Retour de la Criée publique à LiègeGestes pratiquesReportages

26 mars 2015

Dans l’un des quartiers du centre historique de Liège, en Pierreuse, la « Criée publique » renait depuis peu. À cette occasion, l’espace public est réinvesti par les citoyens rassemblés pour écouter les messages postés par les habitants et révélés au grand jour par Lionel Decoster, « Crieur public » à l’origine de cette initiative.

S’est installée au cœur de Pierreuse à Liège, une boîte aux lettres un peu particulière et accessible à tous. Les divers messages que chaque passant est libre d’y glisser à l’avance sont déclamés au même endroit tous les premiers et troisièmes dimanches du mois. À 13h, la foule se presse face au pupitre derrière lequel le Crieur public, Lionel Decoster, prend place en réclamant l’attention du peuple. Quelques règles d’usage sont ensuite définies et des explications sont données aux nouveaux venus.

La Criée peut commencer ! L’espace public se met alors à résonner des messages enfin révélés.

Une Criée qui ne date pas d’hier

La Criée publique, dont on relève déjà l’existence durant l’Antiquité, s’inscrit dans la tradition orale. Ce moyen de transmission populaire a longtemps été utilisé pour rendre des annonces publiques et officielles, comme le souligne Lionel Decoster évoquant l’époque où « les gardes champêtres avaient pour charge de crier les lois et événements de la Commune pour ceux qui ne seraient pas capables de les lire ». Les citoyens décident rapidement de passer par ce biais pour publier leurs propres annonces et la parole est ainsi relayée de vill(ag)e en vill(ag)e, voire de port en port, comme c’était par exemple le cas en Bretagne.

Comment ça se passe ?

L’événement se veut participatif et structuré de manière évolutive, selon un processus d’auto-évaluation (où Lionel Decoster clarifie ses enjeux) et d’évaluation collective (par ceux qui y participent). « Les personnes présentes aux Criées, ayant écrit ou non, participent pour deux tiers de leur réussite, affirme-t-il. Je ne suis pas le seul à définir ce qu’elles sont. Les citoyens font partie du processus démocratique et ces Criées offrent une mise en parole de leurs réflexions. »

En prologue, une méditation zen pour enfants « calme et attentif comme une grenouille », la blague du jour et quelques échauffements permettent au public de se mettre dans le bain. Quelques conventions sont aussi expliquées : par exemple, le Crieur propose aux participants de plier les jambes lorsqu’ils souhaitent manifester leur désaccord. Ce mouvement permet d’éviter de crier, en réaffirmant sa singulière prise de position.

Se succèdent ensuite, au rythme des tintements de cloche, un mélange de petites annonces cocasses, de poésies envolées, de déclarations d’amour et d’humour, de courrier administratif de régularisation adressé à une personne décédée, de lettres ouvertes, de carnet de voyage annonçant l’avancée maritime de matelots liégeois, de pensées et autres réflexions philosophiques. Le public réagit et commente, entre rires et étonnement.

La Criée se termine, mais la boucle n’est pas bouclée. Par la suite, le Crieur imagine que ces événements soient notamment le point de départ pour l’acquisition d’outils et la création de débats. « C’est un média alternatif, explique-t-il, parler du dispositif permet de le déconstruire et de voir ce que chacun peut en retirer, quel rôle chacun peut y jouer. »

Une Criée publique transportable

Lionel Decoster espère voir le concept se multiplier dans la durée avec un ancrage au sein d’autres quartiers liégeois. Initialement, il a choisi Pierreuse parce qu’il connaît bien ce lieu alternatif, dynamique et vivant. Depuis peu, une boulangerie située à proximité joue aussi le rôle de facteur pour les messages destinés à la Criée et Lionel Decoster en anime une autre, tous les premiers lundis soirs du mois, à l’Ateliers des steppes de Saint Léonard.

Le phénomène pourrait donc être amené à s’étendre à d’autres endroits de la ville, et au-delà. L’occasion de mettre en valeur et en couleurs certains lieux de vi(ll)e actuels pour les préserver ou se les réapproprier. Différentes initiatives de ce genre remises au goût du jour existent ailleurs en Belgique, sous différentes formes.

À Gand, par exemple, celles organisées par une guilde de sonneurs de cloche gagnent une dimension folklorique. A Bruxelles, une « écrieuse », mélange d’écrivaine publique et de crieuse, récolte les mots déjà postés et part aussi à la rencontre des habitants de différents quartiers bruxellois pour les aider à formuler leurs pensées. Le résultat est révélé lors de Criées diffusées sur « Radio Panik », une radio associative bruxelloise.

Le dispositif est là et il appartient maintenant au citoyen de s’en emparer tout en se positionnant. « Il n’existe pas d’école de crieur. La légitimité de cette pratique passe par l’action », ajoute l’initiateur du projet. Le concept est donc voué à s’étendre largement, au-delà d’un quartier ou d’une ville puisque, comme le veut la tradition, chacun est libre de créer sa propre Criée publique.

Ces initiatives permettent de donner des ailes aux plumes des citoyens et la parole semble briser les frontières. Il vous est libre d’en être les messagers, comme lors de cette Criée de février clôturée sur les paroles d’un détenu de la prison de Nivelles. À sa demande, le texte est lu à voix haute et, tandis que le crieur est filmé de dos par un vidéaste, les traits de son auteur se dessinent. La transmission a lieu, bien au-delà des barreaux.

Lionel Decoster cite et s’inspire de trois héros-références lors de sa Criée :

  • Gérald Rigaud, Crieur reconnu de la Croix-Rousse à Lyon (1) ;
  • Majo Hansotte et sa réflexion sur les intelligences citoyennes ;
  • Franck Lepage, cofondateur de la scop Le Pavé (2), ses conférences gesticulées et son travail sur l’éducation populaire.

Anne-France Hallet

(1) http://crieurpublicdelacroixrousse.blogspot.be/
(2) http://www.scoplepave.org/

Photographies : © Maïlis Snoeck

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