« Il n’y a pas de solution simple au SIDA »

12 décembre 2006

Depuis plus de 10 ans, le belge Peter Piot dirige le programme ONUSIDA. Pour ce médecin, il est fondamental de rappeler qu’aucune solution simple n’existe pour répondre à l’épidémie du SIDA. « Combattre le SIDA efficacement et à long terme nécessite d’intégrer la lutte dans l’ensemble de la problématique du développement et dans la lutte contre la pauvreté. »

Vous dites que le SIDA est une maladie exceptionnelle. Pourquoi?

Le SIDA est une maladie relativement nouvelle et qui s’étend encore. Le SIDA a été décrit pour la première fois il y a 25 ans à peine. Depuis, dans le monde, 25 millions de personnes en sont mortes et 65 millions ont été contaminées. De plus, le SIDA subit une stigmatisation, une discrimination, parce qu’on l’associe au sexe, à la drogue et à tous les problèmes qui en découlent. Enfin, le SIDA touche un groupe de gens qui, vu leur jeune âge, ne devraient pas être terrassés par la maladie. Ces personnes meurent dans la fleur de l’âge, alors qu’elles sont productives et reproductives, qu’elles travaillent et s’occupent de leurs enfants. Les conséquences se font ressentir sur des générations entières. Le SIDA a un impact économique énorme. En 25 ans, il est devenu la première cause mondiale de décès chez les personnes de moins de 59 ans. Aujourd’hui, 1 personne sur 7 meurt du SIDA. Ce n’est plus qu’un problème de santé : c’est un problème lié au développement. Il a un impact sur toutes les dimensions de la société.

Les décideurs politiques ont-ils conscience de ce caractère exceptionnel ?

Il y a un revirement dans leur vision. Le débat sur le SIDA qui a eu lieu au Conseil de Sécurité des Nations Unies en 2000 a ouvert des portes. La « grande politique » aborde toujours les deux mêmes sujets : l’économie et la sécurité. Les affaires sociales ne font pas partie de l’agenda principal. Le fait qu’autant de gens meurent ne suffit pas pour convaincre. Nous n’avons été écoutés que lorsque nous avons démontré l’impact du SIDA sur l’économie et la sécurité. Chiffres à l’appui, nous avons montré comment l’épidémie déstabilise les sociétés. Avec nos statistiques démographiques, nous avons prouvé que le SIDA réduit de 20 ans l’espérance de vie dans certains pays d’Afrique subsaharienne. Ce sont ces éléments qui ont fait réfléchir les décideurs politiques et qui les ont incités à consacrer plus d’attention et d’argent à cette maladie. Les grandes entreprises ont aussi compris que c’était important.

Si l’épidémie connaît cette ampleur, ce n’est pas seulement à cause des relations sexuelles non protégées…

Non, et j’aimerais insister sur les causes sous-jacentes de l’épidémie : l’inégalité entre hommes et femmes, la pauvreté, la stigmatisation, la discrimination, l’homophobie dans toutes les sociétés… Bref, les violations des droits humains. Les programmes contre le SIDA évoquent ces causes sous-jacentes, mais n’y consacrent aucun budget. Pour combattre le SIDA avec efficacité à long terme, il faut intégrer cette lutte dans l’ensemble de la problématique du développement, dans la lutte contre la pauvreté. Il faut aussi lutter pour l’égalité des droits entre les hommes et les femmes.

Concrètement, comment traduire cela dans la pratique?

Le programme ONUSIDA associe, par exemple, la lutte contre le SIDA avec l’amélioration de l’accès à l’école pour les jeunes filles. Nous travaillons aussi sur la question de la violence sexuelle au sein et en dehors du mariage. Nous voulons que les femmes jouissent des mêmes droits que les hommes en ce qui concerne l’héritage et la propriété. Pour qu’elles soient économiquement plus fortes, mais surtout parce que, dans de nombreuses cultures, perdre son mari signifie tout perdre. Nous avons aussi des programmes de prévention VIH destinés aux jeunes filles. En Afrique subsaharienne, elles sont 6 à 10 fois plus nombreuses à être contaminées que les garçons du même âge. Cette contamination se fait par des hommes plus âgés. Il faut donc changer le comportement des hommes. Si nous sommes bien partis dans la lutte contre le SIDA, nous devons maintenant nous atteler à des choses fondamentales comme l’égalité des droits. A ce niveau, nous allons être confrontés à une résistance plus importante que celle que nous connaissons maintenant. Mais il est clair que les technologies, comme les préservatifs ou les médicaments, ne suffisent pas à elles seules à stopper l’épidémie.

La lutte contre le SIDA peut-elle amorcer une autre forme de développement?

Oui, et c’est une des raisons pour lesquelles je travaille sur la maladie. Par le prisme du SIDA, nous pouvons pousser à un respect accru des droits humains. Prenons l’accord ADPIC sur les brevets : lors du sommet de l’OMC à Doha, une exception aux règles strictes a été accordée pour les médicaments utilisés en cas de danger pour la santé publique. Pourquoi a-t-on obtenu cette exception? Uniquement « grâce » au SIDA. Il permet d’ouvrir les portes… En Occident, si le SIDA a fortement touché la communauté homosexuelle, il a aussi permis d’ouvrir la discussion sur le sujet, il a contribué à l’émancipation des homosexuels. J’espère que nous pourrons utiliser le SIDA pour renforcer la position des femmes, ou pour se pencher sur les conditions macro-économiques imposées à certains pays.
Justement, on ne fait jamais référence aux causes de la pauvreté dans la lutte contre le SIDA, comme les plans d’ajustement structurel.

Les grandes institutions soutiennent la lutte contre le SIDA mais amplifient l’épidémie via leurs méthodes de travail…

Tout à fait. Maintenant que le SIDA fait l’objet d’une attention plus soutenue et que de nombreux mouvements sont actifs sur le sujet, nous allons davantage nous pencher sur la question de la pauvreté. Nous allons plus mettre en lumière les conditions imposées à certains pays par les pays donateurs et le Fonds Monétaire International (FMI). Ces conditions empêchent les gouvernements d’investir plus d’argent dans les services sociaux. C’est là la raison du manque de personnel, du sous-investissement dans les soins de santé ou dans l’enseignement… Les meilleurs analyses publiées sur le sujet ont été réalisées par Oxfam.
Dans chaque pays, ces conditions ont été élaborées par le FMI et les principaux donateurs. Cela pourrait donc aussi être la Belgique. Le FMI mérite certainement d’être incriminé, mais il est trop facile de ne s’attaquer qu’à lui. Il n’est pas le seul responsable !

Pourquoi cette analyse n’apparaît-elle pas dans les dossiers sur le SIDA?

Le problème, c’est que la lutte contre le SIDA est dans les seules mains des ministères de la santé publique. Ces ministères n’ont aucune connexion avec les décisions économiques et sont souvent très faibles politiquement. Qui définit la politique? Les ministres et les ministères des finances ! C’est avec eux que nous devons travailler. Voilà pourquoi nous insistons pour que, dans chaque pays, la lutte contre le SIDA soit personnellement menée un Premier ministre ou un Président. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons amener le débat sur les questions structurelles.

En 25 ans de lutte contre le SIDA, quels sont les succès remportés?

Le rapport d’ONUSIDA de mai 2006 nous a permis de donner quelques résultats. C’est encore un peu tôt pour parler de « succès ». Mais dans la plupart des pays de l’Afrique de l’Ouest, on remarque une réduction du nombre d’infections, surtout chez les jeunes. C’est aussi le cas dans la région des Caraïbes, au Zimbabwe, dans les états du sud de l’Inde. Aujourd’hui, dans les pays en voie de développement, 1,6 million de personnes peuvent bénéficier de la thérapie antirétrovirale. Il y a cinq ans, elles n’étaient que 150.000, presque toutes Brésiliennes d’ailleurs car le Brésil fut le premier et – pendant longtemps – l’unique pays à offrir ce traitement à ses citoyens.

Comment se fait-il qu’autant de gens bénéficient si soudainement d’une thérapie ?

Ceci est surtout dû aux financements croissants dans la lutte contre le SIDA. Ces financements proviennent principalement des Etats-Unis, du Fonds Mondial et la Banque Mondiale. Nous avons travaillé sur plusieurs fronts: sur l’amendement des accords ADPIC et sur la diminution des prix pratiqués par les grandes entreprises pharmaceutiques. J’ai moi même ardemment milité pour réduire le prix des médicaments. Nous avons aussi stimulé la production générique. Il a fallu du temps, mais c’est finalement en marche.

Quelle est la situation dans le Nord?

Le SIDA n’y a pas disparu. En Belgique, par exemple, on compte 3 nouvelles contaminations au VIH par jour. Les gens ont l’impression que le problème a disparu parce qu’il existe un traitement. Et il n’y a plus beaucoup de campagnes de prévention. S’il n’y a pas d’explosion de l’épidémie chez les hétérosexuels, le nombre de contaminations augmente toutefois dans tous les pays de l’Europe de l’Ouest. C’est en Europe de l’Est et en Russie que l’épidémie s’étend le plus rapidement, principalement du fait de l’usage des drogues, via les injections d’héroïne. L’extension s’y propage aussi parce que tout le système social s’y est écroulé, tout comme le système des valeurs. Maintenant tout tourne autour de l’argent… Mais il n’y a d’argent que pour une minorité.

Comment voyez-vous l’avenir de la lutte contre le SIDA?

Nous devons persévérer. L’espérance de vie des engagements politiques n’est pas très élevée. Comment faire pour maintenir nos efforts pendant les 20 prochaines années? La question se pose, car il faudra attendre encore une génération pour pouvoir juguler le SIDA. Il faut une approche plus politique de la lutte : à côté du travail sur le terrain, il faut que le SIDA demeure dans les agendas politiques, dans les parlements, les gouvernements, … Et pas seulement au sein des organisations internationales comme le G8. Il faut aussi accentuer le lien avec la lutte contre la pauvreté et la problématique du genre.

Avez-vous un espoir dans les innovations technologiques?

J’ai grand espoir dans le développement d’un microbicide, une crème ou un gel que les femmes peuvent appliquer dans le vagin et qui tue le virus pendant les rapports sexuels. Ce serait une évolution fantastique, comparable à la pilule, car ici c’est la femme qui contrôle le processus. Ce n’est pas le cas des autres méthodes de prévention, comme la fidélité ou l’utilisation des préservatifs.

La méthode ABC (abstinence-fidélité-préservatif) est-elle utile?

L’ABC fonctionne, et c’est utile. Mais cela ne suffit pas car ce n’est pas la femme qui contrôle. Une femme fidèle à son mari est quand même susceptible d’être contaminée si son époux n’est pas fidèle. En Afrique ce sont les femmes qui représentent 60 pour cent des nouvelles contaminations. L’ABC ne suffit pas. Il y a pas mal d’alternatives de type ABC, mais soyons honnêtes, il n’y a pas de solution simple au problème du SIDA.

Propos recueillis par Lieve Reynebeau, Oxfam solidarité
Article publié dans la revue Globo, décembre 2006

Photo: Tineke D’haese

Pour en savoir plus:

7 commentaires sur “« Il n’y a pas de solution simple au SIDA »”

  1. hibrahima dit :

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    merciiiiiiiiiiiiiiiiiii à la prochaine

  2. acil dit :

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    merci infiniment.

  5. Yacine dit :

    Bonsoir d’aprés ce que je viens de lire il existeré donc une thérapie nommé antirétrovirale qui permetré de combattre le VIH ,je voudrais savoir si d’autres methodes ou d’autres moyens sont existent afin de le combatre. merci d’avance a tous nous avons le devoir de le conbattre ensemble ^^

  6. melle fadwa dit :

    merci cela m’a vraiment aidé dans mon exposé sur le sida et meme ce commentaire de dr modeste ngongo shako!! mais il est pas dificile de trouver un medicament qui detruie ce virus  » il ya pa de solution pr le sida » oula pas d’espoire nn parcontre faut chercher pourkoi pas unantigp120 c un bo nom!!

  7. Dr Modeste NGONGO SHAKO dit :

    Si le sida continue à être consideré comme un fléau le plus meurtrier, c’est à cause de l’absence d’un traitement curatif. C’est un peu comme la tuberculose dans le passé. C’est vrai que ce fléau entraine plusieures conséquences notamment sur le secteur productif, les orphelins, … car la transmission est principalement liée au sexe.

    C’est pourquoi, un accent doit être mis principalement sur le curatif tout en maintenant les autres axes stratégiques de lutte contre ce fléau.