Une école bonne pour tous ?Clés pour comprendre

13 novembre 2014

ll faut changer l’école ! Je croyais faire partie de ces enseignants qui, dès la maternelle, veulent faire changer l’école… Mais parmi eux, je me suis rendu compte qu’il y a au moins deux tendances. Se déclarer en accord avec les deux tendances est évidemment possible en paroles… mais dans les actes ?

C’est lors d’une conférence organisée par l’Unicef que j’ai cessé de me sentir membre de la « communauté » des enseignants qui veulent changer l’école… Cette conférence était organisée à la suite du constat, par l’Unicef, que l’école était très inégalitaire (et une fois de plus, une !). Le débat de l’après-midi a rapidement évolué vers ce qui ne marchait pas dans l’école, ce qu’il fallait changer dans l’école pour les élèves, pour n’importe quel élève, pour tous les élèves en décrochage avec l’école, qu’ils viennent de familles populaires ou pas. Parce que, comme on l’entend partout et toujours : « Il faut une école bonne pour les enfants, bonne pour tous les enfants. »

Paroles, paroles, paroles, …

« Changer l’école : pour qui ? Pour quoi ? »

Dans la salle déjà, certaines personnes avaient tenté de recentrer le débat sur ce qui ne fonctionnait pas dans l’école, pas pour tous les enfants, mais bien pour les enfants de milieux défavorisés. Sans résultats.

L’école va mal, d’accord ! Il faut changer l’école, d’accord ! Mais l’école va mal pour qui ? C’est là que je vois aujourd’hui deux tendances dans ceux qui veulent changer l’école. Il y a ceux qui veulent la changer parce que les enfants s’y ennuient, parce qu’on y fait que de l’accumulation de savoirs, parce qu’on n’y construit pas de citoyens critiques… Et il y a ceux qui veulent la changer pour qu’elle soit plus juste, pour que les enfants de milieux défavorisés y réussissent, pour que l’origine sociale ne soit plus un facteur déterminant dans la réussite scolaire.

Alors, repenser l’école, certainement. Mais la repenser pour qu’elle fonctionne pour les enfants de milieux défavorisés ! Et d’abord pour eux ! Elle fonctionnera alors aussi pour les autres élèves, mais avec des contraintes bien différentes d’une école où on se sent bien…

J’ai enseigné pendant une petite dizaine d’années dans une école dont l’indice socioéconomique est 20, qui se pensait alternative (et je le pensais aussi à l’époque). Je travaillais dans une école qui voulait changer l’école. Mais depuis 15 ans, je suis institutrice primaire dans une école de la région bruxelloise dont l’indice socioéconomique est 1. Je veux toujours changer l’école…

Les propos tenus par les différents intervenants pendant cette conférence m’ont ouvert les yeux sur le fossé entre les raisons d’hier et d’aujourd’hui qui me poussaient à vouloir changer l’école !

Des actes dans les classes…

Dans l’école qui fera réussir les élèves de milieux populaires, le temps de présence des enfants et des enseignants devra être augmenté : l’enseignant sera en présence des enfants pendant plus que les 24 périodes exigées aujourd’hui et pendant plus que les 180 jours prestés par année. Et ce temps ne sera pas consacré à remplir les têtes de savoirs morts, mais bien à apprendre ce qui s’apprend dans beaucoup de familles des milieux culturellement proches de la culture de l’école : questionner plutôt que répondre, comprendre ses erreurs, discourir… Si on reconnait que l’école d’aujourd’hui n’enseigne pas tout ce qu’elle exige, il faudra, pour être juste, l’enseigner. Et cela prend du temps, beaucoup de temps.

Dans l’école qui fera réussir les élèves de milieux populaires, les activités scolaires devront être recentrées autour des apprentissages de base (math, français, éveil) et confier à d’autres, et à d’autres moments, les arts plastiques, le sport… Et cela, gratuitement pour les enfants socialement défavorisés, toujours pour être juste… L’enseignant se devra d’être particulièrement compétent dans la didactique du français, des mathématiques et de l’éveil. Il devra, par exemple, non seulement savoir quelles sont les difficultés rencontrées par un enfant pour raconter une histoire, mais aussi ce que l’enfant devrait savoir pour raconter une histoire. Le « coin tapis » avec les livres rangés dans de jolis bacs en bois ne donne aucune garantie quant à l’acquisition de la compétence « raconter des histoires » ! Il faudra que l’enseignant connaisse l’importance de la représentation des nombres et de leur utilisation, l’importance des différents concepts liés aux opérations. Des projets de petits magasins ou des calculs de budget de sortie scolaire ne donnent aucune garantie quant à l’acquisition d’une bonne représentation des nombres !

Dans cette école encore, il sera plus important de savoir ce qu’est la digestion que de savoir qu’il faut manger un fruit à 10 h, de savoir que l’aimant attire le fer plutôt que de savoir qu’il faut éviter les boissons en canette. Les innombrables demandes que le monde extérieur fait à l’école, si on veut y répondre, demandent d’y consacrer beaucoup de temps. Les savoirs qui permettent de remettre en question ces demandes, d’y répondre positivement ou négativement passent alors à la trappe ! Des affiches réalisées par les élèves qui invitent à trier ses déchets, à boire de l’eau ou à manger sainement ne donnent aucune garantie quant à l’acquisition de savoirs nécessaires pour développer l’esprit critique.

Dans cette école toujours, on prendra du temps pour expliquer pourquoi il est parfois intéressant de se taire, d’écouter l’autre, pourquoi il faut se questionner même si on n’est pas l’élève interrogé. On apprendra (et cela prendra du temps) à vérifier ce qu’on pense avant de s’exprimer, à revenir sur ce qu’on a écrit avant de le rendre public, à refaire un raisonnement avant de le communiquer à la classe… Beaucoup d’enfants de milieux socialement défavorisés ont une conception de leur métier d’élève bien différente de celle valorisée à l’école.

Une réorganisation de l’école

Agir ainsi dans sa classe, sans changer tout, peut-être même en revenant à quelques vieilles habitudes, ce n’est peut-être pas changer l’école comme l’entendent beaucoup de personnes (enseignants y compris), mais c’est certainement travailler dans le sens d’une réussite des milieux populaires. Ces changements-là, dans les classes, ne sont cependant pas suffisants : il faut aussi penser à mettre sur pied un tronc commun jusque 16 ans, à supprimer le redoublement et les orientations précoces, à supprimer ce marché scolaire qui construit les écoles ghettos, à en finir avec les réseaux, à promouvoir l’égalité des places…

Nous sommes très nombreux dans l’enseignement à demander des changements de l’école, mais certainement pas tous avec le même objectif en tête. Les levées de boucliers contre le décret « inscriptions » ne sont que le haut de l’iceberg que constituent les résistances à changer l’école pour que les enfants de milieux populaires réussissent. Il n’est sans doute pas utile de diviser les enseignants qui veulent changer l’école. Ceux-là sont souvent pleins d’énergie qu’il est bon de conserver ! Mais il est peut-être urgent de clarifier les objectifs de ces changements pour que l’école ne soit plus cette machine à reproduire les inégalités sociales !

Véronique Beaudrenghien

Article publié dans le magazine TRACeS de ChanGements n°217, sept-oct. 2014

Un commentaire sur “Une école bonne pour tous ?”

  1. devuyst dit :

    Merci pour votre article. Il faut bien reconnaître que, depuis 1980 et la communautarisation de l’enseignement, l’enseignement francophone ne fait que s’enfoncer. Les responsables de l’enseignement nous invitent à jeter des regards vers la Finlande pour trouver des solutions aux trop nombreux échecs et décrochages des enfants des milieux défavorisés alors qu’il suffirait, par exemple, à Bruxelles, de jeter un coup d’oeil dans les écoles néerlandophones. Quarante-deux mille enfants bruxellois sont scolarisés en Flandre, plus de 1.200 étaient en attente d’inscription, l’année dernière. Beaucoup de familles immigrées ont compris que l’enseignement francophone est un enseignement qui a pour effet de reléguer beaucoup des leurs et beaucoup de familles mobilisées sur la question de la transmission de savoirs et de méthodes ont la même réaction devant l’enseignement francophone, comme si, à un moment donné les intérêts des plus pauvres et des plus riches convergeaient pour prendre la décision de quitter l’enseignement francophone.
    Cette perte de confiance est principalement due à l’impossibilité de la super structure (politique et administration) de sortir l’enseignement francophone de la nase dans laquelle elle se trouve piégée (objectifs pas clairs).