Comment ça fonctionne ?
Ces algorithmes de recommandation, gigantesques formules mathématiques, prennent en compte une quantité de plus en plus impressionnante de données. Ils ne se limitent pas à proposer de la musique du même genre, mais affinent les recommandations sur base de différents mécanismes qui se complètent et s’enrichissent. Citons-en quatre :
- L’analyse de signal : sons, tempos, accords, timbres, etc.
- Le filtrage collaboratif : en résumé, si Jean aime Coldplay, que Jules aime Coldplay et aussi U2, alors il est probable que U2 plaira à Jean également.
- L’agrégation sociale ou crowdsourcing, qui permet de traduire en données utilisables l’analyse de millions de pages de sites spécialisés.
- Le filtrage basé sur le contenu, qui compare la liste de « tags » associés à l’utilisateur aux tags associés à des chansons, et fait émerger les contenus comprenant le plus grand nombre de correspondances.
- Enfin, le deep learning est l’automatisation et l’auto-amélioration de ces différentes méthodes intégrées. La machine s’entraîne et s’améliore elle-même sans aucun apport humain.
Quel est le souci au fond ?
Si les algorithmes de recommandation sont si efficaces pour anticiper ce que l’on aimera, nous allons leur faire de plus en plus confiance. Plus besoin de perdre du temps à lire des articles, à demander conseil, à chercher dans les rayons des médiathèques, à tester des artistes pour se rendre compte qu’on n’apprécie pas… Et nous resterons enfermés dans une bulle confortable correspondant à nos préférences. Quel est le problème ? La question se pose à un niveau philosophique ou existentiel. Souhaitons-nous vraiment faire l’économie des surprises, du hasard, des errements, des détours ? Souhaitons-nous vraiment que nos goûts restent enfermés en eux-mêmes ? N’y a-t-il pas aussi un ravissement irremplaçable à se laisser bouscuer par tout autre chose ? N’est-ce pas d’ailleurs uniquement de cette façon que l’on s’éduque – étymologiquement, sortir de soi-même ?
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Une vraie question de débat
Il y a matière à discuter des heures. Car ne soyons pas hypocrites : l’efficacité de ces algorithmes de recommandation est bluffante, et nous les utilisons massivement. Nous découvrons par là des tas de nouveaux contenus culturels que nous n’aurions sans doute pas découverts autrement. Notre bulle est certes réduite par les algorithmes, mais au sein d’une quantité immense de contenus culturels. Qu’en était-il avant ? Quel accès à la musique avait l’habitant d’un petit village en 1950, par exemple, par rapport à aujourd’hui ? N’étaient-ce pas d’autres bulles, physiques, sociologiques, qui limitaient l’accès à la culture ? Le pouvoir culturel des GAFA ne remplace-t-il pas celui des maisons de disque et des boîtes de production ?
Les questions sont réelles. Car les algorithmes n’influencent pas seulement la réception, mais aussi… la création. Va-t-on vers une création artistique de plus en plus convergente vers les formats les plus convoités ? Peut-on garantir par ailleurs que des acteurs culturels puissants ne bénéficient pas de « passe-droits algorithmiques », autrement dit que telle puissante maison de disque par exemple, ne paie Spotify ou Youtube pour apparaître plus souvent dans les recommandations ? Il est essentiel de comprendre comment ça fonctionne. Non seulement pour pouvoir « faire le mur » et s’enfuir occasionnellement de nos bulles culturelles, mais aussi pour être capable de mener un vrai débat collectif.
Guillaume Lohest
Article publié dans Contrastes n°188 (septembre-octobre 2018), revue des Equipes populaires
> Antoinette Rouvroy
> Philippe Vion-Dury
> Yves Citton
> http://sourdoreille.net/les-algorithmes-de-recommandations-nouvel-or-noir-des-services-de-streaming/
> http://maisouvaleweb.fr/les-algorithmes-nous-volent-notre-hasard-et-nous-nous- laissons-faire-une-conversation-avec-philippe-vion-dury/