Ecoconstruction en prisonReportages

14 octobre 2013

Après un projet de jardinage bio à la prison de Saint-Hubert, l’association Nature & Progrès a initié un projet d’écoconstruction pour les détenus à Dinant. L’idée étant de monter des murs en paille à l’intérieur de l’enceinte pénitentiaire. Pour permettre aux détenus de s’initier aux techniques de la construction écologique et d’en faire une flèche supplémentaire à leur arc dans le cadre de leur réinsertion.

La prison, en dépit du fait d’être un lieu où l’on purge une peine, est surtout celui où le détenu doit réunir le maximum de chance de réintégrer la société. Pour cette raison, Nature & Progrès se propose d’organiser au profit des détenus de certains établissements qui s’y prêtent – Dinant et Saint-Hubert notamment – un cycle de découverte de l’écoconstruction et de ses nouveaux métiers. Ce secteur est en pleine expansion à cause du renchérissement de l’énergie qui fait grimper le prix des matériaux de construction classiques. L’écoconstruction offre aussi l’avantage d’utiliser des matériaux naturels, non nocifs pour la santé des ouvriers et des habitants. Certains travaux, comme la pose de l’isolant ou des enduits – de l’argile ou de la chaux – sont coûteux en main-d’œuvre. Par contre, ils ne nécessitent pas une qualification très poussée pour en faire un métier. Autrement dit, l’écoconstruction renferme des niches de nouvelles qualifications très demandées par les constructeurs et les rénovateurs écologiques car les artisans qui les possèdent sont encore peu nombreux. D’où l’intérêt de les faire découvrir aux futurs demandeurs d’emplois. L’objectif du cycle de sensibilisation aux métiers de la construction écologique, à la prison de Dinant, fut donc d’informer sur les possibilités qui existent dans le domaine de l’écoconstruction et d’identifier les métiers qui sont à la portée des personnes peu qualifiées.
Comme il était aussi particulièrement intéressant de les inciter à mettre la main à la pâte, les détenus se virent proposer par la direction de la prison de construire un bâtiment en ballots de paille. Celui-ci constituera un espace de conditionnement et de stockage des légumes, intermédiaire entre le jardin potager de la prison et la cuisine où ils entrent dans la confection des repas de tous les pensionnaires.

De quoi la formation fut-elle faite ?

La sensibilisation aux métiers de l’écoconstruction prit la forme de séances d’information et d’initiation qui furent proposées dans le courant du printemps. En accord avec la direction de l’établissement pénitentiaire, des compétences internes à notre association furent mobilisées à cette occasion, mais également des partenaires externes qui partagent les mêmes préoccupations que nous… Voici le détail de ces séances :
- une première information sur les techniques de construction en paille, par Philippe Duplicy et Edmond Chaîneux, autoconstructeurs et bénévoles de Nature & Progrès,
- une séance sur les matériaux de construction écologique, par l’architecte Anne Lambert, membre de la Commission de l’écobioconstruction de Nature & Progrès qui signa également les plans du bâtiment en ballots de paille prévu à Dinant,
- une séance concernant la pause des isolants écologiques, par Alain de Moffarts, de l’entreprise de formation par le travail Quelque Chose à Faire (1), de Monceau-sur-Sambre,
- une information sur les enduits à l’argile et un atelier de pose d’enduit, par Abdel Atifi de Nature & Progrès,
- une information sur la complémentarité des matières naturelles : argile, chaux, isolants, peintures, par Véronique Meunier, de S’habiter, à Julémont (Herve) (2),
- une séance d’information, enfin, proposée par Carrefour Emploi Formation (3), une structure du Forem qui permet de trouver rapidement une réponse adéquate aux questions en matière d’orientation, de formation et d’emploi salarié ou indépendant.
Suite à l’expérience vécue à Dinant, Véronique Meunier nous a adressé ces quelques mots : « cet atelier était, me concernant, une « première » en prison. Avant d’y aller je me suis sentie un peu mal à l’aise d’avoir à me retrouver entourée d’hommes dans un milieu fermé. Comment allais-je arriver à les intéresser à ces matières qui me passionnent et que je vis intensément avec ma sensibilité de femme ? Eh bien, j’ai vécu avec ces messieurs un très beau moment. L’intérêt et l’échange étaient de la partie. Certains d’entre eux se sont lancés dans l’aventure du tout petit atelier « peintures naturelles » sous le regard légèrement moqueur de ceux qui restaient assis à les regarder. Tout cela dans la bonne humeur. Merci à vous, messieurs, pour ce moment de partage… »

L’avis du directeur de la prison de Dinant

Le mardi 2 juillet, jour de la dernière séance animée par Carrefour Emploi Formation, nous avons eu l’occasion de nous entretenir avec monsieur Jean-Paul Dock-Gadisseur, Directeur de la prison de Dinant, qui a accepté de faire, en notre compagnie, une première évaluation de cette action et nous a fait part de ses intentions et de ses souhaits pour l’avenir. Passé la lourde porte, le contrôle quoique très courtois est extrêmement strict ; chacun doit porter un badge qui l’identifie, se prêter à une fouille très minutieuse et passer dans le portique détecteur de métaux. La plupart des outils de travail de l’humble journaliste doivent demeurer au vestiaire : on n’autorise ni appareil enregistrant les sons, ni appareil photographique évidemment. Juste un stylo et quelques feuilles de papier… Qu’à cela ne tienne, nous travaillerons à l’ancienne ! Le claquement des lourdes grilles rythme notre passage et il faut attendre sagement que des portes s’ouvrent, puis que d’autres se referment, avec pour seule musique de fond le cliquetis d’impressionnants trousseaux de clés. Enfin, après avoir monté un escalier étroit, nous arrivons dans le bureau du directeur. D’emblée, il nous redit son enthousiasme au sujet des formations organisées par Nature & Progrès à la prison de Dinant, nous confirme ses affinités avec la démarche qui est la nôtre.
« D’une manière générale, nous confie monsieur Dock-Gadisseur, former des groupes de détenus sur le moyen et le long terme est une chose qui peut s’avérer très difficile car ces groupes varient très vite en fonction des situations personnelles de chacun. Vu le nombre important de personnes qui sont en détention préventive dans notre établissement, le séjour moyen à la prison de Dinant est assez court ; un projet de formation, même s’il est ambitieux, ne doit donc pas excéder les deux mois, voire les deux mois et demi… Cette formation-ci revêt donc, à nos yeux, un caractère tout à fait exceptionnel : il n’est pas courant, en effet, qu’un groupe d’une quinzaine de détenus tienne aussi bien la distance. Leur intérêt se maintient très bien séance après séance mais il est vrai que nous n’avons pas adressé la formation au « tout venant » de la population carcérale. Nous avons, au contraire, voulu la proposer à des détenus qui avaient déjà témoigné un intérêt réel pour la construction ou qui avaient un passé dans ce milieu… »

« On respecte mieux ce qu’on a soi-même construit »

La réinsertion est l’un des principaux sujets de préoccupation de ceux qui passent par la prison de Dinant, des détenus, ainsi que nous le confirme le directeur, dont le séjour est généralement court. La construction est un créneau très intéressant et très attractif pour des personnes auxquelles il offre de bonnes possibilités de réinsertion.
« Il nous paraît très intéressant, dit monsieur Dock-Gadisseur, de sensibiliser notre public à des questions nouvelles comme, par exemple, la mise en œuvre de matériaux locaux. Cet engagement que nous leur proposons, cette porte d’entrée nouvelle vers les questions d’écoconstruction ne demandent pas de grandes qualifications préalables. Elles permettent néanmoins de pousser la réflexion un peu plus loin, vers des questions importantes pour rendre du sens à la vie de tous les jours, des questions relatives à la santé, par exemple… Proposer aux détenus de participer à la réalisation d’un projet concret est aussi une manière d’inspirer un sentiment de respect car on respecte toujours mieux, évidemment, ce qu’on a soi-même construit… »
Monsieur Dock-Gadisseur évoque alors longuement les pièges qui guettent la population en milieu carcéral : le recours trop fréquent à des produits divers, que ce soit de la drogue, de l’alcool ou, tout simplement, des médicaments…
« Il y a trente ans, nous dit-il, seulement 10 à 15% de la population carcérale était dépendante à de tels produits ; on en est maintenant à plus de la moitié ! Il est donc très important d’imaginer des activités qui aient du sens, à l’intention d’un public qui, répétons-le, n’a pas été lourdement condamné ou est toujours en détention préventive. Il s’agit donc de gens qui retrouveront rapidement la vie normale et qui doivent pouvoir mieux s’y adapter pour ne pas retomber dans leurs travers. Le temps passé en prison doit servir à cela. Ajoutons encore que notre « fond de commerce » concerne surtout des personnes précarisées, voire très précarisées, qui n’ont souvent plus la moindre relation avec le monde du travail. Pour la plupart, elles n’en ont jamais eu ; pour beaucoup, leurs parents n’en avaient déjà plus non plus… »

D’autres développements pour l’avenir

Monsieur Dock-Gadisseur ne manque pas de projets. Il évoque différentes idées qui pourraient concerner les différents établissements pénitentiaires de la Province : Namur, Dinant et Andenne. Il nous parle du dispositif API (Actions Partenariales Intégrées) concernant des projets de formation à destination du public très éloigné de l’emploi. Ces projets sont financés par le Forem et réalisés par un ou plusieurs opérateurs : un établissement pénitentiaire, une association, le Forem lui-même, une EFT (Entreprise de Formation par le Travail) ou une OISP (Organisme d’Insertion Socio-Professionnelle)… Le directeur de la prison de Dinant envisage, par exemple, la création d’un réseau s’engageant à accepter des anciens détenus dans un délai de quinze jours après leur sortie de prison. Ce serait évidemment, pour eux, une chance importante de retrouver du travail lors de leur retour dans la « vie normale » et donc une garantie accrue de réinsertion…
« Concernant le projet de construction que nous avons en projet avec vous, nous dit monsieur Dock-Gadisseur, il a évidemment été soumis d’abord à la Régie des Bâtiments qui est le propriétaire de toutes les constructions de la prison de Dinant. Son accord est indispensable mais cette démarche, surtout administrative, ne devrait a priori causer aucun problème… »
La construction envisagée comme point d’orgue de la formation permettra le stockage et le conditionnement des légumes qui sont récoltés dans le jardin potager de la prison.
« Ces légumes, poursuit monsieur Dock-Gadisseur, composent les repas servis aux détenus eux-mêmes ; il convient donc de s’aligner sur les normes de l’AFSCA afin que les denrées puissent entrer sans problème dans la cuisine de l’établissement. Nous travaillons ainsi à revaloriser l’intérêt du légume frais aux yeux de ceux qui les mangent et nous aimerions constuire un projet global concernant l’alimentation au départ de ce qui est produit localement. Nous examinerons ensuite la possibilité de répéter le cycle de formations ; nous verrons si la demande est toujours là. Il s’agira nécessairement de petits modules répartis sur des périodes assez courtes, vu les risques de lassitude et le rythme des libérations. De telles actions visant à responsabiliser le public des détenus doivent impérativement tenir compte du fait que nous avons souvent affaire à des gens qui agissent dans la pulsion du moment et qui n’envisagent les choses que dans le court terme… »
En prenant congé de monsieur Dock-Gadisseur pour rejoindre la formation toujours en cours, nous l’assurons, une nouvelle fois, de notre grand intérêt pour l’action menée en commun et nous lui redisons notre entière disponibilité afin de remettre, une nouvelle fois, l’ouvrage sur le métier…

Dominique Parizel et Hamadou Kandé
Article paru dans la revue Valériane de Nature & Progrès, n°103, septembre/octobre 2013

(1) voir www.qcaf.be
(2) voir www.s-habiter.be
(3) voir www.leforem.be/structures/carrefours-emploi-formation.html

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