Les migrants de l’environnementClés pour comprendre

7 mai 2010

Un séminaire organisé par le CIRÉ (Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Étrangers) mettait récemment sur le devant de la scène les migrants de l’environnement. Parmi les invités, François Gemenne, spécialiste de la question des réfugiés environnementaux, tente de déconstruire les idées reçues et plaide pour le droit de partir et le droit de choisir. Extraits.

Les catastrophes naturelles contraignent les populations à fuir. « Le phénomène n’est pas nouveau », souligne François Gemenne (1), invité au séminaire « Les migrants de l’environnement » du CIRÉ. De tout temps, les hommes ont migré pour des facteurs environnementaux. » Il suffit de se replonger dans nos cours de Préhistoire pour constater qu’en effet, la nature et ses changements ont souvent été la cause de déplacements des peuples.

Vu l’ampleur médiatique du phénomène, le réchauffement climatique est souvent évoqué comme accélérateur des flux migratoires. Evitons cependant l’amalgame : « Souvent, les catastrophes naturelles n’ont rien à voir avec les changements climatiques, comme c’est par exemple le cas des tremblements de terre. Il ne faut pas tout réduire aux changements climatiques. »

Impact des changements climatiques

Difficile d’évaluer les impacts des changements climatiques sur les populations, explique François Gemenne. « L’augmentation des températures ne sera pas la même partout dans le monde. Pour certains pays, elle se chiffrera à 2°C et pour d’autres à 5 ou 6°C. De même, les effets ne seront pas pareils. Les pays du Sud seront ceux qui subiront les effets les plus importants. »

Trois types d’impacts sont les plus susceptibles de créer des mouvements de population :
- l’augmentation du niveau des mers, estimée à environ 1 mètre. Parmi les risques : une eau rendue non potable, la submersion des terres et, par conséquent, le déplacement de millions de personnes vivant dans les régions côtières et deltaïques.
- la désertification et les stress hydriques. Les régions qui manquent d’eau aujourd’hui en manqueront davantage encore dans l’avenir. Il est difficile d’établir une relation directe et causale entre dégradation des sols et changements climatiques. Difficile aussi de prévoir les effets sur l’immigration.
- les événements climatiques extrêmes. À nouveau, les comportements migratoires sont très différents et très difficiles à prévoir, certaines populations décidant de revenir après l’événement, d’autres pas.

En général, un même phénomène climatique peut mener à des types de comportements migratoires différents. La migration est difficile à prévoir, aussi, parce qu’elle est liée à une histoire personnelle et à bien d’autres facteurs. « On migre pour toute une série de raisons. L’environnement va jouer un rôle sur les autres facteurs : économique, social, politique… D’autant que la conception de l’environnement est très différente selon les régions. » Prenons un exemple : des bergers du Ghana se voient contraints de quitter leur région par manque de pâturage. Pour eux, il s’agit de raisons économiques, alors que notre vision occidentale en fait un facteur environnemental. « La catégorie des migrants de l’environnement est une construction politique », conclut sur ce point François Gemenne.

Des discours loin des réalités

Lors de son intervention, François Gemenne en vient à déconstruire les idées reçues. Le lieu de destination des migrants, par exemple. « Souvent, les migrations sont internes, sur de très courtes distances, à l’intérieur d’un même pays. La migration internationale est de l’ordre du fantasme. Elle est l’exception et non pas la règle. »

Autre discours dominant à nuancer : les migrants sont souvent vus comme des victimes du changement climatique. « En réalité, les migrants se définissent rarement comme des victimes. » Prenons l’exemple de l’archipel de Tuvalu, menacée par l’avancée de la mer sur ses terres. Une partie de la population se voit ravie de migrer vers la Nouvelle-Zélande. Quant à ceux qui restent, ils ne veulent pas être considérés comme des victimes, mais bien comme des porteurs de solutions. « La migration est trop souvent vue comme un problème et non comme une opportunité d’améliorer la sécurité et la vie des individus. »

Les plus vulnérables

On le sait, les plus vulnérables sont les plus gravement touchés. Les pays du Sud en première ligne. Si le tremblement de terre qui a secoué Haïti début 2010 avait eu lieu dans un pays plus riche, aux infrastructures plus solides, il n’aurait pas causé autant de morts. Ce fut d’ailleurs le cas, quelques semaines plus tard, au Chili où sévit un tremblement de terre de magnitude beaucoup plus élevée, mais qui fit moins de victimes et de dommages.

François Gemenne, lui, prolonge la réflexion et insiste sur un élément fondamental : les populations les plus vulnérables sont souvent incapables de migrer. L’exemple flagrant, mais loin d’être unique, est celui de l’ouragan Katrina qui a frappé la Nouvelle-Orléans en 2005. « Si l’ouragan avait sévi le 1er septembre, et non pas le 25 août, les conséquences sur la population auraient probablement été différentes. En effet, le 25 août, les salaires n’avaient pas encore été payés. Or, migrer, ça coûte très cher ! Si l’on prend en compte la voiture, l’essence, 3 jours à l’hôtel pour toute une famille… Cela équivaut pour certains à 2 mois de revenus. Les familles les plus pauvres n’avaient pas d’autre choix que de rester. Les riches ont pu évacuer. » Autre exemple : « Dans un village du Kirghizistan, les plus pauvres se sont servis de déchets issus d’anciennes usines nucléaires pour construire leur maison. Leur vie et leur santé sont davantage exposées à la dégradation de l’environnement. Les plus riches, quant à eux, ont fuit. »

Droit de partir et de choisir

Pas étonnant, donc que François Gemenne plaide pour le « droit de partir ». « Cela semble naturel et à l’origine même du droit d’asile, du droit de quitter son pays ». Il plaide aussi pour le « droit de choisir », en mettant en place des politiques d’adaptation afin d’éviter de partir, afin, aussi, de voir la migration comme une stratégie d’adaptation, afin, encore, de préparer les régions de destination. Ce point n’est pas des moindres, et l’auditoire présent le souligne également : plaider pour le droit de partir, oui, mais encore faut-il être reçu quelque part. Et pour l’instant, on est loin du compte… En témoignent les conditions de (sur)vie dans certains camps de réfugiés, là-bas, et les politiques de plus en plus dures et répressives menées à l’encontre des demandeurs d’asile, ici.

Céline Teret

Sur base du séminaire « Les migrants de l’environnement : Etats des lieux et perspectives » organisé par le CIRÉ (Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Étrangers), à Bruxelles, le 29 avril 2010.

(1) François Gemenne est titulaire d’un doctorat en Sciences politiques et sociales de l’Université de Liège et de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, ainsi qu’une maîtrise de recherche (M.Res.) en Sciences politiques de la London School of Economics et d’une maîtrise (D.E.A.) en Développement, Environnement et Sociétés de l’Université Catholique de Louvain. Ses travaux relèvent de la science politique, et s’intéressent aux migrations forcées, aux flux migratoires liés à des changements de l’environnement et des catastrophes naturelles, et plus largement aux dimensions politiques et sociales du changement climatique. Il est également Maître de Conférences à Sciences Po Paris, où il enseigne la géopolitique du changement climatique et la gouvernance des migrations. Il a publié en 2009 « Géopolitique du changement climatique » (éd. Armand Colin).

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