Travailler et être surendetté, pas si rare !Clés pour comprendreGestes pratiques

21 novembre 2011

Parmi les personnes en médiation de dettes, près d’un tiers ont des revenus professionnels. Si le phénomène reste peu étudié et chiffré, les causes sont connues: revenus insuffisants, décalage entre les revenus et le niveau de vie, séparations et divorces… Une prévention au sein même des entreprises est-elle possible et souhaitable?

Ce n’est pas parce qu’on travaille qu’on n’est pas concerné par le surendettement. Les chiffres de ces dix dernières années sont relativement stables : en Wallonie, environ un tiers des personnes en médiation de dettes ont des revenus professionnels. L’emploi, même s’il permet de limiter le risque de manière significative, n’est donc pas une barrière absolue contre le surendettement, loin de là.

L’Observatoire du Crédit et de l’Endettement mène annuellement des enquêtes auprès de la population concernée par la médiation de dettes. Elles font clairement apparaître le phénomène. En 2009 (derniers chiffres disponibles), l’OCE recensait sans surprise 2/3 de personnes sans emploi parmi les “médiés”. Un peu plus de sept pourcents étaient des retraités. Mais ce qui correspond moins à nos représentations habituelles, c’est que 27,3% étaient des travailleurs actifs, soit un gros quart.
Il s’agit majoritairement d’ouvriers (18,2%), puis d’employés (7,2%). On dénombre une proportion plus faible de fonctionnaires et enseignants, et un petit pourcentage de travailleurs indépendants.

Cumul de situations d’emploi difficiles?

Si l’on se place du point de vue de la situation des ménages, et non plus de la seule personne en médiation, on cerne un peu plus précisément la question. Les conjoints des personnes concernées sont majoritairement des personnes sans emploi (70,8%). Mais 24,7% disposent de revenus professionnels (16,1% d’ouvriers, 7,2% d’employés, 1,2% d’indépendants).

La double question que pose cet alignement de chiffres porte évidemment sur le niveau des revenus des personnes en médiation (et ceux de leur conjoint, s’il y en a un), mais aussi sur le cumul de situation socioprofessionnelle difficile.

On remarque ainsi que les ménages composés d’un actif et un inactif constituent un tiers de l’échantillon (32,8%). Et ceux dont les deux conjoints travaillent près de 14%! On s’attendait à beaucoup moins…

Ces chiffres renforcent le constat de la sécurité toute relative que constitue l’emploi face au phénomène du surendettement. Si l’on totalise le pourcentage de personnes en couple qui sont en médiation de dettes et dont au moins l’un des deux conjoints travaille, on obtient un total de 46,6%… C’est loin d’être négligeable.

70% des ménages sous les 1500 €/mois

Côté revenus, ce sont fort logiquement les revenus les plus faibles qui sont le plus directement concernés. Mais ceci ne veut pas dire que de plus hauts revenus ne peuvent pas être touchés.

Dans un dossier, le montant total du revenu professionnel atteignait 5000 € par mois… De manière générale, 70% des dossiers traités en médiation de dettes concernent des revenus de moins de 1500 € par mois et par ménage: 2,7% se situent sous les 500 €, 22,4% entre 500 et 1000 € et 43,2% entre
1000 et 1500 €. Le montant moyen des revenus professionnels est de 1381,07 €. Incontestablement, le surendettement concerne donc très majoritairement les bas revenus, y compris chez les travailleurs actifs.

“Observer que près de 30% des personnes en médiation de dettes sont des personnes qui disposent de revenus professionnels est assez interpellant, témoigne Matthieu Bruyndonckx, chargé de prévention à l’Observatoire du crédit et de l’endettement. C’est donc que le manque de revenus n’est pas la seule cause du surendettement.”

Parmi les causes les plus fréquemment observées, les accidents de vie comme un divorce ou une séparation occupent une place importante, mais il faut aussi relever les comportements en décalage avec le niveau de revenus. “C’est particulièrement vrai en cas de perte d’emploi, explique encore Matthieu Bruyndonckx. Peu importe son statut d’emploi, quand on le perd, les dettes qui se créent sont souvent en proportion du revenu d’avant!”

Le lieu de travail, endroit névralgique de la prévention

Avec son collègue, Jérôme Vanopbroeke, il mène depuis quelques années une expérience de prévention au surendettement qui leur permet de mettre le doigt sur une série de mécanismes et de mieux comprendre aussi l’origine de nombreux comportements. Les pratiques commerciales et la publicité n’y sont pas étrangères. “La question du rapport à l’argent que chacun d’entre nous entretient aide à comprendre certaines choses, expliquent les collaborateurs de l’OCE. Les marques d’affection par exemple: certaines personnes ont besoin d’offrir, de gâter pour prouver leur amour. Le besoin d’intégration est un autre exemple : on va vouloir montrer des signes extérieurs de richesse, en s’achetant par exemple une grosse voiture, alors que l’on n’arrive pas à nouer les deux bouts.”

Très souvent, au sein des entreprises, la plupart des services de gestion des ressources humaines sont les premiers témoins du phénomène: saisies sur salaires, demandes récurrentes d’avances, etc. Pour Matthieu Bruyndonckx et Jérôme Vanopbroeke, “ce constat amène à penser que les lieux de travail sont des endroits névralgiques de la prévention. Et qu’il y a là un effort de sensibilisation important à porter auprès de personnes relais, comme les délégués syndicaux, les assistants sociaux et le personnel des services de ressources humaines”.

Cette conclusion a été le point de départ d’une expérience de prévention au sein du monde de l’entreprise. Le projet est financé par le Fonds social européen et permet notamment d’organiser des formations gratuites pour les employeurs qui participent au projet.

L’employeur paie aussi les pots cassés

La prévention sur les lieux de travail a un intérêt social évident: concourir à combattre le surendettement en intervenant à la source de pas mal de difficultés, ou du moins à un moment où l’on peut repérer le phénomène bien avant que des processus plus lourds ne soient en route, comme la médiation de dettes ou le règlement collectif de dettes. Pour les employeurs, une telle initiative présente aussi de nombreux avantages. Sur un plan strictement administratif, ce sont eux qui sont amenés à gérer les conséquences d’un surendettement, par exemple les saisies sur salaires. Et, plus fondamentalement, le surendettement des travailleurs a des répercussions sur le travail et a un coût pour l’entreprise: la démotivation et l’absentéisme, parfois l’alcoolisme, car très souvent les personnes surendettées sont mal dans leur peau et la maladie guette.

“Le travailleur surendetté a souvent un sentiment de honte et de culpabilité décuplé, témoigne Matthieu Bruyndonckx. Il a un revenu comme les autres et va donc se dire que plus qu’un autre, c’est de sa propre faute! Très souvent, il va cacher son problème en continuant à suivre le niveau de vie des collègues. Il va payer ses tournées en sortie, il va participer aux activités d’entreprise, etc.”

La question que s’est posée l’Observatoire du crédit et de l’Endettement, c’est comment agir efficacement à ce niveau? Comment avoir un impact sur les comportements de consommation des personnes? Comment faire prendre conscience qu’un endettement au-delà d’un tiers de ses revenus va souvent mener à des difficultés inextricables? La piste retenue a été de favoriser au maximum l’éducation financière.

Le rôle des intermédiaires

“Notre projet consiste à outiller et à former les intermédiaires. Pas directement les personnes surendettées, ce qui n’est pas notre job, mais celui des centres de prévention et de médiation, explique Matthieu Bruyndonckx. Nos formations s’adressent donc aux assistants sociaux, aux membres du personnel Ressources Humaines des entreprises, aux délégations syndicales, bref à toutes les personnes qui sur les lieux de travail sont amenées à côtoyer le phénomène et pourraient être des agents d’intervention dans la prévention du problème.”

Le projet poursuit deux objectifs: celui d’organiser des processus d’accompagnement du surendettement au sein des entreprises, mais aussi celui de faire prendre conscience des limites de cette aide en entreprise, et d’orienter les personnes concernées vers les centres de médiation de dettes. “Car c’est là qu’une prise en charge professionnelle et respectueuse de la dignité humaine sera vraiment mise en œuvre, explique Matthieu Bruyndonckx. Les centres de médiation de dettes n’auront pas pour objectif de ‘faire payer à tout prix’, mais bien de combiner remboursements et dignité humaine!”

“Notre objectif n’est surtout pas de faire en sorte que les conseils et formations en entreprises se substituent au médiateur de dettes, poursuit Jérôme Vanopbroeke. Elles doivent au contraire apprendre à passer la main à temps. Leur rôle va pouvoir être d’aider les personnes à faire un budget pour détecter les problèmes, par exemple. Mais le travail doit s’arrêter là.”

Apprendre à passer la main…

“D’autant, précise Matthieu Bruyndonckx, que certaines entreprises ont réellement développé en interne des ‘quasi-centres de médiation’. Certaines vont même jusqu’à organiser parfois du prêt social. Ces situations sont souvent animées de bonnes intentions, mais certaines peuvent aussi être contre-productives. Que penser par exemple des avances sur salaires? Cela aide-t-il vraiment les personnes? Cela permet-il de masquer ou nier une réalité? Cela fait-il plonger davantage? Est-ce préférable à un crédit? Il est impossible de savoir si l’on aide réellement ou pas avec ce type de pratiques, si l’on ne permet pas de réaliser un budget avec la personne, qui détectera les risques ou la situation réelle.”

Afin de concrétiser cet objectif de prévention au sein des entreprises, l’Observatoire du Crédit et de l’Endettement a donc décidé de tabler sur des formations. Le projet a démarré il y a six ans par la mise sur pied de cycles organisés directement par l’Observatoire, ensuite au sein d’entreprises ou d’institutions.

Des formations ont ainsi été adressées aux personnes relais des ETA (les Entreprises de travail adapté), qui touchent un public fragilisé et exposé au risque de surendettement.

Des partenariats ont également été mis en route avec les trois syndicats; FGTB, CSC, CGSLB. La moitié des formations ont jusqu’à ce jour été organisées dans ce contexte. Par ricochet, de nombreuses entreprises ont ainsi été touchées via la formation syndicale de leurs délégués.

De nombreuses initiatives ont également été développées auprès des services d’aides familiales et de soins à domicile. “Les aides familiales remplissent des missions qui leur permettent d’agir très judicieusement sur la détection des risques de surendettement, expliquent les deux chargés de prévention. Elles font les courses avec les personnes aidées. Elles développent des relations de confiance avec elles. Elles occupent une position privilégiée dans la perspective d’un processus de prévention!”

Mais, au-delà de ces publics spécifiques, il manquait l’éventail plus large du monde des entreprises pour compléter le tableau. C’est à cet enjeu que l’Observatoire s’est aujourd’hui attaqué. Une série d’entreprises importantes ont bénéficié de séances de formation: Delhaize, par exemple, ou Magotteaux.

L’action préventive progresse

Toutes ces initiatives portent-elles leurs fruits? Même si les retours ne sont encore que partiels, Matthieu Bruyndonckx et Jérôme Vanopbroeke se montrent très optimistes. “Il y a incontestablement un impact sur les comportements, témoignent-ils. On constate une utilisation importante des grilles budgétaires proposées. Les personnes au sein des entreprises ont développé des pratiques autour des manières de gérer son budget personnel ou familial, des réflexions sur les questions de besoins et nécessités, des sensibilisations sur les abus de crédits, etc. Les intervenants qui ont participé à nos cycles relaient qu’ils multiplient les interventions: cela va parfois jusqu’à plusieurs par mois.”

De plus en plus fréquemment, des entreprises – souvent de taille assez importante (50 à 100 travailleurs) – font appel. C’est un second signal positif. Et les chargés de prévention font le constat que la prise en considération de la problématique du surendettement auprès des employeurs s’améliore incontestablement. Cela se concrétise par la diffusion avec les fiches de paie, des grilles budgétaires conçues par l’OCE. Cela se traduit parfois par la mise en place d’animations ou de réunions sur les lieux de travail. Bref, autant d’avancées qui, si elles restent limitées sur un plan macro, démontrent que l’action de prévention progresse. Et elle progresse dans un sens judicieux: celui de la détection des risques sur le lieu de travail et de la prise de conscience de l’importance de passer le témoin aux institutions compétentes en matière d’accompagnement des personnes concernées, de guidance budgétaire et de médiation de dettes.

Jean-Michel Charlier
Article publié dans Contrastes n°146 (sept-oct 2011), revue des Equipes populaires

En savoir plus :

  • Le site de l’Observatoire du Crédit et de l’Endettement : www.observatoire-credit.be
  • Pour obtenir davantage d’informations sur les formations « Surendettement sur le lieu de travail »: m_bruyndonckx@observatoire-credit.be ou j_vanopbroeke@observatoire-credit.be

4 commentaires sur “Travailler et être surendetté, pas si rare !”

  1. C.Martin dit :

    Située à mi-chemin entre l’exposition traditionnelle et le théâtre-action, « Dernier rappel avant poursuites » se veut une initiative originale créée par le Service de Médiation de Dettes du CAFA asbl, avec pour objectif de constituer un instrument nouveau de sensibilisation et de lutte préventive contre le phénomène du surendettement.

    Très belle initiative qui plonge le visiteur, durant un peu plus d’une heure, dans la spirale du surrendettement. Le recours à un parcours interactif, où le participant cotoie les acteurs du Magic Land théâtre, et des travailleurs du service médiation de dette du CAFA asbl, rend le sujet accessible à tout un chacun.

    Cette exposition en sera déjà à sa 6ème édition, et le concept s’exporte un peu partout, et notamment à Liège, avec la colaboration du GILS (Le Groupement d’Initiative pour la Lutte contre le Surendettement).

    Dernier Rappel Avant Poursuites: du 28 septembre au 17 octobre 2012 !

  2. Surendetté dit :

    Ancien abonné aux dossiers de surendettement je suiscontent de lire ce genre d’article qui permet aux gens de se faire une idée sur le surendettement

  3. Francoise Fondadouze dit :

    Voici un article très intéressant.

    Cet éclairage de l’un des aspects du surendettement et la réflexion sur les actions préventives possibles ainsi que leur amélioration sont des éléments d’un débat bien plus complexe qu’il n’apparaît à beaucoup qui voudraient le circonscrire à la cupidité des banquiers dont ils ont fait des boucs émissaires bien commodes, sans compter ceux qui voient dans le fichage de plus de 25 millions de leurs concitoyens un moyen de prévention quasi miraculeux.

    C’est vrai que le surendettement frappe de plus en plus ceux qu’on range aujourd’hui sous le vocable un peu cynique de « travailleurs pauvres ». Si, grosso modo, les 2/3 du surendettement actuel sont toujours dus aux accidents de la vie et constituent des cas de « surendettement passif », le 1/3 restant désigne les « excès de crédits », autrement dit le « surendettement actif ». Cette dernière catégorie recouvre bien des causes différentes et des profils qui ne le sont pas moins. Toutefois, il n’est pas niable que pour des travailleurs qui gagnent le smig ou moins, le crédit sert souvent à « boucher les trous », autrement dit est considéré (à tort) comme un revenu complémentaire pour s’offrir de temps à autre un petit peu plus que le nécessaire si tant est encore que ces personnes l’obtiennent.

    L’une des causes principales de cette « paupérisation » des travailleurs français est l’insuffisance manifeste du salaire « réel » en bas d’échelle. La faute en est à des prélèvements obligatoires et, plus particulièrement, à des charges sociales (ne tombons pas le panneau de la pseudo distinction entre les charges de l’employeur et celles du salarié qui ne forment en réalité qu’un tout payé par l’un qui en tient compte dans ce qu’il donne à l’autre) trop lourdes.

    La seule vraie solution est de revaloriser le salaire direct. Cela suppose d’engager des réformes courageuses des politiques de « solidarité » pour en réduire les coûts sans nuire aux besoins fondamentaux des français dans ces domaines. Si l’on laisse de côté la langue de bois politiquement correcte, il y a matière à réaliser d’importantes économies sans risquer d’abaisser le niveau de protection sociale de nos concitoyens. La plupart des pays comparables au nôtre et, plus particulièrement, l’Allemagne, ont des systèmes de solidarité aussi efficaces et moins coûteux. La gestion des nôtres peut être revue de fond en comble : elle regorge de sources d’économies. Des choix doivent aussi être fait à l’égard de certaines politiques très (trop) généreuses ou encore à l’égard de dépenses de « confort » qui augmentent sensiblement des déficits sans apporter de réels avantages à l’ensemble de la population.

    Il est évident, surtout en période préélectorale, que la classe politique préfère cibler les banquiers et s’attaquer au effets visibles du surendettement. Le gouvernement a néanmoins eu le courage de renvoyer après les élections l’examen du très controversé fichier « positif » qui est l’exemple de la vraie fausse bonne idée ! 25 millions de français l’ont échappé belle !