Neuf enfants sur cent dans le monde ne vont pas à l’écoleClés pour comprendre

14 septembre 2016

Les problèmes récurrents sont l’insuffisance des ressources consacrées à l’éducation, la distance entre le domicile et l’école, surtout en zone rurale, l’utilisation des enfants pour les travaux domestiques ou champêtres, des enseignants pas disponibles ou peu formés…

En septembre 2015, la communauté internationale a adopté un nouveau programme de développement durable fixant dix-sept objectifs à atteindre d’ici 2030. Dans le domaine de l’éducation, l’ambition de promouvoir et de garantir des possibilités d’apprentissage pour tous tout au long de la vie doit se traduire en actions concrètes sur le terrain.

Depuis 2000 et l’adoption des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), des progrès ont été réalisés pour l’amélioration de l’accès à l’école primaire pour tous les enfants, surtout dans les pays en développement où le taux de scolarisation global a atteint 91% en 2015, selon les chiffres du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Les mêmes chiffres font état d’une chute de moitié du nombre d’enfants non scolarisés et une augmentation du taux d’alphabétisation, ainsi que le relèvement du niveau de scolarisation des filles.

Mais au-delà de ces avancées remarquables, beaucoup reste encore à faire pour répondre aux besoins des 127 millions d’enfants et adolescents qui n’ont toujours pas accès à l’éducation, sans compter les quelques 250 millions d’analphabètes à travers le monde.

Une des cibles de l’objectif de développement durable sur l’éducation (objectif 4) précise le défi à relever : « les connaissances et compétences nécessaires pour promouvoir le développement durable, notamment par l’éducation en faveur du développement et de modes de vie durables, des droits de l’homme, de l’égalité des sexes, de la promotion d’une culture de paix et de non-violence, de la citoyenneté mondiale et de l’appréciation de la diversité culturelle et de la contribution de la culture au développement durable ».

Le défi est énorme et impose une réflexion sur les changements à mettre en œuvre dans les années à venir. Educaid.be, la plateforme belge pour l’enseignement et la formation au sein de la coopération au développement, avait choisi comme thème de sa conférence annuelle l’Education et les objectifs de développement durable : défis et opportunités. Conférence qui devait se tenir en novembre 2015 mais qui a été finalement annulée pour des raisons de sécurité. Des experts et éducateurs invités à cette rencontre nous ont confié leurs sentiments sur les multiples enjeux pour faire de l’éducation un moteur du développement durable.

Education et développement humain

Pour Lorson Ovilmar, président de l’Initiative des éducateurs pour la promotion de l’éducation nouvelle en Haïti, la mission de l’école ne doit pas se limiter à la scolarisation, c’est-à-dire un apprentissage basé sur un contenu et des outils didactiques prédéfinis. L’acquisition de connaissances scientifiques et littéraires et le développement de compétences artistiques ou sportives sont une chose mais, selon Lorson Ovilmar, « la pédagogie doit aussi prendre en compte la transmission de valeurs humaines comme la solidarité, la citoyenneté, le respect et la tolérance ». La construction du savoir doit reposer sur le bagage social individuel de l’enfant « qui n’est pas un vase à remplir mais un feu à allumer. Il faut donner à l’enfant une motivation pour aller à l’école, de sorte qu’il ne ressente pas l’apprentissage comme une punition » affirme t-il.

L’enseignant et pédagogue défend ainsi les principes de l’éducation nouvelle, courant pédagogique qui conçoit l’apprentissage comme un facteur de progrès global de l’individu. Lorson Ovilmar reconnaît que la promotion de l’éducation nouvelle est un travail de longue haleine, qui repose sur une analyse constante des pratiques pédagogiques et des outils didactiques, ainsi qu’une évaluation des expériences à tous les niveaux du système éducatif.

S’appuyant sur les fondements de l’éducation nouvelle, Lorson Ovilmar insiste sur l’importance de l’adhésion des individus au processus d’apprentissage mais, aussi, sur le rôle des pouvoirs publics dans la mise en œuvre du volet « éducation » dans les objectifs du développement durable.

Ces objectifs resteront des idées, peu importe les engagements politiques et les ressources financières mobilisées, si les enjeux ne sont pas expliqués et si les populations concernées ne sont pas impliquées dans les stratégies mises en place.

Pour Rasheda Choudhury, du Bangladesh, directrice de Campaign for popular education et vice-présidente de la Campagne mondiale pour l’éducation, « il faut surtout comprendre et prendre en compte ce que les populations entendent et attendent des objectifs mondiaux. La compréhension du contexte local est capitale pour définir des stratégies adaptées ». Difficile pour elle de prédire ce qui va se passer dans quinze ans, mais l’espoir est de voir les ambitions se transformer en réalisations concrètes sur le terrain.

Même si de nombreux pays en développement rencontrent des difficultés pour assurer la scolarisation des enfants, comme le rappelle Jean-Marie Sohier, consultant indépendant et membre d’Educaid.be, qui liste les problèmes récurrents : « insuffisance des ressources consacrées à l’éducation, distance entre le domicile et l’école, surtout en zone rurale, utilisation des enfants pour les travaux domestiques ou champêtres, des enseignants pas disponibles ou peu formés… ».

L’éducation des enfants est un investissement pour l’avenir, a-t-on coutume de dire. Mais difficile dans des situations d’extrême pauvreté de faire comprendre cette priorité à des populations qui doivent lutter pour leur survie quotidienne. « Il faut un cadre législatif bien défini et des actions concrètes des pouvoirs publics, afin de susciter la demande, l’adhésion, la mobilisation et la participation des populations affectées par les questions d’éducation », insiste Rasheda Choudhury.

Tenir compte du contexte local

Au Bangladesh, des campagnes peu coûteuses menées par des ONG ont permis de prendre conscience de l’importance de l’éducation pour tous. Rasheda Choudhury révèle que « du petit fermier au premier ministre, chaque citoyen met tout en œuvre pour inscrire son enfant à l’école. Avec parfois des situations nécessitant une adaptation du calendrier scolaire en fonction de la situation familiale (enfants participant aux travaux domestiques) ou en fonction des saisons (inondations, récoltes) ». Elle donne comme exemple certains élèves habitant dans des zones rurales reculées qui, dans les années quatre-vingt, étaient autorisés à venir à l’école avec leurs troupeaux. Une flexibilité qui visait avant tout à préserver la motivation des familles.

De même, au début des années nonante, le processus démocratique a permis la mise en œuvre d’actions positives dans le domaine de l’éducation, notamment en faveur des filles. « En premier lieu, l’école primaire gratuite pour tous, avec des mesures coercitives, les responsables pédagogiques rappelant souvent aux parents qu’ils risquaient d’aller en prison s’ils n’inscrivaient pas leurs enfants à l’école (des mesures jamais vraiment appliquées). Réalisant que ces actions n’étaient pas suffisantes pour assurer la scolarisation gratuite des filles, le gouvernement continue d’étendre la gratuité de l’enseignement », indique Rasheda Choudhury. Résultat : on compte aujourd’hui plus de filles que de garçons en primaire, et jusqu’à 52 % de filles au cycle secondaire.

D’autres mesures incitatives ont été mises en œuvre par le gouvernement bangladais. Par exemple des allocations sous certaines conditions. Tout d’abord, l’octroi de parcelles de riz ou de blé pour les filles et leurs familles contre l’inscription à l’école. Mais le système n’a pas bien fonctionné, la raison principale étant le détournement de l’objet de la subvention. Une autre mesure, consistant à verser une certaine somme d’argent aux filles scolarisées, par le biais des institutions scolaires, n’a pas non plus donné satisfaction.

Rasheda Choudhury précise que « des recherches menées par son ONG ont montré que les filles ne recevaient pas la totalité des sommes allouées, une bonne partie de la subvention servant à couvrir les frais et charges des institutions gestionnaires de la subvention ». Sur base des recommandations de l’ONG, l’Etat a rectifié le tir, en décidant le versement de l’allocation sur un compte bancaire au nom de la mère. Afin de faciliter la mise en place du système, les mères de famille sont autorisées à ouvrir un compte bancaire, même avec 10 takas (0,12 euros). Ce système basé sur la présomption qu’une mère ne pouvait pas nuire à son enfant a miraculeusement bien fonctionné, avec une gestion plus rigoureuse des fonds.

Rasheda Choudhury ajoute tout de même que le transfert d’argent se fait sous certaines conditions : 80% en tenant compte de l’assiduité de l’élève et 45% en fonction des résultats scolaires. « Des mesures identiques sont aujourd’hui mises en place en faveur des garçons vivant dans des zones à faibles revenus ou exposées aux catastrophes », ajoute-t-elle. Ces exemples montrent que des miracles peuvent être accomplis si les bonnes politiques sont mises en place. Et il ne faut pas sous-estimer ce que les gens peuvent réaliser dans des circonstances incroyablement difficiles. « Comme par exemple ces populations qui, après de fortes inondations, continuent à planter dans leurs champs avec des lanternes ».

Concertation et mobilisation

Dans la poursuite des objectifs de développement durable, la responsabilité incombe au pouvoir politique mais une large concertation est indispensable, si les Etats espèrent l’adhésion et la mobilisation de tous, de la population, du secteur privé, des organisations de la société civile. C’est ce que pense Rasheda Choudhury, qui estime que « l’Etat est à la barre mais nous pouvons, en tant que passagers, exiger d’être menés à bon port, en toute sécurité. La société civile est partenaire et pas cliente ».

Elle admet aussi le rôle incontournable du secteur privé, vu son intérêt actuel pour les questions sociales comme l’éducation ou la santé. Mais il ne faut pas se leurrer, dit-elle : « son implication repose en premier lieu sur la recherche du profit et sur des motivations commerciales ». Elle insiste sur le fait que la gestion des affaires sociales et du service public, au sens large, est et doit rester sous la responsabilité des pouvoirs publics. Le secteur privé et les organisations non gouvernementales sont certes bienvenus mais l’Etat doit mettre en place des mécanismes, non pas de contrôle, mais de régulation, afin d’éviter que des populations à faibles revenus ne soient exploitées.

Au-delà des engagements politiques, de nombreux acteurs dans le secteur de l’éducation espèrent une plus grande mobilisation de ressources financières dans le cadre de la coopération au développement. Ces dernières années, les bailleurs de fonds ont laissé croire qu’ils investissaient plus dans l’éducation mais la réalité est tout autre, estiment certains. Si l’aide public au développement a augmenté en volume, « il n’en est rien de l’aide à l’éducation, qui est quand même un remède à tout », pense Rasheda Choudhury qui rappelle que dans de nombreux pays, les ONG font face à d’énormes difficultés pour accomplir leurs missions et les budgets qui leur sont alloués sont de plus en plus réduits, voire supprimés.

Le constat est le même, dans les pays du Nord comme dans ceux du Sud. Ici comme ailleurs les réalités justifient la mise en œuvre de plans d’action et la mobilisation de moyens pour garantir l’apprentissage pour tous et pour la vie. 2030, c’est demain et, pour certains, cet objectif risque de ne pas être atteint si les engagements politiques ne sont pas traduits en projets réalistes. Malheureusement, trop souvent, « quand les discours sont ambitieux, ils sont abstraits, et quand ils sont concrets, ils manquent d’ambition », s’inquiète Jean-Marie Sohier.

Seydou Sarr
Article publié dans Antipodes – outils pédagogiques n°16, 2015, revue d’ITECO

Illu: Boulon

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