« On a trop… et on n’est pas heureux »Clés pour comprendreFocus

17 novembre 2009

serge-mongeauRencontre avec Serge Mongeau, médecin, écrivain, éditeur, père de la simplicité volontaire au Québec et cofondateur du Mouvement québécois pour la décroissance conviviale. Avec sagesse, il dépose son regard sur un monde en pleine décadence et livre quelques clés d’action.

Votre chemin vers la simplicité volontaire a démarré d’une réflexion sur la santé dans une société de surabondance.

La simplicité volontaire, c’est…
« Le choix de privilégier l’être plutôt que l’avoir, le “assez” plutôt que le “plus”, les relations humaines plutôt que les biens matériels, le temps libéré plutôt que le compte en banque, le partage plutôt que l’accaparement, la communauté plutôt que l’individualisme, la participation citoyenne active plutôt que la consommation marchande passive. »
(extrait de la définition proposée par le Réseau québécois pour la simplicité volontaire : www.simplicitevolontaire.info)

En effet, j’ai constaté que ce qui nous rend malades dans nos pays industrialisés, ce n’est pas le manque ou l’absence de nourriture, comme au Tiers monde. C’est parce qu’on a trop de choses que nous sommes malades : on mange trop, on mange des aliments trop sucrés, trop de gras, on mange trop de protéines, d’aliments remplis d’additifs et trop traités, on a trop de machines qui travaillent à notre place et qui ne permettent plus qu’on développe notre masse musculaire, pourtant indispensable pour le fonctionnement de nos organes internes, on fait de moins en moins d’efforts physiques, on ne marche pas, tout est mécanisé, tout est électrifié… On est stressé parce que pour consommer comme on consomme, on travaille et on travaille de plus en plus intensément. Pour performer dans notre société, les travailleurs doivent être très productifs et sont mis en compétition. Depuis les années 70, c’est une tendance croissante : les gens travaillent de plus en plus longtemps, de plus en plus intensément. Les entreprises mettent les travailleurs d’ici en compétition avec ceux du Tiers monde, en menaçant de délocaliser. Beaucoup de gens ont été licenciés non pas pour réduire la production, mais pour faire retomber la production sur les épaules de moins de personnes et donc faire plus de profit. Autre constat, notre surconsommation produit des déchets dans l’air, dans l’eau… Ça aussi c’est à cause de notre société d’abondance.

Vous questionnez aussi le bonheur et les relations humaines…

Oui, parce que les gens, malgré leur consommation, ne sont pas si heureux que ça. Il y a des choses qui manquent et, en particulier, les relations sociales. Notre société de consommation a besoin, pour que nous consommions, que nous soyons des individualistes forcenés. La société s’organise de plus en plus pour qu’on ne se parle plus. Si on a besoin de quelque chose, le réflexe n’est pas de le trouver dans sa communauté, de l’emprunter ou de le partager, mais de l’acheter, comme si la solution à tous les problèmes se trouvait dans les centres commerciaux. Les êtres humains sont des êtres de sens et de communication, mais on est de plus en plus obligé de confier au marché le souhait de nous mettre en contact avec les autres, via des agences de rencontres, des voyages organisés… On est de plus en plus dépendant de gens qui nous donnent des formules toutes faites, parce qu’on a perdu notre sens communautaire. Ca donne une société avec des hauts taux de suicides, de dépressions, de burn-out, d’alcoolisme, de toxicomanie… Ce sont des signes qui montrent qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans notre société, même si de l’autre côté, on nous martèle, par un appareil médiatique tellement puissant, qu’on est dans la meilleure société du monde, qu’on ne peut pas faire autrement. Ce qui est totalement faux, mais que les gens intègrent dans leur façon de penser.

La réédition, en 1998, de votre ouvrage consacré à la simplicité volontaire a rencontré beaucoup plus de succès que sa première édition, quinze ans auparavant. Comment expliquez-vous cet engouement soudain ?

Peut-être que les gens étaient moins sensibilisés à ces questions en 1984. À cette époque, l’urgence d’agir au plan environnemental n’était pas aussi présente qu’en 1998 et encore moins qu’aujourd’hui. On savait des choses, mais pas ce qu’on sait aujourd’hui. J’ai aussi l’impression que de plus en plus de gens font eux-mêmes le constat que la vie qu’ils mènent n’a pas de sens. Les gens courent, travaillent beaucoup, se dépêchent pour aller chercher les enfants à la garderie, consomment alors que les salaires ne suivent pas l’augmentation de la consommation… De plus en plus de gens se rendent compte qu’ils n’ont plus le temps de vivre. Autre explication, relevant d’un concours de circonstance : l’ouvrage a été davantage relayé dans la presse en 1998 que lors de sa précédente édition.

La simplicité volontaire semble à première vue relever de la démarche individuelle. Comment passer à une action collective ?

Les gens arrivent à la simplicité volontaire avec des préoccupations multiples : santé, justice sociale, environnement, épanouissement… Certains aussi ont tellement été embarqués par le système qu’ils se sentent pris à la gorge à cause de leurs dettes.
Personnellement, j’ai toujours été davantage tournée vers le collectif. J’étais médecin à l’origine, j’ai pratiqué 2 ans. Une des raisons pour lesquelles j’ai laissé la pratique de la médecine, c’est que je trouvais que l’intervention de personne à personne n’était pas suffisante. Si la société est malade, c’est la société qu’il faut guérir. Après ma médecine, je suis retourné étudier à l’université en organisation communautaire, afin d’aider les gens, les communautés à s’organiser pour se prendre en charge. Dans la première version de mon ouvrage « La simplicité volontaire », j’abordais déjà la question du communautaire et du collectif. Mais il n’existait pas de mouvement qui ramassait les idées de la simplicité volontaire au niveau collectif. Ça nous est venu d’Europe avec la décroissance…

« La “décroissance” est une interpellation à la “croissance économique”, expression qui donne une connotation vivante et positive à des phénomènes destructeurs des écosystèmes et du tissu social. (…) La décroissance n’est pas une idéologie simpliste et moralisatrice mais un appel à la réflexion fondé sur un fait incontestable : sur une planète limitée, la croissance illimitée, objectif de tous nos gouvernements, est une impossibilité. Elle conduit à des déséquilibres de plus en plus dangereux. (…) Nous croyons qu’il est possible, en commençant aujourd’hui, d’entreprendre de mille façons un virage vers une organisation sociale vraiment soutenable, et conviviale en prime! »
(extraits du Manifeste du Mouvement québécois pour une décroissance conviviale : www.decroissance.qc.ca)

Vous vous êtes reconnu dans la décroissance ?

Oui, très vite. Quand j’ai commencé à lire des choses sur la décroissance, je me suis dit « Voilà ce qu’il faut ». Mes conférences, je les intitule désormais : « Au-delà de la simplicité volontaire, la décroissance conviviale ». Il y a deux ans, on a organisé un colloque visant à approfondir cette idée de la décroissance. Et le « Mouvement québécois pour une décroissance conviviale » a vu le jour.

Quelles sont les pistes proposées par ce mouvement de la décroissance conviviale pour aller vers un changement profond de société ?

Notre mouvement dit qu’on ne peut pas continuer une croissance économique constante, sur une terre qui est limitée, qui est finie. C’est une impossibilité physique, mathématique, etc. Quand on a fondé le mouvement, c’était très clair pour moi qu’il ne fallait pas se lancer trop vite dans l’action, qu’il fallait qu’on comprenne avant tout. Ce n’est pas notre mouvement qui va régler les problèmes en deux ou six mois, c’est un changement profond de société qu’il va falloir amener. Ça prendra du temps. Dans un premier temps, on analyse et on essaie de voir de quelle façon on pourrait faire. Très vite, on est obligé d’admettre que nos partis politiques, au pouvoir ou qui aspirent à l’être, ne sont pas du tout sensibles à ces questions-là. Les partis politiques actuels, de gauche ou de droite, sont tous axés sur la volonté de poursuivre la croissance économique et donc la consommation telle qu’elle est actuellement. Tout ce qu’ils proposent, c’est de verdir la croissance économique. Or, peinturer en vert est absolument insuffisant. Ça peut retarder les échéances un peu. Si on réussit à construire des voitures qui consomment un peu moins d’essence, on aura de l’essence un peu plus longtemps, mais on frappera quand même le mur de la fin du pétrole, que ce soit dans 5 ans ou dans 20 ans. Il y a d’autres murs qu’on a déjà frappés, comme celui des gaz à effet de serre. Le changement ne peut donc pas venir des gouvernements. Il faut qu’il vienne de la base.

Le politique ne peut pourtant pas être laissé de côté…

En effet, il va falloir s’occuper du politique. Il y a des décisions qu’on ne peut pas prendre en tant que citoyens. Au Québec, on a identifié un parti qui est en construction : Québec Solidaire. Ce parti est formé de gens qui viennent du milieu communautaire, qu’on sait sincères, qui ne sont pas là par opportunisme, qui ne se laisseront pas corrompre par le pouvoir. On a décidé d’embarquer dans ce parti. Le programme est en construction, donc on peut contribuer à le construire en avançant des idées qu’on a identifiées au niveau de la décroissance. On a décidé d’envoyer des gens dans le parti. Des collectifs ont été formés au sein du parti, dont l’un sur la décroissance.

La simplicité volontaire est-elle un passage obligé vers le changement ?

La simplicité volontaire est une action sociale nécessaire pour amener la décroissance. Ça peut se faire de différentes façons : une action citoyenne au sein de regroupements sociaux, une action au niveau municipal où se prennent les décisions qui touchent nos vies de tous les jours et qui peuvent affecter l’environnement, etc. Il y a aussi un paquet de choses qui vont dans le sens de façons de vivre permettant à la planète de respirer un peu, comme les systèmes d’échanges locaux, le retour à l’agriculture biologique, l’agriculture soutenue par la communauté… Ce sont des mouvements à encourager. Il faut également empêcher les niveaux politiques supérieurs de faire les plus grosses bêtises. En organisant des manifestations, en trouvant des moyens d’arrêter de gros projets qu’ils veulent mettre en place…

On ne peut quand même pas demander aux pauvres d’entrer en simplicité volontaire ou en décroissance…

La simplicité volontaire, ça s’adresse d’abord et avant tout à des gens qui ont d’abord surconsommé et qui se rendent compte que ça n’est pas comme ça qu’on devrait vivre, car ce n’est pas ça qui leur permet d’être heureux. Moi je n’irai jamais dans des quartiers pauvres dire aux gens qu’ils devraient être contents d’être pauvres. La différence essentielle, c’est le mot « volontaire », c’est accepter volontairement de diminuer sa consommation.
Au niveau de la décroissance, j’ai le même réflexe. C’est nous qui sommes en train de ruiner la planète par notre consommation. On ne va pas aller dire aux Chinois qu’ils n’ont pas le droit d’avoir ça ou ça. On en reparlera le jour où nous aurons réduit notre consommation à un niveau qui est acceptable pour la planète et on y est pas ! Notre empreinte écologique est tellement grande par rapport à celle des Chinois ou des Indiens, qu’on n’a rien à leur dire. C’est certainement à nous d’opérer le changement ici d’abord et avant tout.

Face à l’urgence, nous dirigeons-nous vers une simplicité « involontaire » ?

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Plus on sera nombreux à penser, à agir et à avoir des exigences sociales pour pouvoir vivre plus simplement, plus tout le monde en bénéficiera. Prenons l’exemple des transports collectifs. Si, à Montréal, les quartiers pauvres demandent l’accès aux transports collectifs, ça n’aura pas beaucoup d’influence, car ils ne sont pas majoritaires. C’est la classe moyenne qui peut faire évoluer les choses. Si on réussit à convaincre nos dirigeants d’investir davantage dans les transports collectifs, tout le monde en bénéficiera, y compris ceux qui prennent les transports collectifs non par choix, mais parce qu’ils n’ont pas d’argent pour s’acheter une voiture. C’est la même chose au niveau de la décroissance. Ce qu’on demande comme modifications au niveau social, tout le monde va en bénéficier. Le choix actuellement, c’est soit on s’en va volontairement et de façon conviviale vers la décroissance, soit elle va nous être imposée dans quelques années par les circonstances et par les gouvernements qui n’auront pas le choix. Si les gouvernements agissent autoritairement, ils vont nous imposer des mesures qui vont préserver les privilèges des privilégiés. Un exemple : pour lutter contre la pollution, certaines villes ont imposé le système de circulation alternée, plaques paires un jour, plaques impaires le jour suivant. Résultat : les privilégiés ont acheté une seconde voiture. Alors oui, il y a des effets sur la pollution, mais ça se fait sur le dos des pauvres.

Et la place de l’éducation ?

Ce qu’on produit dans notre système actuel d’éducation, ce sont des consommateurs et des producteurs. Je déplore qu’on aligne les gens sur des changements de comportements (faire attention à ses papiers, par exemple, c’est devenu presque un sacrilège), alors que c’est se donner bonne conscience. Trier ses déchets, ça permet aux gens de dire : « Je fais mon effort pour l’environnement ». Pourtant l’essentiel, c’est de produire moins de déchets. Ou encore « Je vais m’acheter une voiture qui pollue moins… », alors que ce qu’il faut c’est s’organiser pour ne plus avoir de voiture. On se donne bonne conscience, mais on continue à épuiser la planète, certes peut-être un peu moins vite, mais on l’épuise quand même ! Les petits changements mineurs ne sont pas suffisants. Il faut aller vers un changement majeur dans la façon de répondre à nos besoins. On a encore bien du chemin à faire…

Propos recueillis par Céline Teret
Interview réalisée dans le cadre du dossier « Moins de biens, plus de liens », de Symbioses (n°84 – automne 2009), magazine d’éducation à l’environnement du Réseau IDée

En savoir plus :

5 commentaires sur “« On a trop… et on n’est pas heureux »”

  1. [...] au détour du voyage. Pointons notamment le poignant témoignage du Québécois Serge Mongeau (lire aussi sur Mondequibouge.be une interview de ce monsieur simplicité volontaire) ou encore l’interview de l’Américaine [...]

  2. NOUIOUA dit :

    ETRE SENSIBILISE SUR LE DANGER QU’ENCOURS L’HUMANITE L’INDIFFERENCE
    L’EGOISME LA LOI DU PLUS FORT ET LE RESPECT MUTUEL
    NOUS VIVONS DANS EPOQUE OU ON S’INTERRESSE QU’A SOI DIVISION DANS LA FAMILLE

  3. NOUIOUA dit :

    l’exploit irrationnel sur tous les plans ce du en premier a l’egoisme humain
    a penser sr sens tire profit optique de vision imprevisionnelle.

  4. benjamin Ouellet dit :

    C’est tout ce qu’il y a de plus sensé! Changer la nature même de l’être humain au lieu de trouver des solutions technologiques hasardeuses et de plus en plus coûteuses. Je souhaite que les valeurs de la sagesse, de l’honneur et de la coopération se répendent dans nos sociétés, au détriment de la performance et de la réussite matérielle individualiste … et qui ne servent à rien d’autre que prouver notre immaturité! On a beaucoup de travail intérieur à faire! ;)

    Merci aux piliers du Réseau Québécois de la Simplicité volontaire.

    Ben

    Université de Sherbrooke

  5. Sylvain Bérubé dit :

    Merci pour cette entrevue, j’ai beaucoup apprécié.

    Je l’ai transmise à quelques amis et amies. Des membres de Québec solidaire, au Québec!

    Sylvain Bérubé
    Sherbrooke