« Aujourd’hui, les enfants, on va apprendre à utiliser une carte. Commencez par trouver le point de départ sur votre carte. » Deux par deux, les élèves de 3e maternelle de l’école du Sacré-Cœur d’Ecaussinnes font glisser leurs doigts sur le tracé de couleur sillonnant leur carte plastifiée. Leur institutrice, madame Myriam donne les consignes. Elle est accompagnée de deux mamans d’élèves pour cette journée que toutes et tous passeront dehors. Une grande balade qui démarrera à l’église jouxtant l’école et se terminera sur la Grand-Place du village. Thème du jour : la rivière. Les élèves suivront le trajet de la Sennette qui traverse Ecaussinnes.
Au fil de l’eau et des rencontres
Plusieurs arrêts rythment la promenade, aux abords de la ligne de chemin de fer (cette mystérieuse « ligne rayée » repérée sur la carte, puis observée de visu), près du pont (et identifier les « crochets » le représentant sur la carte), devant le nom d’une rue, puis d’un autre (et tenter de reconnaître les lettres pour repérer la rue sur la carte), au bord de la Sennette (et remarquer dans quel sens va le courant, puis y faire flotter un petit bateau-radeau fait de bouchons)… Face aux enfants débordant d’énergie, l’institutrice rappelle parfois à l’ordre et demande le silence : « Ecoutez et regardez ce qu’il y a autour de vous… Ça fait partie de la balade. » « Moi j’ai entendu un coq ! », lance une petite fille. « Regardez le tracteur avec plein de patates dedans ! », crie son comparse.
La classe fait une halte dans le jardin d’un habitant du village. Sa maison longe la Sennette. Aux enfants attentifs, le villageois raconte la rivière d’hier et d’aujourd’hui. « C’est important d’entretenir ce patrimoine auprès des jeunes générations », glisse-t-il alors que les élèves reprennent leur chemin, direction le lieu de collation. Lieu qu’ils doivent trouver eux-mêmes à l’aide d’une photo brandie par leur institutrice.
Tout au long du chemin, madame Myriam tire derrière elle une petite chariote en bois, avec tout son matériel et des bassines pour le lavage des mains (une attention redoublée en cette période de Covid) avant chaque moment de collation et de pique-nique. Les enfants ont dans leur sac, outre de quoi boire et manger, une gourde dédiée à l’eau pour se laver les mains. Ils ont aussi chacun et chacune un « sac à trésor », en tissu, dans lequel ils ont le loisir de glisser les découvertes de la nature glanées sur leur route.
Afin de favoriser la pratique de la sortie nature en Belgique francophone, le collectif Tous Dehors réunit des acteurs et actrices de terrain, enseignants et enseignantes, animateurs et animatrices… Sur son site web, vous trouverez des ressources utiles pour toute personne qui souhaiterait se lancer dans l’aventure. En pleine crise Covid, le collectif Tous Dehors a également publié une carte blanche intitulée L’école dehors, une solution sanitaire et salutaire rappelant l’importance (d’autant plus criante en cette période) des classes du dehors, leur intérêt pédagogique et leur rôle dans le développement de l’enfant. Lire également l’article L’après confinement : Sortir, enfin, et faire école dehors, en p.5 du magazine SYMBIOSES n°127.
>> collectif Tous Dehors : www.tousdehors.be
Ecole du dehors
Chaussures de marche, vestes de pluie, bonnets, écharpes… A la demande de leur institutrice, les enfants sont bien équipés pour passer la journée dehors par tous les temps. « Il n’y a pas de mauvais temps, il n’y a que des mauvais vêtements », précise l’enseignante, qui reprend là l’adage des adeptes de l’« école du dehors ». L’école du dehors n’est autre que le nom de cette pratique qui se répand dans les écoles de Belgique et d’ailleurs. L’inspiration vient de Suisse (avec la pionnière Sarah Wauquiez) et des pays scandinaves. Depuis quelques années, le collectif Tous Dehors (lire encadré ci-contre) est à l’œuvre en Belgique francophone pour favoriser cette pratique de la sortie en nature. Les projets d’accompagnement scolaire par des associations spécialisées font désormais carton plein.
L’école du dehors, madame Myriam la pratique quant à elle depuis quatre ans. Elle découvre la pédagogie nature et s’y forme au Domaine de Mozet. Assez rapidement, elle se sent suffisamment à l’aise pour la pratiquer en toute autonomie. « Ce fut une redécouverte de mon métier, explique l’institutrice qui enseigne depuis 36 ans. En enseignant dehors, je me sens plus en adéquation avec ce que je suis. »
Apprendre de et avec la nature
Une fois par semaine, madame Myriam « sort » donc ses élèves toute la journée. Tantôt dans le village, à la découverte du patrimoine environnant, tantôt en forêt, à une dizaine de kilomètres de là. « Ces sorties permettent de faire davantage de liens avec ce que l’on apprend dans un local classe », poursuit-elle. Il s’agit d’amorcer l’environnement et la nature en classe, puis de l’observer et la vivre sur le terrain, et d’y revenir une fois de retour à l’intérieur.
Les liens avec les apprentissages, il y en a à foison. L’école du dehors permet de toucher aux compétences disciplinaires et transversales. Pas seulement en éveil, mais aussi en français, en math… La balade du jour l’illustre : carte à la main, elle invite les élèves à se repérer dans l’espace, à reconnaître lettres et mots (via les noms de rue), à observer puis formuler ces observations, à manipuler… Les enfants apprennent aussi à collaborer (autour, par exemple, de la construction de leur bateau-radeau). Lors des sorties en forêt, les occasions d’apprendre sont également nombreuses : découverte des animaux, des arbres, des saisons… Mais aussi des activités créatives, du land-art. « Quand on poursuit en classe, je remarque que l’air de rien, ils ont retenu beaucoup de choses de ces sorties », explique l’institutrice.
Se préparer et communiquer
Les journées extérieures en forêt de la classe de Madame Myriam démarrent par une lecture d’album jeunesse . L’institutrice en parle : « Cette lecture se fait sur place, dans les bois. Elle permet d’introduire le thème de la journée (dans la majorité des cas, les enfants le découvrent d’eux-mêmes). D’où l’importance du contenu de l’album, qui peut déboucher à la fois sur des activités préparées et des activités qui laissent libre cours à l’imagination des enfants. En effet, lors de chaque sortie au bois, il y a à la fois des activités dirigées et des activités totalement libres. Le contenu de l’album permet aussi de faire des prolongements en classe. »
>> pour découvrir des albums jeunesse et autres outils pédagogiques en lien avec la nature et les activités dehors, rendez-vous sur le site du Réseau IDée (tapez le mot-clé : « dehors ») : www.reseau-idee.be/outils-pedagogiques
En amont de chaque sortie, un travail de préparation est réalisé par l’institutrice. Il s’agit de repérer les circuits de balade et les points d’arrêt, de penser et de préparer les activités, le matériel… Il s’agit aussi de préparer les élèves, en classe. Ensemble, ils discutent du matériel à prévoir dans leur sac, des règles à respecter en rue, avec les autres et dans la nature.
En début d’année, avant la toute première sortie, un brainstorming est également réalisé avec les enfants. Au groupe, l’institutrice demande : « L’école du dehors, c’est quoi pour vous ? » Au fil de la discussion et à l’aide d’images, les enfants prennent conscience « qu’on peut fait la même chose en classe et dehors », explique l’institutrice. Ce moment d’échange est déposé sur papier et communiqué aux parents, via les fardes de communication, aux côtés d’autres infos pratiques relatives aux sorties. Bien informer les parents, voire les rassurer, une étape essentielle dans tout projet d’école du dehors.
« Leur place est dehors »
Dehors, les élèves se révèlent parfois tout autre qu’en classe. Certains s’expriment davantage. D’autres s’apaisent. « Leur place est dehors… Moi-même, petite, j’ai toujours eu beaucoup de mal à rester assise sur un banc », sourit madame Myriam.
Sans nul doute, l’institutrice est convaincue des bienfaits de l’école du dehors. La direction de l’école la soutient dans ses démarches de pédagogie nature. Les seuls petits bémols relèvent plutôt de l’organisation pratique : l’obligation légale d’être accompagnée pour toute sortie et donc la nécessité de trouver des parents volontaires (« idéalement, un adulte pour 8 enfants », compte l’enseignante). Et la nécessité, aussi, d’organiser les trajets jusqu’à la forêt. « On n’a pas de bois à proximité. Le bus scolaire, c’est trop cher. Je dois donc organiser du covoiturage avec les parents. » Et, en cette période de Covid, les sorties nécessitant de covoiturer ne rassurent pas. Du coup, certaines tombent à l’eau…
Fort heureusement, pas besoin de voiture pour la sortie du jour, au coeur du village. La journée se termine. Les élèves de madame Myriam regagnent les bâtiments de l’école en sautillant. Avec 5 km dans les jambes, de bonnes couleurs aux joues et des découvertes plein la tête.
Votre outil, votre conseil, votre souhait… Encore 3 questions à Madame Myriam, l’institutrice du dehors.
Votre outil pédagogique coup de cœur ?
Toute pédagogie qui permet à l’enfant de se découvrir lui et son fonctionnement, qui permet de développer son autonomie, son esprit critique et d’apprendre à apprendre. Celles qui suscitent le plaisir, la curiosité et l’intérêt de l’enfant. Je retrouve tout cela dans la pédagogie des Octofun (3 axes : les intelligences multiples, la gestion mentale et la psychologie positive).
Votre conseil pour qui voudrait se lancer dans l’aventure de l’école du dehors ?
Justement, « Oser se lancer ! », ne pas avoir peur de sortir de sa zone de confort (on ne connait jamais tout de l’extérieur), oser dire aux enfants qu’on ne sait pas mais qu’on peut rechercher les infos ensemble après les observations sur le terrain, oser demander de l’aide aux personnes qualifiées. Prendre aussi en considération les différents besoins des enfants (sécurité, confort, mouvement, mais aussi le vivre ensemble). J’avoue que cela a été plus facile pour moi pour avoir vécu une formation de 3 jours dans ce sens.
Votre souhait pour la suite ? Surtout, dans le contexte Covid actuel…
Continuer bien évidemment ces sorties, dès que ce sera à nouveau possible. Faire en sorte que les enfants découvrent un maximum de choses, qu’ils puissent accéder à ce que j’appelle « l’école de la vie ». Remettre en état le potager et, qui sait, en faire un potager partagé…mais pour cela il faudrait que ce soit un projet d’école, ce qui n’est pas le cas actuellement.
Céline Teret
Photos : C. Teret / Réseau IDée