Bloquer Bruxelles, pour ne pas se faire manger par l’Europe et les USAClés pour comprendre

16 décembre 2013

tracteurs à Bruxelles

Deux traités européens, le TSCG et l’accord de libre-échange avec les USA, vont changer l’avenir des Belges. D’un côté un traité budgétaire, qui risque de nous imposer l’austérité, avec des effets dévastateurs annoncés par des prix nobels d’économie (déjà vérifiés en Grèce et ailleurs). D’un autre côté, un futur accord affaiblissant nos normes sociales, environnementales, et ouvrant nos portes aux OGM, au bœuf aux hormones, au poulet désinfecté au chlore… Pour crier leur désaccord, des mouvements sociaux regroupés sous la bannière D 19-20 annoncent un blocage du Sommet européen ces 19 et 20 décembre.

Un grand meeting ce 18 décembre en soirée et le blocage du Sommet européen le lendemain dès 7h du matin, voilà ce qu’annonce le D 19-20 (comme Day 19 et 20 décembre(1)), un mouvement d’une quarantaine d’associations regroupant des agriculteurs, des ouvriers, des artistes, des syndicalistes, des représentants d’ONG, des citoyens de tous bords.

« Nous nous battons contre les politiques ultralibérales et d’austérité prévues par le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG, ou traité budgétaire européen) et le Traité transatlantique (accord de libre échange USA-Europe (2)) », explique Luc Hollands, agriculteur dans les Fourons et porte-parole du mouvement. Le D 19-20, c’est un lobby citoyen. Nous appelons tous ceux que cela intéresse à faire monter la pression avant et pendant le sommet européen !»

Un traité européen qui risque de nous étrangler

En Belgique, il ne reste plus que le vote de la Fédération Wallonie-Bruxelles ce 18 décembre, du Parlement wallon le 19, et du Parlement bruxellois le 23 pour que ce TSCG, ou traité budgétaire européen, entre en vigueur chez nous. Les autres parlements ont déjà dit « oui ».

Ce nouveau traité européen impose de limiter la dette publique à 60 % du PIB. Notre dette publique actuelle représente 100 % du PIB. Dans le cas d’une dette publique supérieure à 60 %, le pays concerné devra la réduire, en moyenne, d’un 20e par an. Pour la Belgique cela exigera, explique Olivier Bonfond, du Centre d’éducation populaire, André Genot (3), de trouver un excédent de 7 milliards d’euros par an pour passer de 100 % à 60 % du PIB. Colossal!

Comme le traité de Maastricht en 1992, le seuil maximum autorisé de déficit budgétaire global et annuel est de 3 % du produit intérieur brut (PIB). Le déficit estimé en Belgique pour 2014 est de 2,15 %, donc nous sommes sur la bonne voie. Oui, mais…

Pas plus de 0,5 % de déficit annuel

Dans le traité, l’article 3 stipule que le déficit structurel des administrations publiques ne doit pas dépasser 0,5 % du PIB. Le déficit structurel est un déficit « idéal », en situation de plein emploi. De ce budget sont effacés les éléments de type conjoncturel comme par exemple la diminution des recettes fiscales et l’augmentation des dépenses de chômage en cas de crise. « Cela oblige les Etats à être plus rigoureux dans leur gestion budgétaire, explique Vincent Bodart, professeur d’économie à l’UCL, en cas de choc conjoncturel négatif. Le but est qu’ils ne dépassent pas ce seuil de 3 % de déficit réel. »

Les détracteurs du traité se méfient de ces 0,5 %. «Personne n’a de définition claire de ce qu’est un déficit structurel, explique Olivier Bonfond . On peut notamment en retirer les dépenses one shot liées à la conjoncture, estimées légitimes par le gouvernement, mais c’est la Commission qui décide arbitrairement. Si le gouvernement a l’intention d’engager des dépenses exceptionnelles en termes de droits sociaux par exemple, l’Europe pourra s’y opposer. Non, pour moi, le déficit structurel est égal au déficit réel. » Et s’il est réel, il a calculé que la Belgique n’a connu un déficit budgétaire inférieur de 0,5 % qu’à sept reprises en 30 ans.

En cas de non-respect du traité, il y aura des amendes, jusqu’à 0,1 % du PIB.

Encore de l’austérité

La première crainte du collectif D 19-20 est l’austérité. De nouvelles mesures d’économie pourraient plomber tout le système économique, comme en Grèce ou Espagne.

La deuxième crainte est qu’en inscrivant cette «règle d’or» dans leur Constitution nationale, les parlements nationaux mais aussi régionaux décideront aussi d’abandonner leur autonomie budgétaire à la Commission européenne et à la Cour de justice européenne, qui les punira en cas de non respect. Cela rendrait difficile aussi les investissements nécessaires à long terme mais qui ne sont pas directement rentables (éducation, énergie renouvelable, …). Et de craindre une privatisation de nombreux services publics.

« N’oublions pas le MES, le Mécanisme européen de Stabilité financière (4), qui accompagne le traité», explique Marie-Rose Cavalier. Cette ancienne députée Ecolo manifeste régulièrement devant le Parlement wallon contre le TCSG. «Ce sont les ministres européens des Finances, dit-elle, qui deviendront les gouverneurs de cette sorte de fonds monétaire européen où la Belgique s’est engagée pour une garantie de 32 milliards. « Ils n’auront de compte à rendre à personne ! » Un peu comme le FMI, le Fonds monétaire international, ce MES pourra aider les Etats en difficulté mais sous des conditions très strictes.

Un accord de libre-échange USA-Europe qui risque de nous avaler

D 19-20 s’attaque également à l’accord de libre-échange entre les USA et l’Union européenne envisagé pour 2015. Cet accord est à l’agenda du Sommet européen de ces 18 et 19 décembre à Bruxelles. Le but est d’enrichir les deux entités, avec un marché commun de 820 millions de consommateurs, ou 50 % de la production économique mondiale. On compte sur un bonus de 119 milliards d’euros pour l’Europe, de 95 milliards pour les USA.

Pour y arriver il faut abolir les barrières douanières. Ce ne sera pas compliqué, elles sont de l’ordre de 3 %.

Il faudra aussi assouplir les règles et réglementations pour faciliter la circulation des marchandises, des services et des capitaux. C’est là que cela coince pour D 19-20 et la quarantaine d’associations et de mouvements qui composent ce collectif. Car ouvrir le marché européen aux Américains, c’est ouvrir la porte aux OGM, au bœuf aux hormones, au poulet désinfecté au chlore… C’est aussi ouvrir la porte à l’ultra concurrence, où le fléchissement des salaires, les délocalisations, la baisse des conditions de travail et l’affaiblissement des normes auront la cote.

Concurrence également en termes de combustibles fossiles « non conventionnels » comme le gaz de schiste utilisé aux USA et accroissement du trafic aérien et maritime, au détriment des activités restées locales et de la diminution des gaz à effet de serre.

Renforcer le pouvoir des multinationales

Par cet accord de libre-échange, les USA et l’Union européenne prennent aussi le risque, ou le pari, c’est selon, de déréguler l’ensemble de notre système social et économique par sa privatisation au profit du secteur privé, et de brader des pans entiers du secteur non marchand.

Une façon, aussi, de détourner la démocratie. Lori Wallach, détaillant dans le Monde Diplomatique (2) les effets néfastes de ce traité, explique que des tribunaux spéciaux, conçus par et pour les multinationales, permettraient à ces dernières de traîner en justice les gouvernements dont l’orientation politique aurait pour effet d’amoindrir leurs profits, « de réclamer — et obtenir ! — une généreuse compensation pour le manque à gagner induit par un droit du travail trop contraignant ou par une législation environnementale trop spoliatrice.»

« Cet accord renforcera le pouvoir de nos multinationales », aurait dit Barack Obama himself.

La Confédération européenne des syndicats insiste, elle, pour que l’Union européenne précise clairement que l’accord n’affectera pas le droit des gouvernements à légiférer dans l’intérêt public, à protéger les services publics ou à créer de nouveaux programmes publics.

« Nous nous battons contre cet appauvrissement organisé et pour les citoyens, explique Luc Hollands, porte-parole de D 19-20, organisateur de la manifestation du 19 décembre. Nous nous battons pour notre travail, pour nos enfants, pour notre qualité de vie!»

Marc Litt

(1) Le D 19-20 organise un débat/meeting ce 18 décembre à 18h au boulevard Albert II, 5, à 1200 Bruxelles (Woluwé Saint-Lambert) en présence de Susan George, présidente d’honneur d’ATTAC. Blocage aux accès au rond-point Schuman de 7 h à 11 h ce 19 décembre. Dislocation vers 13h – 14 h à l’entrée du parc du Centenaire. Des infos sur le TSCG et l’accord de libre-échange USA-Union européenne aussi sur www.constituante.be

(2) Plus d’infos sur ces deux traités, en particulier l’article de Monde Diplomatique sur le traité transatlantique
Voir aussi le dossier complet sur le TSCG de la Fondation Robert Schuman, ainsi que le texte du traité

(3) « Ratifier le traité budgétaire constitue une grave menace pour la Belgique »

(4) Le texte complet du Mécanisme européen de Stabilité financière

En savoir plus:

2 commentaires sur “Bloquer Bruxelles, pour ne pas se faire manger par l’Europe et les USA”

  1. [...] plus d’explications, voir notamment cet article paru sur le site « Monde qui bouge » du Réseau Idée et la page documentation du site de l’Alliance [...]

  2. hcrepin dit :

    On verra, ironiquement, je ne suis pas certain non plus que si ceci se réalise, ce ne sera pas la manière la plus efficace pour les multinationales de se suicider car leurs bénéfices résident aussi dans des couches aisées à moyennes de la population. Donc, globalement, libéraliser revient à diminuer la richesse du peuple et donc de la majorité de leurs clients …
    Autrement dit: bénéfices plantureux pendant deux ans puis faillite des mamouths faute de masse critique de clientèle suffisamment aisée.