – conditionne grandement la démarche pédagogique. Elle peut devenir très différente d’une année à l’autre et toute l’équipe doit bien y réfléchir. L’année passée, avec les pommes de terre, nous avons pu montrer aux enfants qu’il y en avait de différentes sortes, pour différents usages… Devons-nous partir maintenant dans des directions très différentes ou, au contraire, nous recentrer ; utiliser, par exemple, le calendrier des légumes de saison pour prévoir nos activités ? C’est vraiment l’école toute entière qui doit y réfléchir en fonction des objectifs qu’elle poursuit et du projet pédagogique qu’elle entend mettre en place. Il est sans doute également possible, en fonction du programme à voir avec les enfants, d’exploiter différemment le jardin… »

Sans doute serait-il intéressant que les enseignants acquièrent d’abord une certaine expertise du potager – expérimenter quelques légumes faciles à cultiver pendant deux ou trois saisons – afin de pouvoir déterminer plus clairement l’exploitation pédagogique qu’il leur paraîtra intéressant d’en faire, dans le long terme, et qui puisse accompagner l’enfant depuis son entrée en maternelle jusqu’à sa sortie de sixième primaire. Aujourd’hui, de plus en plus d’écoles se découvrent un intérêt nouveau pour le potager comme outil pédagogique mais paraissent souvent désorientées face à la multitude des pistes possibles qui s’offrent à elles pour l’exploiter.


Des patates et des oignons, mais aussi des poireaux et des carottes…

« C’est un sujet d’actualité, dit Madame Véronique ; notre inspecteur aussi nous conseille de travailler davantage à partir du terrain et il serait dommage de ne rien faire avec le magnifique espace naturel dont nous avons la chance de disposer. Jardiner, c’est riche et motivant mais plutôt complexe à mettre en musique dans le temps dont dispose une école. Les jardiniers compétents se soucient peu de nos objectifs pédagogiques et arrivent difficilement à se mettre dans les conditions réelles de l’école ; inversement, nous les enseignants ne possédons pas toujours toutes les ficelles du jardinage… De plus, associer d’autres acteurs est également indispensable : parents et grand-parents, communes, etc. Les parents sont très sensibles à une démarche concrète et beaucoup viennent spontanément faire un peu d’entretien, en été, ou juste voir comment les cultures évoluent, ou encore montrer de petites choses aux enfants… Peut-être faut-il les laisser venir davantage et moins chercher à diriger ? Nous nous rencontrons, durant l’été, pour nettoyer le jardin. Les parents sont sollicités pour donner un petit coup de main et nous organisons différents ateliers pour les enfants : peinture, confitures et, bien sûr, jardinage. Les gens viennent naturellement animer ce qu’ils connaissent le mieux. Ces ateliers d’été marchent très bien dès que les parents répondent présent et il n’est même pas nécessaire de réunir toute l’équipe de l’école pour les organiser. C’est aussi la cohésion sociale du village qui sort renforcée de ce type de collaboration. Nous n’avons plus de comité de parents, faute de motivation, et c’est une chose que je regrette. Mais peut-être le projet de potager est-elle une bonne opportunité pour le faire redémarrer ? Aujourd’hui, on n’aime plus trop se réunir, juste pour se réunir. Par contre, s’il y a un projet précis à la clé comme l’animation d’un jardin, avec des tâches spécifiques en fonction de l’âge et des compétences des enfants, cela peut être tout différent… »

Eh oui, planter des oignons, avec des distances à respecter, c’est parfait pour un cours de calcul en primaire ; planter un haricot, qui sort très vite de terre, c’est très stimulant pour un enfant qui aime connaître la conséquence de ce qu’il entreprend… « Nous en avions mis quelques-uns, l’an dernier : nous n’avions pas pris assez d’oignons et de pommes de terre pour l’étendue dont nous disposions. Ils ont pu, sans trop de peine, être « abandonnés » pendant l’été pour être récoltés au mois de septembre… Tout cela a finalement servi à faire un souper : pommes de terre au gratin, purée et même patates rissolées. Tout cela préparé en classe avec des mamans qui ont beaucoup aidé. Bien sûr, c’est très gratifiant de préparer ce qu’on a cultivé… Il y avait aussi quelques poireaux, comme il restait de la place sur le terrain, nous en avons fait du potage. Nous avions aussi quelques carottes… »

Dès le mois de mars, Madame Véronique se promet d’aller revoir la providentielle « grand-maman » qui l’a si bien aidée et qui a un si grand jardin. Peut-être les grand-parents sont-ils, au fond, encore plus aisés à motiver que les parents ? Ils sont certainement plus disponibles et peut-être même plus compétents ? Allez savoir…

D’autres articles à ce sujet dans le magazine d’éducation à l’environnement Symbioses. Notamment les dossiers « Cultiver en ville » ou « Alimentation : production« . Ces dossiers proposent par exemple :
- un article de réflexion L’arrosoir, un outil pédagogique? (pdf)
- une activité pédagogique sur les potagers en carrés (pdf)
- ou encore des outils pédagogiques et des adresses utiles
qui permettront aux enseignants et éducateurs de se lancer dans la démarche de création d’un potager à l’école.
N’hésitez pas aussi à contacter l’asbl Réseau IDée qui vous aiguillera dans vos recherches.

Jamais en panne de projets…

Madame Véronique évoque maintenant un projet d’activités sensorielles à mettre en place au potager : un circuit « pieds nus », dit-elle, pour que les enfants expérimentent diverses textures. Pourquoi ne pas accompagner ce parcours de plantes, lisses ou rugueuses, piquantes ou plaquantes ? « Dans le premier cycle, dit-elle – troisième maternelle, première et deuxième primaire -, toutes les questions fusent tellement les enfants restent spontanés. Et il est possible d’en traiter beaucoup car l’enseignant est moins tenu par les matières à voir. Les plus grands, eux, peuvent intervenir sur des questions plus spécifiques, avec des consignes plus compliquées : mesurer des surfaces pour placer des bâches, ou des choses comme cela… L’intérêt d’un potager, c’est évidemment que les enfants perçoivent immédiatement l’intérêt pratique de ce qu’on leur apprend : une planche au potager, c’est un rectangle. Et, pour beaucoup, cela se retient mieux en l’apprenant par le jeu et par l’usage, dans un jardin par exemple, qu’en manipulant des formes abstraites dans une salle de classe… »

Bon, un jardin c’est bien. Mais que faire d’octobre à mars, pendant la longue saison creuse où la nature sommeille en Haute-Ardenne ? « Il faut bien y réfléchir, concède Madame Véronique, pas mal de projets nature pourraient quand même être imaginés, directement dans le jardin potager, ou juste à proximité. Ou même carrément ailleurs… »

Dossier préparé par Philippe Delwiche, Désiré Grévisse et Dominique Parizel, avec l’aide d’Hélène Deketelaere et de Jürg Schuppisser
Cet article a été réalisé dans le cadre du dossier « Un potager à l’école? » paru dans la revue Valériane n°102, mars-avril 2015

Le commentaires sont fermés.